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LIVRE PREMIER
CHAPITRE III
I

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Voici comment les suicides se distribuent sur la carte d'Europe, selon les différents degrés de latitude:


C'est donc dans le sud et au nord de l'Europe que le suicide est minimum; c'est au centre qu'il est le plus développé: avec plus de précision, Morselli a pu dire que l'espace compris entre le 47e et le 57e degré de latitude, d'une part, et le 20e et le 40e degré de longitude, de l'autre, était le lieu de prédilection du suicide. Cette zone coïncide assez bien avec la région la plus tempérée de l'Europe. Faut-il voir dans cette coïncidence un effet des influences climatériques?

C'est la thèse qu'a soutenue Morselli, non toutefois sans quelque hésitation. On ne voit pas bien, en effet, quel rapport il peut y avoir entre le climat tempéré et la tendance au suicide; il faudrait donc que les faits fussent singulièrement concordants pour imposer une telle hypothèse. Or, bien loin qu'il y ait un rapport entre le suicide et tel ou tel climat, il est constant qu'il a fleuri sous tous les climats. Aujourd'hui, l'Italie en est relativement exempte; mais il y fut très fréquent au temps de l'Empire, alors que Rome était la capitale de l'Europe civilisée. De même, sous le ciel brûlant de l'Inde, il a été, à certaines époques, très développé[85].

La configuration même de cette zone montre bien que le climat n'est pas la cause des nombreux suicides qui s'y commettent. La tache qu'elle forme sur la carte n'est pas constituée par une seule bande, à peu près égale et homogène, qui comprendrait tous les pays soumis au même climat, mais par deux taches distinctes: l'une qui a pour centre l'Île-de-France et les départements circonvoisins, l'autre la Saxe et la Prusse. Elles coïncident donc, non avec une région climatérique nettement définie, mais avec les deux principaux foyers de la civilisation européenne. C'est, par conséquent dans la nature de cette civilisation, dans la manière dont elle se distribue entre les différents pays, et non dans les vertus mystérieuses du climat, qu'il faut aller chercher la cause qui fait l'inégal penchant des peuples pour le suicide.

On peut expliquer de même un autre fait que Guerry avait déjà signalé, que Morselli confirme par des observations nouvelles et qui, s'il n'est pas sans exceptions, est pourtant assez général. Dans les pays qui ne font pas partie de la zone centrale, les régions qui en sont le plus rapprochées, soit au Nord soit au Sud, sont aussi les plus éprouvées par le suicide. C'est ainsi qu'en Italie il est surtout développé au Nord, tandis qu'en Angleterre et en Belgique il l'est davantage au Midi. Mais on n'a aucune raison d'imputer ces faits à la proximité du climat tempéré. N'est-il pas plus naturel d'admettre que les idées, les sentiments, en un mot, les courants sociaux qui poussent avec tant de force au suicide les habitants de la France septentrionale et de l'Allemagne du Nord, se retrouvent dans les pays voisins qui vivent un peu de la même vie, mais avec une moindre intensité? Voici, d'ailleurs, qui montre combien est grande l'influence des causes sociales sur cette répartition du suicide. En Italie, jusqu'en 1870, ce sont les provinces du Nord qui comptaient le plus de suicides, le Centre venait ensuite et le Sud en troisième lieu. Mais peu à peu, la distance entre le Nord et le Centre a diminué et les rangs respectifs ont fini par être intervertis (Voir tableau X, ci-dessus). Le climat des différentes régions est cependant resté le même. Ce qu'il y a eu de changé, c'est que, par suite de la conquête de Rome en 1870, la capitale de l'Italie a été transportée au centre du pays. Le mouvement scientifique, artistique, économique s'est déplacé dans le même sens. Les suicides ont suivi.


Tableau X

Distribution régionale du suicide en Italie.


Il n'y a donc pas lieu d'insister davantage sur une hypothèse que rien ne prouve et que tant de faits infirment.

Le Suicide: Etude de Sociologie

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