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I

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Jacques Simiès ouvrit un il, puis lautre, bâilla, sétira et demanda à son valet de chambre, Lazare, qui venait écarter les persiennes:

Lazare, quelle heure est-il?

Monsieur, il est dix heures.

Quel temps fait-il?

Ni beau ni laid, Monsieur, et le baromètre est au variable.

Bien, comme cela tu ne te compromets pas. Y a-t-il des

lettres?

Pas beaucoup: voici le courrier dailleurs, Monsieur peut

voir.

Et Lazare déposa sur la table de nuit quelques journaux et quelques enveloppes médiocrement garnies.

Tant que cela? fit indolemment le viveur en sétirant de plus belle. Bah! à tout à lheure les affaires sérieuses. Lazare, jai faim.

Je vais apporter à Monsieur son chocolat.

Très cuit surtout. Cette brute de Césarine menvoie toujours de leau chaude.

Je vais y veiller, Monsieur.

Et, après avoir laissé entrer lentement dans la chambre un jour atténué par les rideaux de guipure, Lazare sortit.

Simiès referma les yeux avec un indicible sentiment de bien- être, et dans son cerveau encore engourdi flotta la vision de la veille.

Ah! la bonne soirée quil avait passée au café de Paris! Dieu! quon avait ri! Ce diable de Pinsonneau en avait-il raconté des farces de sa vie de garnison! et avait-on assez raillé le clergé, les prêtres et les mômeries des cléricaux! et lexcellent Moët quon y avait sablé, sans compter le Moselle pétillant et le Tockay exquis!

Par exemple les cigares laissaient un peu à désirer, mais Simiès était rendu difficile par ceux que lui envoyait son ami de la Nouvelle-Orléans.

Décidément ce souper et les rires qui lavaient accompagné lavaient creusé; et ce diable de Lazare qui napportait pas son déjeuner, quel lambin, quelle brute! cétait à lui casser une canne sur le dos!

En attendant, Simiès allait lire son courrier; il se souleva sur son lit pour se mettre sur son séant non sans esquisser une grimace de douleur.

Ces s… rhumatismes! gémit-il.

Cest que celui quon appelait jadis le beau Simiès avait soixante ans, et bien heureux encore était-il den être quitte à si bon marché avec les infirmités de cet âge.

Il attira à lui son binocle quil ajusta sur son nez et prit dans la masse une carte bleutée sur laquelle courait une écriture élégante.

Bon! dit-il avec ennui, une demande dargent; je connais ça, mais cette fois encore je ferai la sourde oreille, car jai pour principe quil ne faut pas prêter aux autres, surtout à ceux qui, selon toute probabilité, ne peuvent rendre ce quils ont emprunté. Quest-ce encore? Ah! Cathellin qui minvite à dîner: ma foi, ce ne sera pas drôle, des jeunes mariés! Quelle idée aussi lui a pris dépouser cette veuve?… Quant aux journaux, voyons… voici le Figaro, lIntransigeant… Tiens, le Quotidien qui manque à lappel? Ces gredins lauront gardé à la cuisine pour le déguster avant moi, je vais leur laver la tête dimportance… Par le diable, quest-ce que cette épître sur papier daffaires, qui sest glissée sous les gazettes?… Bien! maître Briant, le notaire de Léo!… quest-ce quil peut avoir à mapprendre?… Pourvu que cet imbécile de Léo nait pas commis encore quelque bévue! il na jamais réussi en rien. Et moi qui ai des capitaux dans sa plantation des Antilles; pas lourds, heureusement; la perte ne serait pas grande. Diable! quatre pages de thème; il est épistolier, le notaire! voyons ce quil me veut.

Simiès se mit à lire attentivement: le soleil, pâlot et terne, joua cependant un instant sous les rideaux aux teintes douces, arrachant une étincelle dargent aux aciers des chenets, au bronze doré des candélabres, aux socles des coupes; baisant au passage le visage rieur dun faune de marbre.

Simiès lépicurien lisait toujours; autour de lui tout respirait non seulement le bien-être, mais le luxe absolu épanoui là sans lourdeur, avec goût, avec art, selon le caprice du possesseur égoïste et raffiné.

Lorsque Lazare reparut, portant en équilibre sur sa main le plateau où fumait le chocolat vanillé et onctueux accompagné de rôties toutes chaudes, il faillit reculer à la vue de son maître: soulevé sur sa couche moelleuse, celui-ci, furieux, montrait le poing au ciel de lit qui nen pouvait mais et froissait dans ses doigts une lettre lacérée. Son visage, ordinairement rose et empreint dune expression railleuse, était devenu jaune, marbré de taches foncées; ses yeux verdâtres flamboyaient; ses cheveux gris se hérissaient de colère sur le crâne légèrement dépouillé au sommet du front.

Simiès nétait pas beau à voir ainsi, lui qui passait en général pour un homme encore agréable à regarder en dépit de son âge mûr.

En apercevant son valet de chambre, il lapostropha rudement:

Allons, maraud, tête de buse, animal, on ne veut donc pas que je déjeune ce matin?

Monsieur avait recommandé que son choc…

Butor! vas-tu raisonner? apporte-moi ça et plus vite.

Tout tremblant, Lazare obéit.

