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CHAPITRE IV
Dangereux mariage

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Table des matières

Avec ce tact exquis et cette délicatesse de sentiment, innés chez la femme, qu’elle soit jeune ou mûrie par l’âge, Marie d’Almée se chargea elle-même de rendre moins pénible la démarche de Marcellus Dereddy auprès de son grand-père. Elle prit son air le plus caressant, son charme de càlinerie irrésistible, et dit à l’ancien corsaire:

–Monsieur Dereddy manifeste un réel repentir de ses torts envers vous. Il m’a chargée de vous demander si vous vouliez le recevoir.

–Lui? c’est impossible.

–Ah! grand-père, quel vilain mot! Une chose être impossible, quand je vous la demande? Mais c’est une véritable révolution.

Le front du vieux marin se dérida un peu.

Il reprit:

–Et que viendrait-il faire ici?

–Vous faire des excuses.

–Il te l’a promis?

–Oui.

–Alors, c’est différent. Qu’il vienne.

L’entrevue fut des plus dignes entre le vieillard et le jeune homme.

Marcellus aborda l’ancien marin, en disant:

–Je regrette sincèrement d’avoir provoqué ce qui s’est passé entre nous. Je vous prie de me pardonner et de tout oublier, comme je le ferai moi-même.

–Vos excuses sont trop franches et trop loyales, répondit le vieillard, pour que je ne sois pas heureux de les recevoir et de les accepter. Voici ma main.

Une cordiale étreinte de part et d’autre effaça toute animosité entre ces deux hommes, qui songeaient à s’entre-tuer quelques heures auparavant.

Il y a bien souvent plus de vrai courage à reconnaître ses torts qu’à braver la mort pour les soutenir, mais il est fort difficile d’en venir là. Pour que la chose puisse être acceptée par le public, par ce qu’on appelle la galerie, il faut que les excuses soient présentées par un homme reconnu vraiment brave, ayant fait ses preuves. Sans cela, on parlerait de poltronnerie ou de reculade, et la situation serait intolérable.

Marcellus Dereddy n’avait rien à craindre de ce côté-là, d’autant mieux que la scène décrite par nous entre le vieillard et lui avait eu Marie d’Aimée pour seul témoin.

Du reste, le vieux marin avait accueilli avec un réel attendrissement les excuses, que venait de lui apporter celui avec lequel il comptait se battre dans les vingt-quatre heures. Il en était d’autant plus touché qu’il avait été à même d’apprécier sa bravoure et de lui rendre hommage.

Quand le jeune homme fut parti, Martin d’Almée appela sa petite-fille et résolut de l’interroger sur la part qui lui revenait dans cette circonstance, sur le rôle qu’elle avait joué, sur les démarches qu’elle avait fait faire ou qu’elle avait faites elle-même.

Malgré ses instances, il ne put rien savoir.

–C’est égal, s’écria-t-il avec dépit, rien ne m’ôtera de l’idée que c’est toi, petite fée, qui a tout mené dans cette réconciliation. Tu ne veux rien me dire, mais je veillerai.

Hélas! l’excellent homme ne put veiller longtemps.

Une fluxion de poitrine vint mettre fin à ses jours. Il se sentit perdu dès le premier accès et songea à prendre ses résolutions dernières. L’avenir de Marie le préoccupait seul.

Au moment où les sourires de la jeunesse invitent à la vie, il avait trop souvent bravé la mort pour la redouter aujourd’hui qu’il était accablé par les ans, fatigué par la traversée, comme il le disait dans son langage de marin. Et puis il avait la conscience du devoir bien rempli, qui donne le calme et la sérénité au moment d’entrer dans l’inconnu de l’éternité.

Son notaire ne put lui cacher qu’il lui restait à peine une centaine de mille francs, en outre de l’habitation de La Varenne-Saint-Hilaire.

–Diable! fit l’ancien corsaire. Heureusement que Mathurin est encore debout et alerte. Il veillera sur Marie avec la fidélité d’un chien de garde, jusqu’à ce qu’elle ait trouvé un mari digne d’elle. Sans doute que tous les privilégiés de la fortune ne sont pas aveugles ou abêtis par l’intérêt. Il s’en trouvera bien un pour apprécier mon trésor, Marie ne peut manquer de faire un mariage de princesse. Avec les100.000fr. qui nous restent, elle aura le temps d’attendre. Je n’ai qu’à bien tracer la consigne de Mathurin, je puis être assuré qu’il la suivra.

