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MARJOLAINE

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Cependant l'office des moines terminé, tandis que deux ou trois bonnes vieilles achevaient leurs patenôtres, non sans remuer le menton, comme si lui et leur nez se fussent mutuellement porté un défi, une gentille et blonde petite jouvencelle de dix-sept ans restait aussi bien dévotement devant sa chaise, agenouillée, et relevait de temps en temps ses grands yeux baissés pour regarder du côté de l'autel. Elle était rosé comme un chérubin et avait les yeux bleus et doux comme les doit avoir la Vierge Marie elle-même; toutefois, dans cette douceur, étincelait je ne sais quelle naïve mais toute féminine malice: telle je me représenterais volontiers madame Eve, prête à mordre au fruit défendu, sans croire elle-même qu'elle y touche: nature, hélas! a tant par sa propre faiblesse de propensions au péché!

Or, si jamais péchés peuvent être mignons et jolis, tels devront être sans contredit les tendres péchés de Marjolaine. Marjolaine est la fille du brave Guillaume, le closier de la Chesnaie; sa mère en raffole, tant elle la trouve gentille; et le papa, qui ne dit pas tout ce qu'il en pense, se complaît à entendre et voir raffoler la maman. Tout le monde s'ébaudit dans la maison au sourire de Marjolaine, et si elle a l'air de bouder, toute la maison est chagrine. C'est sa petite moue qui fait les nuages et ses yeux qui font le soleil; elle est reine dans la closerie: aussi sa jupe est-elle toujours proprette et ses coiffes toujours banchettes; sa taille fine est serrée dans un corsage de surcot bleu, et quand, pendant la semaine, elle vient à l'église des frères, elle a toujours l'air d'être endimanchée. Personne pourtant ne se moque d'elle; elle est si mignonne et si gentille! et puis d'ailleurs les fillettes des environs auraient bien tort d'être jalouses, Marjolaine ne va jamais à la danse, Et les amoureux, déjà éconduits plus d'une fois, n'osent déjà plus lui parler. Elle ne se plaît qu'à la messe où à vêpres, pourvu que ce soit dans l'église des moines; et pourtant elle n'a pas la mine triste d'une dévote ni l'oeil pudibond d'une scrupuleuse. Pourquoi donc, non contente de l'office qui vient de finir, est-elle à genoux la dernière, lorsque les vieilles elles-mêmes font un signe de croix et s'en vont?

Allons, gentille Marjolaine, levez-vous; voici frère Lubiri qui vient ranger les chaises, car c'est son tour aujourd'hui de balayer le saint lieu; il s'arrête près de la jeune fille et semble craindre de la déranger; elle lève les yeux, ses regards ont rencontré ceux du novice, il va lui parler; mais il tourne d'abord la tête pour voir si quelqu'un ne le regarde pas, et, à l'entrée de la grille du coeur il aperçoit frère Paphnuce!…

La jolie enfant fait son signe de croix et se lève; elle s'en va lentement et sans se retourner; mais, sur son banc, elle a oublié le livre d'heures de sa mère. Frère Lubin s'en aperçoit, il prend le livre, puis semble ramasser à terre et y remettre une image qui sans doute en était tombée; puis candidement et les yeux baissés, il le rapporte à Marjolaine, qui le reçoit avec une profonde révérence.

Frère Paphnuce fait la grimace et fait signe à frère Lubin de continuer son ouvrage; puis, s'approchant de Marjolaine:

—Jeune fille, lui dit-il d'un ton assez peu caressant, il ne faut pas rester dans l'église après l'office; allez travailler près de votre mère afin que le démon de l'oisiveté ne vous tente pas, et priez Dieu qu'il vous pardonne vos péchés de coquetterie tant vous êtes toujours pomponnée et pincée comme une comtesse!

