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II

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Simiès lisait le Quotidien au coin dun magnifique feu de bois, les pieds sur les chenets, chaussé de bonnes pantoufles, vêtu dune splendide robe de chambre fourrée, et tout en fumant un cigare exquis il applaudissait aux inepties de son journal préféré.

La porte souvrit et Mme Dutel poussa devant elle une mignonne fillette en sécriant dune voix nasillarde:

Voilà lenfant, Monsieur; le voyage sest bien accompli, mais la petite demoiselle a dû avoir un peu froid, car elle est pâle et elle na pas voulu manger en route.

Cest bien, Madame Dutel, à présent laissez-nous.

La femme de charge obéit et Simiès demeura seul avec la fillette qui le regardait craintivement à travers le nuage de cheveux dor qui lui couvrait le front.

Elle était blanche comme un lis dans ses vêtements de deuil, mais elle ne semblait pas intimidée en entrant dans cette maison inconnue, et elle se tenait sérieuse, droite comme un cierge.

Bonjour, mon oncle, dit-elle en tendant sa petite main gantée à M. Simiès et sa voix résonna claire et mélodieuse comme un chant.

Bonjour, Gilberte, répondit Simiès en effleurant de ses

moustaches grises le front pur de la fillette.

Elle le regarda de nouveau, fixement, de ses grands yeux noirs, un peu sombres et poursuivit:

Cest vous qui êtes mon tuteur?

Oui, cest moi.

Quest-ce que cest, un tuteur?

Celui qui a droit sur vous à la place de votre père et de votre mère.

A la place de papa et de maman?

Lenfant prononça ces mots dun accent intraduisible et ses prunelles de diamant se voilèrent au souvenir des parents qui nétaient plus.

Elle reprit:

Vous ne me les remplacerez jamais.

Je nai pas cette prétention, riposta Simiès un peu piqué; moi je ne vous passerai pas vos caprices, ny comptez pas. Ils devaient vous gâter, vos parents?

Je ne sais pas, ils me chérissaient comme je les chérissais, voilà tout ce que je peux dire.

Simiès eut un sourire ironique au coin de ses lèvres minces.

Est-ce que vous seriez sentimentale par hasard, petite fille?

Sentimentale, quest-ce que cest?

Au fait, vous ne pouvez comprendre cela, mais je vous

guérirai de vos idées ridicules.

Est-ce donc une idée ridicule que daimer ses parents et de

se souvenir deux sils ne sont plus?

Non certes, mais je vois une chose, cest quon vous a

laissée raisonner tant que cela vous plaisait.

Raisonner? mais oui, tant que ce nétait pas impoli. Maman aimait à savoir ce que je pensais; dailleurs elle mélevait bien.

Ah! vous ne vous ménagez pas les compliments, vous croyez- vous une petite perfection?

Oh! non, mon oncle, jai bien des défauts.

Vraiment? et lesquels?

Lenfant parut embarrassée.

Etes-vous menteuse?

Oh! mon oncle, sécria Gilberte indignée, je nai jamais

menti de ma vie. Mentir, mais cest affreux!

Vraiment? fit Simiès avec son éternel ricanement, alors

vous nêtes pas femme.

Pas femme?

Lenfant ne comprenait pas.

Eh! oui, vous ne connaissez donc pas cette parole dun diplomate arrangée plus tard par je ne sais quel homme desprit: "La parole a été donnée à la femme pour déguiser sa pensée".

Gilberte ouvrit tout grands ses yeux sombres.

Vous ne comprenez pas? Quel âge avez-vous?

Neuf ans, répondit Gilberte en redressant sa taille

fluette.

Vous êtes grande pour votre âge. Et si lon vous coupait

les cheveux, que diriez-vous?

Lenfant recula dun pas et ses prunelles flamboyèrent.

Je ne veux pas!

Ah! vous êtes coquette?

Je ne sais pas, mais maman aimait mes cheveux flottants sur

mes épaules, je veux les conserver ainsi.

Simiès hocha la tête et étendit la main pour tâter la chevelure souple et dorée de la fillette.

Gardez-les, je ne veux pas vous priver dune si jolie parure; dailleurs, je ne vous gronderai jamais pour être vaniteuse; cest permis aux petites filles.