Cette confiance aveugle du vieux marin dans la puissance de séduction de sa petite-fille, loin d’être blessante ou ridicule, avait quelque chose de touchant: on sentait si bien chez lui la conviction la plus absolue.

Martin d’Almée voulut que son ancien compagnon d’armes fût le tuteur de l’orpheline qu’il allait laisser. Il fit appeler Marie et lui demanda la promesse de toujours prendre conseil de cette affection qui lui restait, et qu’elle savait lui être si dévouée.

Quand toutes ses recommandations furent faites, Martin d’Almée s’endormit dans la mort avec le calme d’un homme assuré d’avoir bien rempli sa vie.

Il était fort aimé dans le pays. On lui fit des funérailles prouvant le juste empire que prend un honnête homme sur la foule, dans toutes les conditions de la vie et dans toutes les classes de l’échelle sociale. Riches et pauvres étaient venus y assister. Sa petite-fille en fut émue et reconnaissante jusqu’aux larmes.

Tant qu’elle avait été occupée par les différents détails de l’enterrement, tant qu’elle avait conservé auprès d’elle le corps de son grand-père, Marie s’était montrée forte contre le malheur qui venait de la frapper; mais lorsqu’elle fut rentrée de conduire à sa demeure su prême celui qui l’avait tant aimée, ell s’abîma dans sa douleur, ne répondant même pas aux demandes affectueuses de Mathurin.

Elle déclara que de longtemps, bien longtemps, elle ne voulait voir absolument personne.

Mathurin sentait la nécessité de réformer le train de la maison, pour ne pa ébrécher trop vite les cent mille francs de capital qui restaient, mais il ne savait comment s’y prendre pour aborder cette questionauprèsdelajeunefille. Gefutelle-même qui la résolut, dans un moment de spasme plus douloureux que de coutume

–Faites vendre les chevaux et les voitures, mon bon Mathurin, lui dit-elle; renvoyez les domestiques. Je veux que nous restions tous les deux seuls pour parler tout à notre aise de mon grand-père, notre cher mort, et le pleurer comme il le mérite.

Ce fut une grande satisfaction et un débarras d’inquiétude inexprimable pour cet homme, dont la bonté et l’attachement n’endormaient pas la prévoyance.

Marcellus Dereddy venait d’hériter d’un oncle. Il demanda à acheter les chevaux et les voitures mis en vente, et fit dire que le tout serait constamment à la disposition de la jeune fille, qu’il adorait plus que jamais.

Marie songeait à la promesse faite à celui qu’elle ne pouvait s’empêcher de regarder comme son fiancé. C’était sa plus cruelle préoccupation, son inquiétude la plus terrifiante pour l’avenir.

Il lui était difficile de ne pas remercier le jeune homme, lorsqu’elle eut appris l’offre bienveillante qu’il venait de lui faire, après avoir acheté ses chevaux et ses voitures. Jus qu’alors Marcellus avait eu la délicatesse de respecter la résolution prise par la jeune fille de s’isoler dans sa douleur et de ne recevoir aucune visite.

Marie lui en avait été secrètement reconnaissante. Elle jugea qu’elle ne pouvait rester plus longtemps sans le voir, et sans avoir une explication avec lui. Elle chargea donc Mathurin d’aller lui dire qu’elle était prête à le recevoir, et qu’il pouvait se présenter quand il voudrait.

Marcellus ne se fit pas attendre.

La jeune orpheline était plus séduisante que jamais. Grandie par la douleur, elle imposait le respect en même temps que l’admiration. Son adorateur fut ému autant qu’ébloui.

Après les pourparlers et les menus propos pénibles de cette première visite, la jeune fille dit à Marcellus Dereddy avec un accent d’adorable franchise:

–Je n’ai pas oublié la promesse que je vous ai faite, mais avant de la mettre à exécution vous m’accorderez bien le temps de pleurer celui qui fut tout pour moi. Vous ne voudriez pas d’une épouse en robe de deuil. Mais, j’y songe. Il faut savoir avant tout si vos intentions sont demeurées les mêmes, et si vou tenez à la réalisation de ma promesse

–Plus qu’à ma vie dans ce monde et dans l’autre.

