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CHAPITRE II
Grand-père Gâteau.

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Table des matières

Mme d’Almée était demeurée veuve après très-peu de temps de mariage. Elle était enceinte de six mois à la mort de son mari, qu’elle avait épousé par amour. Sa douleur fut telle qu’on craignit un instant la folie.

Les tendres soins dont elle fut entourée. par son beau-père la ramenèrent seuls à la raison, mais ne purent lui rendre la santé. Elle eut une fin de grossesse des plus pénibles.

Martin d’Almée était un ancien marin. Il avait été l’un des plus vaillants chefs de ces petits bâtiments armés en corsaires pendant la lutte de Napoléon Ier contre les Anglais. Dans ses courses multipliées il avait dépensé tant d’énergie, qu’au moment où il se mit au repos il ne lui restait plus au cœur, suivant sa propre expression, que de la tendresse àdépenser en famille.

Or, sa famille se réduisait aujourd’hui à sa bru, puisqu’il venait de perdre son fils unique. Il y avait bien aussi l’enfant que Mme d’Almée portait dans son sein, mais ce n’était qu’une espérance, une sorte de bourgeon fragile qu’il fallait amener jusqu’au fruit, en le préservant de toute avarie menacante.

Le vieux soldat s’était donc établi garde-malade auprès de sa belle-fille. Jamais précautions plus minutieuses n’auraient pu être prises par la femme la plus attentionnée. Ce loup de mer, si terrible naguère, était devenu un agneau de douceur, et sa sollicitude éclairée était admirable, ayant pour guide le cœur, ce merveilleux faiseur de miracles.

L’époque de la délivrance de Mme d’Almée arriva enfin. Elle était très-souffrante, mais l’enfant vivrait.

–Vous voudriez bien que ce fût un garçon, dit à Martin d’Almée un de ses vieux compagnons de courses maritimes qui ne le quittait jamais et qu’on nommait le père Mathurin.

–C’est ce qui te trompe. Je désire follement une petite fille, pour pouvoir la gâter tout à mon aise. Avec un garçon je serais gêné; j’oserais moins me laisser aller à toutes mes faiblesses de grand-père.

–Et vous dites que le terme approche?

–Depuis hier soir le médecin et la sage-femme sont ici tous les deux à demeure. Mais qu’entends-je?… C’est la voix de ma belle-fille!… Elle se plaint, elle crie. Oh! jamais mon cœur n’a tressauté pareillement dans ma poitrine, même lorsque nous allions combattre et vaincre, ou mourir en sautant à l’abordage, un contre vingt, ces maudits insulaires… Je n’ose aller dans la chambre de la patiente… S’il lui arrivait malheur?… Si l’enfant?… Oh! non, plutôt mille morts pour moi… Mathurin, veux-tu que nous prions Dieu? Oui, n’est-ce pas, mon vieux camarade?

Et ces deux hommes de fer tombèrent à genoux, sans quitter la place où ils se trouvaient, dans le jardin soigné par eux, en plein ciel.

Ils priaient et pleuraient à la fois.

Martin d’Almée se releva calme et confiant dans la Providence, qu’il venai d’invoquer.

On entendait les cris de douleur plus accentués poussés par la jeune veuve, prête à devenir mère.

–Va-t-en aux nouvelles, .dit le vieux marin à son compagnon. Je t’attendrai.

Mathurin n’était pas beaucoup plus hardi que son ancien chef, mais il n’osait jamais le contredire ni lui désobéir. C’était une habitude prise depuis si longtemps, qu’elle était devenue chez lui une seconde nature.

Il se lit donc tout petit, et, retenant sa respiration, glissant comme une ombre plutôt que marchant, il entra dans la chambre de douleur.

Le médecin lui dit que tout allait pour le mieux, et que le moment de la délivrance finale était proche.

–Vous pouvez rassurer complètement M. d’Almée, ajouta-t-il. Il va être grand-père.

Mathurin se hâta d’apporter cette bonne nouvelle, en échange de laquelle il reçut une poignée de main tellement accentuée que ses malheureux doigts restèrent collés l’un à l’autre, meurtris, presque saignants.

Le vieux corsaire avait encore la poigne solide et rude.

