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III
ОглавлениеIl y avait déjà près de trois mois que le père de Briam reposait dans la tombe, au milieu de ses six enfants, quand le roi donna un grand festin aux principaux officiers de la cour. A sa droite il avait le chef des gardes, à sa gauche était le gros majordome. La table était couverte de fruits, de fleurs et de lumières; on buvait dans des calices d'or les vins les plus exquis. Les têtes s'échauffaient, on parlait haut, et déjà plus d'une querelle avait commencé. Briam, plus fou que jamais, versait le vin à la ronde et ne laissait pas un verre vide. Mais, tandis que d'une main il tenait le flacon doré, de l'autre il clouait deux à deux les habits des convives, si bien que personne ne pouvait se lever sans entraîner son voisin.
Trois fois il avait recommencé ce manège, quand le roi, animé par la chaleur et le vin, lui cria:
—Fou, monte sur la table, amuse-nous par tes chansons.
Briam sauta lestement au milieu des fruits et des fleurs, puis d'une voix sourde il se mit à chanter:
Tout vient à son tour,
Le vent et la pluie,
La nuit et le jour,
La mort et la vie,
Tout vient à son tour.
—Qu'est-ce que ce chant lugubre? dit le roi. Allons, fou, fais-moi rire, ou je te fais pleurer!
Briam regarda le prince avec des yeux farouches, et d'une voix saccadée il reprit:
Tout vient à son tour,
Bonne ou male chance,
Le destin est sourd,
Outrage et vengeance,
Tout vient à son tour.
—Drôle! dit le roi, je crois que tu me menaces. Je vais te châtier comme il faut.
Il se leva, et si brusquement qu'il enleva avec lui le chef des gardes. Surpris, ce dernier, pour se retenir, se pencha en avant et s'accrocha au bras et au cou du roi.
—Misérable! cria le prince, oses-tu porter la main sur ton maître?
Et, saisissant son poignard, le roi allait en frapper l'officier quand celui-ci, tout entier à sa défense, d'une main saisit le bras du roi, et de l'autre lui enfonça sa dague dans le cou. Le sang jaillit à gros bouillons; le prince tomba, entraînant dans ses dernières convulsions son meurtrier avec lui.
Au milieu des cris et du tumulte, le chef des gardes se releva promptement, et, tirant son épée:
—Messieurs, dit-il, le tyran est mort. Vive la liberté! Je me fais roi et j'épouse la reine. Si quelqu'un s'y oppose, qu'il parle, je l'attends.
—Vive le roi! crièrent tous les courtisans; il y en eut même quelques-uns qui, profitant de l'occasion, tirèrent une pétition de leur poche. La joie était universelle et touchait au délire, quand tout à coup, l'oeil terrible et la hache au poing, Briam parut devant l'usurpateur.
[Illustration: En ce moment, la reine entra tout effarée et se jeta aux pieds de Briam.]
—Chien, fils de chien, lui dit-il, quand tu as tué les miens, tu n'as pensé ni à Dieu ni aux hommes. A nous deux, maintenant!
Le chef des gardes essaya de se mettre en défense. D'un coup furieux
Briam lui abattit le bras droit, qui pendit comme une branche coupée.
—Et maintenant, cria Briam, si tu as un fils, dis-lui qu'il te venge, comme Briam le fou venge aujourd'hui son père.
Et il lui fendit la tête en deux morceaux.
—Vive Briam! crièrent les courtisans; vive notre libérateur!
En ce moment, la reine entra tout effarée et se jeta aux pieds du fou en l'appelant son vengeur. Briam la releva, et, se mettant auprès d'elle en brandissant sa hache sanglante, il invita tous les officiers à prêter serment à leur légitime souveraine.
—Vive la reine! crièrent tous les assistants. La joie était universelle et touchait au délire.
La reine voulait retenir Briam à la cour; il demanda à retourner dans sa chaumière, et ne voulut pour toute récompense que le pauvre animal, cause innocente de tant de maux. Arrivée à la porte de la maison, la vache se mit à appeler en mugissant ceux qui ne pouvaient plus l'entendre. La pauvre femme sortit en pleurant.
—Mère, lui dit Briam, voici Bukolla, et vous êtes vengée.