–Mais êtes-vous certain que vos parents ne s’opposeront pas à ce que vous, millionnaire et fils unique, vous épousiez une orpheline ayant aussi peu de fortune?

–D’abord, répondit Marcellus avec son accent brutal des mauvais quarts d’heure, je me passerais de leur consentement. Je vous épouserais envers et contre tous, mais j’ai un moyen assuré de lever toute opposition de la part de mes parents, c’est de leur dire que pour m’accorder votre main, vous avez exigé que je renonce à mes études au Conservatoire et que j’abandonne mon projet d’entrer au théâtre. Immédiatement vous deviendrez leur idole et leur messie. C’est un vrai sacrifice que je vous fais, car j’aime l’art, mais je suis heureux de sacrifier ainsi mon goût le plus intime en votre faveur.

–Eh bien, nous verrons, quand le terme de mon deuil sera expiré.

–D’ici là je pourrai revenir vous voir?.

–Je vous serai reconnaissante de ne pas venir trop souvent, non pas à cause des médisances du monde, que je dédaigne, mais à cause de moi-même. Du reste, je serais une très-maussade compagne. Pour le moment je n’ai le cœur qu’au chagrin.

–Vous serez obéie, dit Marcellus en saluant et prenant congé de la jeune fille.

Marie était étonnée de tant de soumission.

–Me serais-je trompée? se dit-elle quand son fiancé fut parti. Vaudrait-il mieux que sa physionomie et sa réputation? Mon Dieu! faites qu’il en soit ainsi, puisque j’ai promis de devenir sa femme!

Marcellus, chaque fois qu’il venait voir la jeune fille, lui proposait soit une promenade à cheval, soit une excursion en voiture, soit une course en canot. Marie refusait toujours.

Le jeune homme dissimulait son dépit. Il avait pris la résolution de ronger son frein, d’imposer silence à l’emportement de sa nature; il semblait féru de mansuétude et de douceur, comme d’amour. La jeune fille prenait chaque jour un peu plus de confiance en lui, ou du moins voyait son appréhension native disparaître peu à peu.

Pour activer ces progrès, dont il s’apercevait parfaitement, Marcellus Dereddy eut la bonne inspiration de mettre le fidèle Mathurin dans son jeu. Il parvint à lui persuader que sa jeune maîtresse s’étiolait en restant toujours absorbée dans son chagrin et sa solitude, qu’il fallait la forcer à prendre de l’exercice et de la distraction, que sa santé l’ordonnait. On gagna le docteur, qui vint donner son avis dans une consultation amicale.

Mathurin et l’excellent docteur, qui avaient vu naître Marie, étaient auprès d’elle de très-bons avocats. Elle avait pour tous les deux une grande affection. Le procès fut gagné en partie. La jeune fille promit de se remettre à canoter.

Bientôt on put admirer chaque jour sur la rivière de la Marne deux élégantes embarcations, conduites l’une par Marie d’Almée, l’autre par Marcellus Dereddy. Elles semblaient deux sœurs jumelles, fendant l’onde avec une régularité d’allure, une précision de coups de rames vraiment extraordinaires.

Les fiancés mettaient à peine cinq heures pour faire le tour de Marne. La jeune fille avait eu bien vite repris sa vigueur et son aisance à gouverner sa barque.

–C’est ainsi que nous descendrons le cours de la vie, quand nous serons mariés, lui dit un jour Marcellus; nous irons presqu’à la dérive d’un rêve céleste. Nos pensées marcheront unies, notre bonheur s’enlacera.

–J’en accepte l’espérance, répondit Marie avec une émotion et un accent de tendresse, qu’elle avait cru il y avait peu de temps ne devoir jamais prendre jour dans son cœur.

Marcellus semblait transformé.

