Читать книгу Un critique d'art dans l'antiquité - Philostrate et son école - Édouard Bertrand - Страница 22

Vie de Philostrate.

Оглавление

On ne sait presque rien de la vie de Philostrate . Le biographe des autres n’a pas lui-même de biographie. Après avoir parlé des sophistes qui l’ont précédé, l’écrivain s’arrête au moment où l’histoire semble prendre le caractère de mémoires. Les scrupules et les délicatesses de l’amitié lui interdisent de parler des hommes qu’il a connus et auxquels l’affection l’a uni. Un passage de Suidas, un ou deux détails épars dans ses ouvrages, voilà tous les renseignements que nous avons sur lui.

La famille des Philostrate était originaire de l’île de Lemnos. Le père de notre auteur, Philostrate Lemnien, fils de Vérus, né sous Néron, était sophiste comme le fut son fils. Comme lui, il enseigna l’éloquence à Athènes. C’était un bomme distingué, si l’on en juge par la liste de ses ouvrages que nous a laissée Suidas. Outre ceux qu’il avait composés dans la pratique et l’enseignement de son art, comme les autres rhéteurs, exercices oratoires, principes de rhétorique et discours, il y avait encore de lui des tragédies et des comédies, même un traité sur la tragédie, et beaucoup d’autres écrits, ajoute Suidas, qui ne sont pas sans valeur. Son fils, selon toute vraisemblance, lni succéda dans la chaire d’Athènes qu’il quitta plus tard pour aller occuper celle de Rome; c’étaient les deux chaires les plus éminentes dans l’enseignement de la rhétorique. Le nom de sophiste auquel on attache aujourd’hui un sens injurieux était alors un titre d’honneur. Ceux qui le portent sont la plupart des personnages importants. Ils reçoivent la visite des empereurs et des proconsuls. Scopélianos est l’archiéreus de l’Asie, dignité considérable, héréditaire dans sa famille et qui était la source de grandes richesses. Dionysios est nommé satrape par Adrien qui l’inscrit au rang des chevaliers. Polémon se voit comblé d’honneurs à Smyrne, où il exerce une sorte de magistrature. Cette dernière ville est avec Ephèse celle où les sophistes jouissent surtout d’une considération éminente. Une jeunesse brillante que leur réputation attire de tous les points de l’Asie les entoure. Riches, ils prodiguent leur fortune pour le plus noble usage, et, embellissant à l’envi les villes qu’ils habitent, ils deviennent les bienfaiteurs des cités.

Tels sont les hommes parmi lesquels se range Philostrate. La prédilection toute particulière qu’il professe pour le plus distingué de tous, pour Hérode Atticus, ne serait-elle pas comme un indice de ses goûts personnels? Nous avons déjà dit un mot de ce dernier, de sa passion pour l’art, de sa magnificence. Il semble que Philostrate voie en lui le type accompli du rhéteur. C’est à Hérode qu’il a consacré le chapitre le plus important de son histoire des sophistes; c’est vers lui que sa pensée se reporte sans cesse avec complaisance dans les autres biographies; enfin c’est à un homme appartenant à sa famille, au consul Antonius Gordianus, qu’il dédie son ouvrage . Privés comme nous le sommes de toute espèce de renseignements sur le caractère de notre sophiste, ne nous est-il pas permis de considérer cet hommage comme inspiré non seulement par l’admiration, mais aussi par une secrète sympathie de nature et de goûts?

Philostrate nous apprend lui-même qu’il eut pour maîtres l’égyptien Proclos, Antipater et Hippodromos. A une époque où sans doute il fréquentait encore l’école, une juvénile admiration le conduit à Ephèse vers le célèbre sophiste Damianos qui accueillait avec bonté tous les visiteurs attirés par sa renommée, et qui voulut bien le recevoir plusieurs fois, insigne honneur pour sa jeunesse. «Je vis un homme, dit-il, tout semblable au coursier de Sophocle et. qui malgré le faix de l’âge retrouvait encore dans la discussion une juvénile vigueur.» A quelle année rapporter les premières études de Philostrate? C’est ce qu’il est impossible de déterminer. Il faut toutefois qu’il ait été l’élève d’Antipater avant l’année 197, époque où celui-ci nommé par l’empereur Commode aux fonctions de secrétaire dut nécessairement abandonner sa classe. On ignore également quand Philostrate passa à la chaire de Rome et quand il fut admis par l’impératrice Julia Domna dans cette savante société de rhéteurs, de philosophes et de géomètres qui l’entouraient et lui composaient une sorte de cour.

Cette princesse distinguée était, dit Philostrate lui-même, passionnée pour tout ce qui regarde l’art de la parole. Elle semble avoir exercé une sorte de patronage sur les lettrés. C’est ainsi que, grâce à sa protection, le thessalien Philicos obtint par l’empereur la chaire d’Athènes; et c’est sans doute au talent qu’elle admira en lui que Philostrate dut la faveur dont il jouit auprès d’elle. Il y a une curieuse lettre de ce dernier à Julia qui nous révèle la nature de leurs relations. Elle paraît être l’œuvre d’un maître s’adressant à son élève; on y entrevoit l’enseignement et les conseils de l’un, les travaux de l’autre, et comme un échange d’idées sur des questions littéraires entre deux beaux esprits. L’éloge pompeux du rhéteur Gorgias qui en fait le sujet nous montre combien le souci et la passion du beau style possédaient alors les esprits. C’est pour satisfaire ce goût qu’à la requête de Julia le rhéteur dut, de sa plume élégante, refaire des mémoires écrits sur Apollonius de Tyane par un certain ninivite dans une langue trop simple au gré de ces esprits raffinés. De là le livre où Philostrate nous raconte les aventures de ce philosophe illuminé. Il est à supposer qu’il ne fut terminé qu’après la mort de l’impératrice, c’est-à-dire après l’année 217; autrement, l’auteur lui aurait dédié un ouvrage entrepris pour lui plaire.