Lorsque Simiès eut avalé une gorgée du liquide fumant, il sécria avec un redoublement de fureur:

Triple brute, à présent tu veux mébouillanter! Ne pouvais-tu mavertir que le chocolat sortait du feu? Assassin, va! Jai la peau de la langue enlevée; vous lavez fait exprès; vous voulez ma mort, vous autres idiots. Tiens!

Et, dun geste violent, Simiès envoya rouler la tasse et son contenu sur le tapis, entre les jambes de linfortuné Lazare qui se mit à hurler de douleur.

Cela fit rire Simiès et Lazare se calma; au fond il savait que les boutades de ce maître exigeant ne duraient pas et quil fallait les supporter; il y avait tant de petits profits à ramasser dans cette maison de célibataire riche! ceût été folie de la quitter.

Tu vas nettoyer le tapis, reprit M. Simiès en indiquant la

tache noirâtre étalée sur la moquette rouge.

Monsieur me permettra au moins de changer de pantalon?

répondit piteusement Lazare.

Va! mais fais vite. Il simagine que sa peau est brûlée peut-être! ces gens sont si douillets! grommela Simiès en sallongeant dans son lit avec béatitude.

Quest-ce que Monsieur va prendre à la place de son chocolat? demanda Lazare prêt à sortir.

Du thé et quon ne me fasse pas attendre.

Dix minutes après, Lazare rentrait, la théière sur le plateau, une éponge dans lautre main pour réparer les méfaits de son maître.

Tout en déjeunant Simiès suivait machinalement de lil les évolutions du domestique; puis, soudain, posant la moitié dune rôtie sur le bord de la soucoupe:

Dis donc, Lazare, sais-tu la tuile qui me tombe dessus?

Non, Monsieur, répondit Lazare sans relever la tête.

Eh bien!… mais écoute donc, imbécile, ton tapis est

assez lavé.

Le pauvre garçon se dressa sur les genoux et demeura bouche béante, léponge en suspens.

Il marrive, reprit Simiès, que mon neveu des Antilles, M.

Léo, tu sais, est mort.

Ah!… et Monsieur va hériter sans doute? fit Lazare dont

les grosses lèvres sélargirent dans un vaste sourire.

Idiot! ce ne serait pas une tuile. Ma nièce sa femme et sa fille revenaient en France à pleines voiles avec moins dargent dans leur cassette quil ny en a au fond de cette tasse lorsque la première mourut au moment de toucher terre.

Aïe! et la demoiselle alors?

Voilà: lenfant est à ma charge à présent, cest ça qui est amusant!

Elle na donc pas de parents plus proches que Monsieur?

Non, quelques cousins éloignés à je ne sais combien de degrés. Je suis son tuteur et son unique soutien, ainsi que le dit en termes pompeux le notaire qui mécrit.

Dans sa stupéfaction Lazare laissa tomber son torchon et son éponge.

Alors voilà Monsieur père de famille?

Parbleu! et cest ce qui menrage.

Je savais bien que ce nétait pas le chocolat, pensa Lazare. Et, reprit-il tout haut, il va y avoir ici une jeune demoiselle? cest ça qui va être drôle!

Et Lazare se tint les côtes pour mieux rire.

Butor, ne ris donc pas ainsi, tu magaces les nerfs. Ainsi tu trouves cette idée amusante?

Dame!

Mais ce nest quune enfant, une mioche, une galopine enfin de neuf à dix ans, qui va être capricieuse, assommante, pleurnicheuse, tu comprends que je lenvoie à tous les diables; voilà ma bonne petite vie tranquille tout à fait bouleversée.

Et Simiès fit mine de sarracher quelques cheveux gris, ce qui, vu la position quil gardait dans son lit, lui donnait lair passablement grotesque.

Lazare se leva sur ses longues jambes, et, le visage soudain illuminé par une pensée riante:

Monsieur oublie que les petites filles, ça se met au

couvent.

Au couvent? brute que tu es! ma nièce chez des nonnes?

La langue ma fourché, Monsieur, je voulais dire à la pension. Y a des établissements laïques…

Parbleu! je ny songeais plus! Certainement quil y en a, Paris en regorge, et des lycées aussi pour les fillettes! Où avais-je donc la tête? sécria Simiès en se remettant sur son séant. Tiens, Lazare, tu es un brave garçon de me lavoir rappelé, tu auras vingt francs pour remplacer le pantalon qui a reçu le chocolat. Au fait, des pensions laïques ça ne manque pas ici. Certes, jy aurais pensé plus tard, mais jétais si troublé! Je suis sauvé; le lendemain même de son arrivée, jy mettrai Gilberte. Ah! quelle bénédiction! il faut que dès aujourdhui je moccupe de cela et cherche une maison convenable où les jeunes filles soient élevées sans les mômeries des couvents qui les rendent ridicules. Lazare, vite mes pantoufles, ma robe de chambre, je veux sortir avant midi; tu diras à Philippe datteler dans une demi-heure.

Rentré en grâce, Lazare habilla son maître, puis il alla conter à la cuisine lévénement qui survenait à la maison et qui fit ouvrir de grands yeux à Philippe, à Césarine et à Mme Dutel, la femme de charge.

Une Pupille Genante

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