–Que me disais-tu que tout allait bien? s’écria-t-il au bout de quelques instants avec une impatience fébrile. N’entends-tu pas ces plaintes déchirantes?

–Pardon, répondit Mathurin, c’est le médecin qui a dit cela; je n’ai fait que rapporter ses paroles.

–Tais-toi… L’on n’entend plus rien… Ah! si elle était morte?… Va voir, Mathurin, et reviens vite, ou je t’assom… Va, mon bon camarade. Pardonne-moi, je souffre, je… Mais va donc et reviens.

Mathurin n’eut pas à rentrer dans la chambre de Mme d’Almée. Le docteur venait au-devant des deux vieux compagnons de mer.

–Tout est terminé, cri a-t-il joyeusement; vous voici grand-papa. La mère et l’enfant vont aussi bien que possible.

Martin d’Almée s’était rapproché en quelques enjambées. Il semblait avoir retrouvé ses vingt ans.

–Mais, demanda-t-il, vous ne me dites pas le sexe de l’enfant.

–C’est une charmante petite fille, qui avait bonne envie de vivre, car elle n’a pas mis longtemps à sortir de sa prison de neuf mois. Elle aura de fameux yeux. Déjà elle les a ouverts.

–Vive Dieu! Nos prières ont été écoutées, mon bon Mathurin. Comment pouvait-il en être autrement? Elles étaient courtes et ferventes. Docteur, permettez que je vous serre la main. Je suis certain que ma petite-fille sera heureuse. Elle est venue au monde au moment où deux loyaux marins invoquaient le ciel pour sa mère et pour elle.

L’excellent homme reprit:

–J’étais garde-malade, me voici désormais deux grades de plus. Je vais être bonne d’enfant. Je serai aussi père nourricier, grâce à la belle chèvre blanche que j’ai achetée et que je soignerai moi-même. La veuve de mon fils est trop faible pour pouvoir remplir elle-même ses fonctions de nourrice, mais je ne veux pas que ma petite fille prenne le sein d’une femme étrangère. C’est une tradition de famille. Quand la mère est dans l’impossibilité de s’acquitter de ce devoir imposé par la nature, nos enfants sont élevés au biberon. Ainsi n’ont jamais été introduits chez nous les mauvais instincts ou la mauvaise santé, que peut donner l’intrusion d’un lait étranger.

–Et Vous avez raison, dit le docteur avec plus de chaleur qu’il n’en mettait ordinairement dans ses paroles. Vous êtes dans le vrai, car le lait, c’est le sang. Il serait à souhaiter que la généralité des parents eût les mêmes idées que vous sur cette question. Bien des maladies et bien des vices seraient ainsi écartés en principe.

–Vous savez, docteur, que j’ai pleine confiance en toutes vos appréciations. De plus, votre avis se trouve en cette occasion tout à fait conforme à nos habitudes familiales. J’en suis ravi.

Ils firent un tour de jardin, au bout duquel le docteur dit à Martin d’Almée, qui était pour lui un ami autant qu’un client:

–Je pense que la sage-femme doit avoir terminé la toilette de votre petite-fille. Vous pouvez dès à présent aller lui faire votre visite. Quant à la mère, il faut la laisser tranquille pendant quelques heures. Elle a besoin de repos. Les souffrances n’ont pas été longues, mais leur intensité était telle qu’elle va forcément procurer à la malade un lourd sommeil. Tout, du reste, s’est passé très-normalement. Il n’y a que des soins ordinaires à prendre. Je reviendrai en temps utile. S’il se produisait le plus petit incident, vous n’auriez qu’à m’envoyer chercher. Mathurin a encore de bonnes jambes, et je serai tout prêt à accourir. Au revoir, mes amis.

Les deux marins accompagnèrent le docteur jusqu’à la porte du jardin. Lorsqu’elle fut refermée, Martin d’Almée se mit à courir comme un jeune homme, pour voir plutôt sa petite-fille.

La sage-femme avait déjà coquettement attifé la nouvelle entrante dans la vie. Aussi vint-elle, toute joyeuse, la présenter à Martin d’Almée.