Julia goûta sans doute beaucoup ce rhéteur élégant qui devint un de ses plus intimes familiers; elle l’emmenait partout avec elle; et comme elle suivait elle-même l’empereur dans ses expéditions, Philostrate fut conduit ainsi à visiter beaucoup de pays. Il avait, nous dit-il lui-mème, parcouru dans ses voyages une grande partie du monde: pérégrinations qui, du reste, peuvent s’expliquer par les habitudes des sophistes. De tout temps, en effet, depuis l’âge de Prodicos de Céos et d’Hippias d’Elis jusqu’au siècle présent, les sophistes étaient allés de ville en ville, faisant partout des sortes de conférences pour lesquelles ils recueillaient un riche salaire. A peine un sophiste était-il arrivé dans une ville que la population accourait, avide de l’entendre. C’est ainsi que la nouvelle de la présence de notre rhéteur à Naples s’étant répandue, les jeunes gens s’empressent autour de lui pour le prier de déclamer en public. Aristide qui, selon une remarque de Philostrate, n’avait pas beaucoup voyagé, avait cependant, au dire du même, visité l’Italie, la Grèce, l’Egypte du Delta et sans doute l’Asie-Mineure, puisqu’on lui éleva une statue à Smyrne. Quant à lui, quels pays parcourut-il? On l’ignore. Nous l’avons vu visitant le sophiste Damianos, à Ephèse. Il fait quelque part allusion à un entretien qu’il aurait eu avec le consul Antonius Gordianus à Antioche, dans le temple de Jupiter Daphnéen. Ailleurs, un récit qu’il fait d’une aventure survenue en Gaule au rhéteur Héliodore nommé procurateur de cette province, permet de reconnaître qu’il assistait à la scène. Ce n’est pas sans raison que nous insistons ainsi sur les nombreux voyages qui avaient rempli la vie de Philostrate. En effet ne doit-on pas en conclure que, passionné comme il l’était pour les choses de l’art, il avait beaucoup vu en ce genre, que, dans tous les pays parcourus par lui, sa curiosité d’amateur avait dû le conduire vers les œuvres célèbres, partout, dans les édifices publics et privés, les galeries, les portiques des temples. Malgré les déprédations des Romains, que de richesses artistiques devaient encore posséder les grandes cités, des villes telles qu’Antioche, par exemple, si opulente en monuments et dont Libanius nous trace un brillant tableau; Ephèse, la patrie de Parrhasius et d’Apelle, cité pleine à cette époque de philosophes et de rhéteurs, et qui sans doute s’enorgueillissait encore de plus d’un artiste? C’est ainsi que Rhodes, si célèbre par son Ialysos, outre son peuple de vivantes statues, avait ses galeries d’amateurs, son temple de Bacchus orne de peintures, enfin tous ces trésors d’art que respecta Crantor, l’avide émissaire de Néron.

En Gaule même, Philostrate a pu aussi s’instruire en fait d’art. N’avait-on pas vu sous Néron la cité des Arvernes faisant exécuter un Mercure colossal, et l’artiste, auteur de cette statue, se signalant tellement par son œuvre qu’il était mandé à Rome par l’empereur. Mais c’est surtout dans cette dernière ville et à Athènes que Philostrate a fait son éducation artistique. Athènes, en effet, possédait encore les plus beaux de ses chefs-d’œuvre qu’un siècle plus tard Himère montre aux Ioniens, et Rome tout entière était un véritable musée enrichi de toutes les merveilles de la peinture et de la statuaire.

Il n’est pas supposable qu’un homme comme Philostrate n’ait pas profité de toutes les occasions que lui offrirent ses voyages et ses deux séjours à Athènes et à Rome pour étudier sérieusement les beaux monuments de l’art. Comment croire à cette indifférence de la part de celui qui enthousiaste de la peinture garda auprès de lui comme hôte pendant quatre années Aristodème de Carie, un artiste , de plus écrivain de talent, dans la société duquel il dut même s’instruire de tous les secrets du métier. Nous tenons à constater chez Philostrate ces connaissances artistiques parce qu’il est important qu’on ne voie pas en lui un simple rhéteur dont toute la vie s’est passée dans l’école à enseigner le beau style, mais un amateur distingué qui eut en art des notions positives.

C’est dans les douces jouissances que lui procuraient ses goûts d’artiste et de lettré que la vie de Philostrate s’écoula au sein de cette société instruite et élégante dont il faisait partie. Près de l’impératrice était la sœur de celle-ci, ses deux nièces Julia Mœsa, Julia Soœmias et la sage Mammæa. Il y avait aussi dans ce petit cercle de graves personnages, Papinien et Ulpien, les deux célèbres jurisconsultes. Elien, renommé en ce temps-là pour la douceur de son style, y était sans doute admis et contait à ces curieux et à ces lettrés quelques-unes de ses histoires variées.

L’époque de la mort de Philostrate n’est pas plus connue que la date de sa naissance. Selon Suidas, après avoir passé la plus grande partie de sa vie sous Septime Sévère, il aurait vécu jusqu’au temps de l’empereur Sévère qui, on le sait, monta sur le trône en 222 .

Un critique d'art dans l'antiquité - Philostrate et son école

Подняться наверх