Pourquoi?

Parce que… mais, au fait, vous nêtes pas encore à lâge

où lon a du plaisir à être belle. Vous croyez-vous laide?

Gilberte se haussa sur ses petits pieds afin dapercevoir dans le miroir sa mignonne image.

On ma souvent dit que je suis jolie, mais je ne sais pas

si cest vrai.

Aimeriez-vous à être jolie?

Oh! oui.

Eh! eh! ricana le vieillard, vous allez bien, ma nièce,

déjà femme!

Y a-t-il du mal à désirer cela? Jaime tout ce qui est

beau; je serais désolée dêtre laide.

Bon, voilà pour la coquetterie. Maintenant, êtes-vous

gourmande?

Je ne ferais pas de bassesses pour un bonbon, répondit

dédaigneusement Gilberte, seulement…

Seulement quoi?

Je naime pas beaucoup la soupe et pas du tout les ufs brouillés et les épinards.

Vraiment? eh bien! moi, je vous apprendrai à manger de ces trois choses et vous verrez que, après quelques essais, vous en raffolerez.

Lenfant ne répondit pas, mais sa petite figure exprima leffroi.

Ah! encore une question: êtes-vous curieuse?

Non, mon oncle, maman menseignait à être discrète.

Cest bien, nous verrons cela. Et paresseuse?

Je ne sais pas… peut-être un peu pour me lever de bonne heure lhiver.

Et pour vos études?

Je ne sais pas encore grandchose, mais jaime à apprendre.

Quétudiez-vous?

La musique, puis le calcul, la grammaire, la géographie, lhistoire, langlais et lallemand, le catéchisme…

Simiès bondit.

Le catéchisme?… Vous le laisserez de côté.

Pourquoi? maman y tenait beaucoup.

Oui, votre mère était une bigote, murmura le vieillard entre ses dents. Enfin, reprit-il plus haut, je modifierai votre éducation à mon gré désormais. Vous pouvez maintenant aller jouer ou vous reposer comme vous voudrez; Mme Dutel qui couchera près de vous va vous conduire à votre chambre.

Il sonna la femme de charge qui emmena Gilberte.

Lappartement destiné à la fillette était agréable, car Simiès aimait le luxe partout autour de lui; rose et blanc avec de soyeux rideaux au lit et à la fenêtre, des fleurs fraîches dans des cornets de cristal, un tapis moelleux, un feu clair dans la cheminée, une température douce et égale, des meubles élégants; le regard charmé de Gilberte inspecta les murailles quornaient quelques tableaux représentant des sujets mythologiques ou des membres de la famille Simiès.

Il ny a pas de bon Dieu ici, fit-elle très grave.

Oh! ce nest pas de ces choses-là quil faut chercher chez nous, ma petite demoiselle, répondit Mme Dutel, bonne femme au fond, mais absolument nulle et platement soumise aux idées de son maître.

Pourquoi?

Dame, parce que Monsieur ne croit pas à la religion.

Comment ferai-je ma prière?

Je ne sais pas; il ne faut toujours pas parler de ça à votre oncle, il se fâcherait.

Pourquoi? demanda de nouveau lenfant.

Pourquoi? eh! parce que ça lui déplaît. Est-elle drôle, cette petite, avec ses pourquoi? Je pense bien quelle ne va pas me questionner comme cela sur tout, grommela tout bas la vieille femme.

Gilberte soupira et se laissa enlever ses vêtements de sortie sans plus parler.

Le dîner sonna; elle se rendit à la salle à manger, un peu triste et fatiguée dune journée de voyage.

Ce soir-là son oncle ne la tourmenta pas, et, voyant quelle sendormait sur sa chaise, il ordonna quon lemportât pour la coucher, ce que fit Lazare avec des précautions presque maternelles; le brave garçon était le seul peut-être en cette étrange demeure, qui conçût pour lorpheline une pitié sincère.

Gilberte dormit comme dorment les enfants de son âge, dun sommeil profond et doux, et sa mère, remontée là-haut, dut laisser tomber une larme sur ce front dange qui allait perdre sous ce toit impie la divine candeur et la piété naïve qui semblaient jusquà présent innées en sa petite âme.

Une Pupille Genante

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