–Vous voici donc, mademoiselle la désirée, se mit à dire ce vieux marsouin de mer, avec des modulations de voix d’une tendresse incroyable. On dit que vous ouvrez dejà les yeux. C’est sans doute pour voir votre grand-père. Bientô t vous lui sourirez, vous lui ferez mille caresses. Et vous aurez raison, car il va vous aimer comme un grand enfant.

D’abord, il déclare à l’avance vouloir faire toutes vos volontés, se plier à tous vos caprices. Vous n’en abuserez pas; vous serez trop gentille pour ça, et vous avez trop bon cœur, mais vous en userez largement. C’est ainsi que je le désire. Quel nom faudra-t-il vous donner?, .. Il vous faut un joli nom, bien doux, bien harmonieux. Eh! parbleu, il est tout trouvé. Mon vieux camarade et moi, nous avons invoqué pour vous l’Etoile de la mer, la patronne des marins, la radieuse Marie. Elle vous a accordé sa protection immédiate. Vous porterez son nom, mademoiselle; il vous donnera le bonheur. Car vous serez heureuse, je le veux, et la volonté d’un enfant de Saint-Malo, descendant, dit-on, d’un Indien, d’un chef des fils du soleil. c’est toujours sacré, ou tout le moins irrésistible. Je n’ose encore ni vous caresser, ni vous embrasser. Vous êtes trop petite, trop fragile, mais comme je vous aime!

M’entendez-vous?…... Certainement Certainement, vous m’entendez.

–Est-ce que vous devenez fou? demanda Mathurin en tirant son ancien chef par le bras.

–Oui, mais d’une bonne et douce folie, la folie d’affection paternelle.

Pendant toute la durée de l’allaitement de la petite Marie, la sollicitude de son .grand-père fut aussi touchante qu’attentive. Au bout de trois mois il dut redoubler de soins, car la pauvre jeune mère fut prise d’une maladie de langueur et succomba bientôt, s’éteignant comme une lampe à laquelle le combustible vient de manquer.

Cette fois la mignonne enfant se trouvait bien complètement orpheline, mais l’aïeul était là pour veiller à tout et remplacer père et mère.

Lui seul prenait soin de la chèvre nourricière. Il lui faisait manger soir et matin une ration de sel pour rendre son lait plus savoureux, plus fortifiant et plus tonique. Les meilleures plantes fourragères lui étaient apportées fraîches à chaque repas.

Le vieux marin la lavait lui-même de la tête aux pieds, baignait ses mamelles blanches et roses, la brossait, la peignait, la bichonnait.

Elle allait et venait dans le jardin, dans l’enclos et dans la maison, suivant sa fantaisie. En raison de cette liberté absolue, la jolie bête avait perdu le caractère fantasque et capricieux qu’on reproche à sa race.

Elle était entièrement domestiquée, adorait la petite fille et venait la caresser avec mille précautions, mille tendresses du regard.

C’était l’ancien loup de mer qui faisait préparer le bain de chaque jour pour sa petite-fille, qui visitait son berceau et ses langes, qui lui donnait le biberon après avoir vérifié si la température du lait était bien celle qu’il fallait. Aucun détail ne lui échappait; il avait l’œil à tout.

Un aussi bon grand-père eut naturellement le premier sourire de sa petite-fille. Ce fut pour lui un grand orgueil et une immense joie.

–Tu vois, Mathurin, s’écria-t-il, que je remplis bien mon rôle de père nourricier, mais comme je suis payé!

L’enfant lui tendait ses petits bras aussitôt qu’elle s’éveillait, et ne perdait pas de vue le moindre de ses pas.

–Ce fut l’âge d’or du bonheur pour le vieux marin.

Dès que la fillette eut cinq ans, il commença à s’occuper de développer ses forces, suivant l’hygiène adopté en Angleterre, et grâce à laquelle, chez nos voisins d’outre–Manche l’on trouve d’aussi beaux enfants dans toutes les classes de la nation.

Il lui faisait faire chaque chaque jour une promenade à pied, en voiture ou en barque. Il l’amenait à la pêche avec lui et Mathurin, toujours dévoué comme un terre-neuve. Elle recevait sa leçon de gymnastique, au lieu d’être fatiguée trop jeune par une institutrice si souvent maussade.

