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CONTES ISLANDAIS[1]
Оглавление[Note 1: Icelandic Legends, collected by John Arnason, translated by P.J. Povell and Eirikir Magnusson. Londres, 1866, in-8º.]
Je connais des gens d'esprit, de graves et discrètes personnes, pour qui les contes de fées ne sont qu'une littérature de nourrices et de bonnes d'enfants. N'en déplaise à leur sagesse, ce dédain ne prouve que leur ignorance. Depuis que la critique moderne a retrouvé les origines de la civilisation et restitué les titres du genre humain, les contes de fées ont pris dans l'estime des savants une place considérable. De Dublin à Bombay, de l'Islande au Sénégal, une légion de curieux recherche pieusement ces médailles un peu frustes, mais qui n'ont perdu ni toute leur beauté ni tout leur prix. Qui ne connaît le nom des frères Grimm de Simrock, de Wuk Stephanovitch, d'Asbjoernsen, de Moe, d'Arnason, de Hahn et de tant d'autres? Perrault, s'il revenait au monde, serait bien étonné d'apprendre qu'il n'a jamais été plus érudit que lorsqu'il oubliait l'Académie pour publier les faits et gestes du Chat botté.
Aujourd'hui que chaque pays reconstitue son trésor de contes et de légendes, il est visible que ces récits qu'on trouve partout, et qui partout sont les mêmes, remontent à la plus haute antiquité. La pièce la plus curieuse que nous aient livrée les papyrus égyptiens, grâce à mon savant confrère, M. de Rougé, c'est un conte qui rappelle l'aventure de Joseph. Qu'est-ce que l'Odyssée, sinon le recueil des fables qui charmaient la Grèce au berceau? Pourquoi Hérodote est-il à la fois le plus exact des voyageurs et le moins sûr des historiens, sinon parce qu'à l'exposé sincère de tout ce qu'il a vu, il mêle sans cesse les merveilles qu'on lui a contées? La louve de Romulus, la fontaine d'Égérie, l'enfance de Servius Tullius, les pavots de Tarquin, la folie de Brutus, autant de légendes qui ont séduit la crédulité des Romains. Le monde a eu son enfance, que nous appelons faussement l'antiquité; c'est alors que l'esprit humain a créé ces récits qui édifiaient les plus sages et qui, aujourd'hui que l'humanité est vieille, n'amusent plus que les enfants.
Mais, chose singulière et qu'on ne pouvait prévoir, ces contes ont une filiation, et, quand on la suit, on est toujours ramené en Orient. Si quelque curieux veut s'assurer de ce fait, qui aujourd'hui n'est plus contestable, je le renvoie au savant commentaire du Pancha-Tantra, qui fait tant d'honneur à l'érudition et à la sagacité de M. Benfey. Contes de fées, légendes, fables, fabliaux, nouvelles, tout vient de l'Inde; c'est elle qui fournit la trame de ces récits gracieux que chaque peuple brode à son goût. C'est toujours l'Orient qui donne le thème primitif; l'Occident ne tire de son fonds que les variations.
Il y a là un fait considérable pour l'histoire de l'esprit humain. Il semble que chaque peuple ait reçu de Dieu un rôle dont il ne peut sortir. La Grèce a eu en partage le sentiment et le culte de la beauté; les Romains, cette race brutale, née pour le malheur du monde, ont créé l'ordre mécanique, l'obéissance extérieure et le règne de l'administration; l'Inde a eu pour son lot l'imagination: c'est pourquoi son peuple est toujours resté enfant. C'est là sa faiblesse; mais, en revanche, elle seule a créé ces poèmes du premier âge qui ont séché tant de larmes et fait battre pour la première fois tant de coeurs.
