Читать книгу Une Pupille Genante - Dombre Roger - Страница 8
V
ОглавлениеQuelle tuile, mon pauvre ami, quelle tuile!…
Eh! pas tant que cela.
Comment, pas tant que cela? Sais-tu que, aussitôt que jai appris le malheur qui tarrivait sous la forme dune tutelle, jai laissé ma banque et mes affaires pour venir tapporter mes compliments de condoléance?
Eh bien! je ne suis pas trop à plaindre, répondit Simiès en caressant sa barbe grise.
Est-ce que tu trouves amusant quune petite fille te tombe ainsi du ciel? Je ne te reconnais plus: on ma changé mon vieil ami Simiès. Donc il te plaît de remplir le rôle de nourrice, de bonne, de papa, que sais-je! de promener, moucher, dorloter la bambine? Je tai mal jugé, mon cher, pardonne-moi.
Voyons, Félix, laisse-moi mexpliquer: cette tutelle ma dabord on ne peut plus mécontenté. Gilberte se montrait sournoise, sérieuse comme une petite nonne…
Ah! elle se nomme Gilberte?
Oui, comme sa mère.
Un joli nom.
Et qui lui va!
Lenfant est gentille physiquement?
Charmante; elle sera ravissante plus tard.
Blonde, brune?
Blonde comme de lor avec des yeux foncés, un teint de lis et de roses.
Et comme caractère?
Du lait sucré, les premiers jours, du vinaigre, à présent.
A quoi tient de changement?
Je ne sais trop; je ny comprends rien; peut-être la rusée a-t-elle tâté le terrain, puis sest-elle montrée telle quelle est réellement dès quelle a saisi mes goûts. Jai dabord essayé de la mâter, croyant la shlague un moyen infaillible pour dompter les enfants, mais cela na pas réussi; la petite est trop résolue pour quon la prenne ainsi.
Enfin que vas-tu en faire?
Voilà; pour linstant je ne mattends pas à ce quelle me donne beaucoup de satisfaction; mais plus tard, quand je laurai façonnée daprès mes principes, que jen aurai fait un petit philosophe en jupons, bref, quand elle sera femme et non plus fillette, ce me sera une compagnie agréable; elle me distraira. Je ne me suis pas marié, trouvant plus commode la vie de garçon et parce que je ne me sentais pas de goût pour les obligations que comporte létat de père de famille; mais javoue que, à présent que je commence à sentir le poids de lâge et des rhumatismes, la société et les soins dune jeune fille me seront chose précieuse.
Nas-tu pas pensé, Simiès, que cette petite pourrait te causer quelque ennui, élevée comme elle la été par des parents cléricaux, imbus des principes les plus absurdes?
Simiès fit entendre un ricanement aigu en allumant un cigare.
Tu me crois donc bien sot, Félix? Jai déjà travaillé à les faire oublier à Gilberte, ces principes; et cest bien facile, elle na pas dix ans. Va, elle ne sera pas depuis six mois sous ma direction quelle se montrera une petite voltairienne accomplie, fie-toi à moi.
Je ne doute nullement de ton habileté, répondit M. Félix qui se leva pour prendre congé de son ami.
Demeuré seul, Simiès rêva quelques minutes en regardant sélever dans lair la fumée bleue de son londrès, puis Mme Dutel vint le trouver, ayant à lui demander quelques ordres relatifs au dîner du soir.
A propos, Monsieur, ajouta-t-elle sur le point de séloigner et revenant sur ses pas, pour quel jour faut-il préparer le trousseau de Mlle Gilberte?
Le trousseau de Mlle Gilberte? répéta Simiès étonné.
Pourquoi faire, le préparer?
Et pour la pension donc? Monsieur oublie quelle y entre
le mois prochain.
Ah! cest vrai, ma bonne Dutel, jai négligé de vous
prévenir que jai changé didée.
Lenfant va rester ici?
Oui, répliqua la vieillard un peu embarrassé, le médecin la trouve délicate et…
Cest-à-dire que Monsieur la trouve amusante à présent quelle a le diable au corps. Moi je ne suis pas de cet avis; est-ce que ce matin je nai pas rencontré Néro coiffé de mon plus beau bonnet; Monsieur pense-t-il que cest agréable des choses comme ça?
Elle a fait cela?… Ah! jaurais voulu voir Néro ainsi accoutré! sécria Simiès en se tordant de rire; ah! ah! ah! la gamine a des inspirations aussi originales?
Dabord, continua Mme Dutel très piquée, je ne suis pas entrée dans la maison de Monsieur pour y être bonne denfant, et…
Quà cela ne tienne, sortez-en, ma bonne Dutel, sortez-en. Je naurai plus besoin de vous, dailleurs, car je vais donner une institutrice à ma nièce.
Alors Monsieur me renvoie? demanda la femme de charge qui
étouffait de colère à lidée de perdre une si belle place.
Nullement; mais vous paraissez si affligée de ce que je
garde chez moi lenfant de mon neveu…
Moi affligée? Dieu garde! Monsieur me connaît bien peu:
jadore les petites filles.
Alors tout est pour le mieux; soignez Gilberte et montrez- vous complaisante avec elle: vous naurez pas lieu de vous en repentir.
Rassurée, Mme Dutel quitta la chambre et murmura en séloignant:
"Tu mets ça sur le compte de la santé de la gamine, vieille cervelle détraquée, mais tu trouves à présent du plaisir à voir jouer lenfant; ça va aller comme ça jusqu'à la fin de lété; puis si, passé cette époque, elle te gêne ou te lasse, tu sauras bien la coffrer sous un prétexte quelconque. Qui vivra verra."
Puis elle annonça à Gilberte la décision de son oncle; la fillette ne manifesta aucun étonnement.
Je le savais, répondit-elle tranquillement; jai dit à mon
oncle quil me déplairait de vivre au pensionnat.
Voilà quelle le mène déjà par le bout du nez!… sécria Mme Dutel en levant ses grands bras au ciel. Quest-ce que ça sera alors dans un an ou deux?