L’aïeul voulait développer le corps avant-d’orner l’esprit. Jusqu’au jour où Marie eut atteint sa septième année, il ne souffrit pas qu’on lui fourrât le nez dans un alphabet. Sa méthode était si bien la bonne, que la fillette eut vite rattrapé ses compagnes dès qu’on s’occupa sérieusement de son instruction, bien que celles-ci eussent pris une avance consi dérable dans leurs études beaucoup plus anciennes. A dix ans, elle les avait dépassées.

L’habitation de Martin d’Almée était des plus confortables et des plus coquettes parmi ces nids de verdure qui font le charme de la Varenne-Saint-Hilaire. Située à mi-côte, au milieu d’un vaste jardin, elle présentait toutes les conditions d’une salubrité parfaite.

Grâce à ce bon air et aux exercices corporels de toute sorte qu’on lui faisait faire, la petite Marie s’était si bien développée qu’elle paraissait beaucoup plus que son âge. Il n’était bruit dans le pays que de sa santé et de sa vigueur, en même temps que de sa beauté et de son charme grandissant chaque jour. A douze ans on la prenait pour une jeune fille.

–On prétend que je la gâte trop, disai l le grand-père avec orgueil, mais que les voisins me montrent un meilleur résultat obtenu par eux ou leurs amis. Marie réalise la riche précocité de la nature espagnole transplantée à quelques lieues de Paris. Il n’y a qu’un marin pour renverser ainsi les longitudes et commander aux influences climatériques.

Tout allait bien.

Marie d’Almée n’abusait pas trop de la faiblesse de son grand-père à son égard. Elle avait une excellente nature, beaucoup de cœur, adorait le vieux marin et ne se montrait point trop exigeante dans ses divers caprices.

Une circonstance, minime par elle-même, mais ayant produit les plus fâcheux résultats dans l’organisation physique de la jeune enfant, vint tout changer.

Marie, grâce à l’éducation fortifiante que son grand-père lui donnait, avait acquis beaucoup de courage, de hardiesse et de sang-froid, mais elle n’avait jamais pu se guérir d’une appréhension native contre les chiens.

Un jour qu’elle était un peu en retard dans sa toilette pour aller à la pêche avec son grand-père et le fidèle Mathurin, elle leur dit:

–Passez devant; je vous aurai bientôt rattrapés.

Martin d’Almée ne voulait pas, mais son enjôleuse insista si bien qu’il partit

Marie se mit à courir pour ne pas faire attendre ses deux excellentes nounous, comme elle appelait les deux vieillards dans ses moments de tendresse. Un petit chien la suivit en aboyant. Elle s’arrêta pour le chasser à l’aide de son mouchoir. Le roquet sauta sur elle et la mordit légèrement au bas de la jambe.

La pauvre enfant perdit connaissance immédiatement. Des voisins vinrent la relever et lui donner leurs soins, mais ils ne purent la faire revenir à elle.

Personne ne voulait se charger d’aller prévenir le grand-père. On redoutait l’explosion de sa première douleur.

La morsure d’un chien, si bénigne qu’elle soit, esttoujours effrayante, puisqu’elle peut faire songer à l’hydrophobie, ce mal infernal.

On commença par aller chercher le docteur.

Martin d’Almée, ne voyant pas arriver sa petite-fille, était revenu sur ses pas. Il aperçut un rassemblement auprès de la maison où l’on avait transporté Marie.

Au même moment le docteur arrivait:

–Qu’y a-t-il donc, docteur? demanda le vieux marin.

–Comment, vous ne savez rien?

–Non. Un de nos voisins aurait-il été victime de quelqu’accident? Si l’on a besoin de moi, qu’on le dise. On doit savoir qu’en pareil cas, je suis toujours là.

–Ce n’est presque rien, paraît-il.

–Alors, je continue d’aller jusqu’à la maison pour chercher Marie, qui se fait trop attendre. A tout à l’heure.

Le docteur ne savait que faire. Fallait-il prévenir immédiatemeht le vieillard, ou le laisser aller jusqu’à son habitation, pour voir au préalable ce qui en était?

Il prit le parti de gagner du temps, d’examiner la fillette, et d’aller ensuite au-devant du grand-père pour le préparer à cette nouvelle douloureuse.