Par quel chemin les contes ont-ils pénétré en Occident? Se sont-ils d'abord transformés chez les Persans? Les devons-nous aux Arabes, aux Juifs, ou simplement aux marins de tous pays qui les ont partout portés avec eux, comme le Simbad des Mille et une Nuits? C'est là une étude qui commence, et qui donnera quelque jour des résultats inattendus. En rapprochant du Pentamerone napolitain les contes grecs que M. de Hahn a publiés il y a deux ans, il est déjà visible que la Méditerranée a eu son cycle de contes, où figurent Cendrillon, le Chat botté et Psyché. Cette dernière fable a joui d'une popularité sans bornes. Depuis le récit d'Apulée jusqu'au conte de la Belle et la Bête, l'histoire de Psyché prend toutes les formes. Le héros s'y cache le plus souvent sous la peau d'un serpent, quelquefois même sous celle d'un porc (Il Re Porco de Straparole, anobli et transfiguré par Mme d'Aulnoy en Prince Marcassin), mais le fonds est toujours reconnaissable. Rien n'y manque, ni les méchantes soeurs que ronge l'envie, ni les agitations de la jeune femme partagée entre la tendresse et la curiosité, ni les rudes épreuves qui attendent la pauvre enfant. Est-ce là un conte oriental? Le nom de Psyché, qui, en grec, veut dire l'âme, ferait croire à une allégorie hellénique; mais, ici comme toujours, si à force de grâce et de poésie la Grèce renouvelle tout ce qu'elle touche, l'invention ne lui appartient pas. La légende se trouve en Orient, d'où elle a passé dans les contes de tous les peuples[1]; souvent même elle est retournée; c'est la femme qui se cache sous une peau de singe ou d'oiseau, c'est l'homme dont la curiosité est punie. Qu'est-ce que Peau d'âne, sinon une variation de cette éternelle histoire avec laquelle depuis tant de siècles on berce les grands et les petits enfants?
[Note 1: Benfey, Einleitung, § 92.]
En ai-je dit assez pour faire sentir aux hommes sérieux qu'on peut aimer les contes de fées sans déchoir? Si, pour le botaniste, il n'est pas d'herbe si vulgaire, de mousse si petite qui n'offre de l'intérêt parce qu'elle explique quelque loi de la nature, pourquoi dédaignerait-on ces légendes familières qui ajoutent une page des plus curieuses à l'histoire de l'esprit humain?
La philosophie y trouve aussi son compte. Nulle part il n'est aussi aisé d'étudier sur le vif le jeu de la plus puissante de nos facultés, celle qui, en nous affranchissant de l'espace et du temps, nous tire de notre fange et nous ouvre l'infini. C'est dans les contes de fées que l'imagination règne sans partage, c'est là qu'elle établit son idéal de justice, et c'est par là que les contes, quoi qu'on en dise, sont une lecture morale.—Ils ne sont pas vrais, dit-on.—Sans doute, c'est pour cela qu'ils sont moraux. Mères qui aimez vos fils, ne les mettez pas trop tôt à l'étude de l'histoire; laissez-les rêver quand ils sont jeunes. Ne fermez pas leur âme à ce premier souffle de poésie. Rien ne fait peur comme un enfant raisonnable et qui ne croit qu'à ce qu'il touche. Ces sages de dix ans sont à vingt des sots, ou, ce qui est pis encore, des égoïstes. Laissez-les s'indigner contre Barbe-Bleue, pour qu'un jour il leur reste un peu de haine contre l'injustice et la violence, alors même qu'elle ne les atteint pas.
Parmi ces recueils de contes, il en est peu qui, pour l'abondance et la naïveté, rivalisent avec ceux de Norwège et d'Islande. On dirait que, reléguées dans un coin du monde, ces vieilles traditions s'y sont conservées plus pures et plus complètes. Il ne faut pas leur demander la grâce et la mignardise des contes italiens; elles sont rudes et sauvages, mais par cela même elles ont mieux gardé la saveur de l'antiquité.
Dans les Contes islandais comme dans l'Odyssée, ce qu'on admire par-dessus tout, c'est la force et la ruse, mais la force au service de la justice, et la ruse employée à tromper les méchants. Ulysse aveuglant Polyphème et raillant l'impuissance et la fureur du monstre est le modèle de tous ces bannis dont les exploits charment les longues veillées de la Norwège et de l'Islande. Il n'y a pas moins de faveur pour ces voleurs adroits qui entrent partout, voient tout, prennent tout et sont au fond les meilleurs fils du monde. Tout cela est visiblement d'une époque où la force brutale règne sur la terre, où l'esprit représente le droit et la liberté.
J'ai choisi deux de ces histoires: la première, qui rappelle de loin la folie de Brutus, nous reporte à la vengeance du sang, vengeance qui n'est point particulière aux races germaniques, mais qui, chez elles, a gardé sa forme la plus rude. La légende de Briam, c'est la loi salique en action; il est évident que, pour nos aïeux, au temps de Clovis, le fils le plus vertueux et le guerrier le plus admirable, c'est celui qui, par force ou par ruse, venge son père assassiné. Que Briam ait ou non vécu, il n'importe guère; son histoire est vraie, puisqu'elle répond au sentiment le plus vivace du coeur humain. Le christianisme nous a enseigné le pardon, la sécurité des lois modernes nous a habitués à remettre notre vengeance à l'État; mais l'homme naturel n'a point changé: il semble qu'une corde jusque-là muette vibre dans son coeur quand la magie d'un conte ressuscite ces passions mortes et réveille un temps évanoui.
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