Ayant ainsi apostrophé la jeune fille, frère Paphnuce lui tourna le dos, et elle s'en allait toute confuse, le coeur gros d'avoir été appelée coquette; le frère Lubin se retourna pour la voir sortir, et elle aussi, près de a porte, jeta en tapinois un regard à frère Lubin qui devint rouge comme une fraise et qui se mit à ranger l'église, s'échauffant à la besogne et n'avançant à rien; car deux ou trois fois commençait-il la même chose et plus voulait-il paraître tout occupé des soins qu'il prenait, plus on eût pu voir que sa pensée était ailleurs et que son coeur était tout distrait et troublé. Or, cependant s'en retournait à petits pas, cheminant vers la closerie, Marjolaine la blonde, le long de la haie d'églantiers, effeuillant de temps en temps sans y songer la pointe des jeunes branches et prêtant l'oreille et le coeur aux oiseaux et à ses pensées, qui faisaient harmonieusement ensemble un concert de mélodie et d'amour. La douce senteur des arbres fleuris et de l'herbe verte ajoutait à la réjouissance de l'air tiède et resplendissant: Marjolaine marcha seule ainsi jusqu'au détour du clos de Martin, à l'avenue qui commence entre deux grands poiriers; là, bien sûre que personne ne pouvait la voir, elle ouvrit bien vite le gros livre d'heures et en tira, au lieu de l'image que frère Lubin était censé y avoir remise, un petit papier soigneusement replié, qu'elle ouvrit avec empressement et qui contenait ce qui suit:

«Frère Lubin à Marjolaine,

«Je fais peut-être bien mal de t'écrire encore, Marjolaine, et pourtant mon coeur me ferait des reproches et ne serait pas tranquille si je ne t'écrivais pas. Mon coeur et aussi, ce me semble, la loi du bon Dieu, veulent à la fois que je t'aime, et la règle du couvent me défend de penser à toi, comme si de ceux qu'on aime la pensée ne nous occupait pas sans qu'on y songe et tout naturellement. Depuis bientôt quinze ans, je pense, nous nous aimons: car tu m'appelais ton petit mari lorsque nous avions quatre ou cinq ans; croiras-tu que je pleure quelquefois quand j'y pense? Oh! c'est que je t'aimais bien, vois-tu, ma pauvre Marjolaine, lorsque nous étions tous petits! pourquoi avons-nous été séparés si jeunes? il me semble que nous serions restés enfants toujours, si nous étions restés ensemble! Et maintenant que nous avons grandi tristement, chacun tout seul, frère Paphnuce prétend que c'est mal de nous regarder et qu'il ne faut plus s'aimer lorsqu'on est grand. Eh bien! moi, c'est tout le contraire; il me semble que je l'aime maintenant plus que jamais! Combien je suis content lorsque je viens tard au choeur et que par pénitence on me fait rester après les autres à l'église! car toi aussi tu restes souvent après les autres, et alors sans être observé je puis te regarder un peu… m'approcher de toi quelquefois, et le coeur me bat alors, je ne sais si c'est de crainte ou de plaisir, mais si fort, si fort, que je crains de me trouver mal. Oh! Marjolaine!… et pourtant il faut rester au couvent; il faut bientôt prononcer mes voeux! Mes parents ont donné ma vie pour celle de ma soeur: ma soeur est bien jolie aussi, et l'on dit qu'elle mourrait si je ne prononçais pas mes voeux, parce que saint François serait irrité contre nous.—Plains-moi, oh! plains-moi. Marjolaine! je ferai mes voeux dans trois Jours!»

«Frère LUBIN.»

La pauvre fille, jusque-là si empressée, si vermeille et si joyeuse, pâlit tout à coup en achevant la lecture de ce billet. Elle le cacha dans sa gorgerette, laissa tomber son livre d'heures, et, prenant à deux mains son tablier qu'elle porta à ses yeux, elle se prit à pleurer et à sangloter comme une enfant.

Lorsqu'elle arriva à la closerie, elle avait les yeux tout rouges et tout enflés. Elle se jeta au cou de sa mère en lui disant qu'elle était malade. Sa mère voulait la déshabiller et la mettre au lit; mais elle s'y refusa, craignant de ne pouvoir assez bien cacher, si elle quittait sa gorgerette et son corset devant sa mère, la missive de frère Lubin. Elle se retira donc seule dans sa chambrette, et laissant entr'ouverte la fenêtre qui donnait sur le clos des pommiers, elle se jeta sur son lit, et donna encore une fois un libre cours à ses pleurs, tandis que sa mère inconsolable mettait à la hâte un mantelet pour accourir à la Basmette et consulter maître François, dont le savoir en médecine était connu dans tout le pays. Le père et les valets étaient aux champs, en sorte que la désolée pauvre petite Marjolaine resta seule à la closerie.

Le sorcier de Meudon

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