Il avait renoncé à sa double passion du jeu et du vin. Il n’avait plus ses mauvais regards de colère et d’envie. L’amour opère des miracles sur les plus mauvaises natures. Mais on sentait que ce loup avait peine à se faire agneau. Lorsque le jeune dompté d’amour se retrouvait loin de sa fiancée, il avait de soudains tressaillements de mauvais augure. On voyait qu’il était impatient du joug qu’il s’était imposé.

La grâce et la supériorité avec lesquelles Marie d’Almée maniait les avirons excitait l’envie de toutes les dames venant sur la Marne pour canoter ou pour se faire voir en costume écourté. Elles se mirent à jaser sur les promenades fréquentes des deux fiancés. Les moins acerbes parlèrent d’idylle nautique; les plus envieuses lancèrent le gros mot de maîtresse, en parlant de la jeune fille.

L’écho de ces quolibets arriva jusqu’à Marcellus, qui prit immédiatement une résolution remplie de délicatesse et de générosité.

Il alla trouver ses parents, leur fit part de son projet de mariage, en insistant sur la condition imposée par la jeune fille, c’est-à-dire son renoncement à la carrière théâtrale.

Les parents furent ravis. C’était pour eux le retour de l’enfant prodigue, qu’ils avaient tant souhaité.

–Qu’importe la fortune? dit la mère, tu es assez riche pour deux.

–Eh bien, alors, il faut dès aujourd’hui m’accompagner chez ma fiancée, et lui dire que vous l’agréez pour votre bru.

Les jalouses et les envieuses en furent pour leurs frais de méchanceté. La jeune tille eut un élan de tendresse envers son fiancé, en apprenant le soin délicat qu’il avait pris de sa réputation.

–Pendant longtemps, lui dit-elle, j’avoue que j’ai eu une peur instinctive de vous. Aujourd’hui mon appréhension disparait.

–Enfin, murmura-t-il, avec une joie indescriptible.

Le terme du deuil allait arriver, on songea aux préparatifs du mariage. Marie exigea qu’ils fussent des plus simples.

Le jour même de la bénédiction nuptiale, les deux nouveaux mariés devaient partir pour une station balnéaire des côtes de Bretagne, où le père de Marcellus possédait une magnifique villa qu’on avait disposée pour les recevoir.

Marie d’Aimée fut conduite à l’autel par le dévoué Mathurin, qui pleurait de joie en lui voyant faire un mariage aussi riche.

Au sortir de l’église, la jeune épousée reçut une impression des plus douloureuses, toujours à la vue d’un chien. Cet ami de l’homme était réellement pour elle une sorte de cauchemar la poursuivant.

Comme cela arrive fréquemment dans les solennités religieuses, ce jour-là la douleur succédait à la joie, la mort à l’espérance et à la vie. Un corbillard croisa la voiture des nouveaux mariés. Le chien du mort suivait le cadavre de son maître, en poussant de temps à autre des hurlements lamentables.

–Quel présage, ô mon Dieu! se mit à dire la jeune femme, fondant en larmes.

–Tenez-vous mieux, madame, s’écria brutalement Marcellus Dereddy. On pour-. rait dire que vous regrettez de m’avoir épousé.

Marie d’Almée pleurait toujours et ne répondait pas.

Il reprit:

–Je vous ai déjà priée de vous tenir plus convenablement. Ne me le faites pas répéter une troisième fois.

Marie l’entendait à peine.

Il la saisit brusquement par les poignets et se mit à la pincer jusqu’au sang.

A peine marié depuis quelques instants, c’est-à-dire se sentant devenu le maître aux yeux d’une loi faite par des hommes égoïstes et tyrans, il avait déjà laissé sa nature brutale et sa passion de domination malsaine s’étaler au grand jour.

Il levait le masque.

La malheureuse jeune femme le regarda avec effarement et se contenta de murmurer:

–Vous m’avez fait vraiment mal.

Puis elle se mit à songer au sort qui l’attendait avec un homme d’aussi mauvais naturel, ne pouvant se maîtriser même au jour de sa noce.

Elle se dit avec la triste résignation d’une âme blessée pour toujours:

–Ma première impression ne m’avait pas trompée. C’est au malheur et à la souffrance que je suis vouée. 0mon grand-père, veillez sur moi! C’est pour vous que je me suis sacrifiée. Veillez sur moi, et que Dieu me protège!

La Créole parisienne

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