La morsure n’avait rien de grave, mais l’impression avait été telle sur Marie que l’évanouissement persistait toujours. Le docteur n’hésita pas à employer un révulsif énergique; il eut la satisfaction de voir l’inanimée ouvrir les yeux.

–C’est vous, dit-elle, mon bon docteur. Où est mon grand-père?

–Me voici, s’écria Martin d’Almée, qui, n’ayant pas trouvé Marie à la maison, était revenu en courant. Que L’est-il donc arrivé?

–Oh! peu de chose. Un mauvais petit chien…

Rien qu’à ce souvenir, rien qu’en prononçant ce mot, Marie retomba en syncope, mais le docteur l’eut vite ranimée.

–Grand-père, venez m’embrasser, dit l’excellente enfant. Je me sens remise depuis que vous êtes-là.

–Certes, dit le docteur, aucun remède ne saurait valoir ses caresses.

La blessure légère faite par les dents du chien fut pansée, et Marie put rentrer à la maison, avec l’aide de son grand-père et du docteur.

Martin d’Almée exigea du propriétaire du chien qu’il le conduisit à l’Ecole d’Alfort, pour le faire examiner par les professeurs. Il fut reconnu que ce petit mordeur était en parfaite santé.

L’accident de Marie s’était donc borné à une égratignure de peu d’importance, mais il eut les conséquences les plus fâcheuses. Tout le système nerveux avait été ébranlé. La jeune fille perdit la fraîcheur de son teint, devint jaune et bilieuse, impressionnable pour un rien, ombrageuse et irascible, fantasque surtout.

Ses compagnes s’éloignèrent d’elle en la surnommant la duchesse d’Orange, tant à cause de son teint que de sa fierté s’accentuant chaque jour, ou plutôt de ce qu’on prenait pour sa fierté et qui était seulement l’amour croissant de la solitude.

Marie cessa d’aller à la pension et s’isola complètement avec son grand-père, ne voyant plus que lui, le bon Mathurin et l’institutrice qui venait lui donner des leçons. Elle aimait l’étude; ce goût lui ménageait plus d’une consolation dans l’avenir.

Pendant deux ans, elle vécut ainsi, ne frayant avec personne, ne pouvant supporter la simple apparence d’une contrariété, ou l’ombre d’une contradiction, sans avoir une crise de nerfs.

Le docteur ordonnait un redoublement d’exercice, tout en la traitant par l’hydrothérapie.

La jeune fille fit acheter deux vigoureux chevaux, presque de pur sang. Elle les montait tour à tour ou les attelait à sonphaéton, qu’elle conduisait elle-même.

Elle était devenue canotière émérite. Sur cette petite rivière de la Marne, où l’on trouve chaque dimanche une véritable flottille d’amateurs et d’adeptes du Rowing-Club, son coup d’aviron était fort remarqué.

Elle faisait mener grand train à la maison, trop grand train. Son grand-père n’osait rien lui refuser. Sa fortune était toute en argent, sauf la valeur de l’habitation de La Varenne-Saint-Hilaire. Il dépensait le capital comme s’il se fût agi du revenu. Quand Mathurin voulait hasarder quelque observation, son vieux chef lui répondait:

–Marie n’a pas à compter avec l’avenir. Elle est assez charmeresse pour épouser celui qu’elle voudra agréer parmi les millionnaires qui accourront demander sa main. Et puis, dans son état actuel de santé, je ne puis ni ne dois la contrarier. La seule chose qui me fasse peine, c’est qu’elle se plaît à faire des dettes, malgré que je ne lui refuse rien. Je lui en ai fait l’observation plusieurs fois, mais elle recommence toujours. Il faut bien payer soit chez la couturière, soit chez la modiste.

Pourvu que je ne lui donne pas une trop mauvaise habitude, et qu’elle n’en souffre pas plus tard, lorsque je ne serai plus là. C’est ma seule crainte. Baste, je la marierai avant d’aller rejoindre son père et sa mère dans la mort. L’important est de lui choisir le mari qu’il faut à son caractère et à son habitude d’être gâtée. Quand le moment sera venu, je m’en charge. J’ai toujours bon coup d’œil.

La Créole parisienne

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