Читать книгу Le sorcier de Meudon - Eliphas Levi - Страница 9

LA BASMETTE

Оглавление

Or, vous saurez, si vous ne le savez déjà, que la Basmette était une bien tranquille et plantureuse jolie petite abbaye de franciscains, dans le fertile et dévotieux pays d'Anjou. Tranquille et insoucieuse, en tant que les bons frères mieux affectionnaient l'oraison dite de Saint-Pierre, qui si bien sommeillait au jardin des Olives à tout le tracas de l'étude et à la vanité des sciences; plantureuse en bourgeons, tant sur les vignes que sur le nez de ses moines, si bien que la vendange et les bons franciscains semblaient fleurir à qui mieux mieux, avec émulation de prospérité et de mérite; les frères étant riants, vermeils et lustrés comme des raisins mûrs; et les grappes du cloître et du clos environnant, rondelettes, rebondies, dorées au soleil et toutes mielleuses de sucrerie aigre-douce, comme les bons moines.

Comment et par qui fut premièrement fondée cette tant sainte et béate maison, les vieilles chartes du couvent le disent assez pour que je me dispense de le redire; mais d'où lui venait le nom de Basmette, ou baumette, comme qui dirait, petite baume? c'est de la légende de madame sainte Madeleine, qui, pendant longues années, expia, par de rigoureuses folies de saint amour, les trop douces folies d'amour profane dont un seul mot du bon Sauveur lui avait fait sentir le déboire et l'amertume, tant et si bien qu'elle mourut d'aimer Dieu, lorsqu'elle eut senti l'amour des hommes trop rare et trop vite épuisé pour alimenter la vie de son pauvre coeur. Et ce fut dans une merveilleuse grotte de la Provence, appelée depuis la Sainte-Baume, à cause du parfum de pieuse mélancolie et de mystérieux sacrifice que la sainte y avait laissé, lorsque Jésus, touché enfin des longs soupirs de sa triste amante, l'envoya quérir par les plus doux anges du ciel.

Or, la Sainte-Baume était devenue célèbre par toute la chrétienté, et le couvent des Franciscains d'Anjou, possédant une petite grotte où se trouvait une représentation de la Madeleine repentante, avait pris pour cela le nom de Baumette ou Basmette, comme on disait alors, d'autant que Basme, en vieux français, était la même chose que Baume.

Il y avait alors à la Basmette, et l'histoire qu'ici je raconte est du temps du roi de François Ier, il y avait, dis-je, en cette abbaye, ou plutôt dans ce prieuré, vingt-cinq ou trente religieux, tant profès que novices, y compris les simples frères lais. Le prieur était un petit homme chauve et camus, homme très-éminent en bedaine, et qui s'efforçait de marcher gravement pour assurer l'équilibre de ses besicles, car besicles il avait, par suite de l'indisposition larmoyante de ses petits yeux qui lui affaiblissait la vue. Était-ce pour avoir trop regretté ses péchés ou pour avoir trop savouré les larmes de la grappe? Était-ce componction spirituelle ou réaction spiritueuse? Les mauvaises langues le disaient peut-être bien: mais nous, en chroniqueur consciencieux et de bonne foi, nous nous bornerons à constater que le prieur avait les yeux malades et qu'il trouvait dans son nez camus de très-notables obstacles à porter décemment et solidement ses besicles.

Rien n'est tel que l'oeil du maître, dit le vieux proverbe, et le couvent est à plaindre dont le prieur ne voit pas plus loin que son nez, surtout s'il a le nez camus! Aussi, dans le couvent de la Basmette, tout allait-il à l'abandon, selon le bon plaisir du maître des novices, grand moine, long, sec et malingre, mieux avantagé en oreilles qu'en entendement, ennuyé de lui-même, et partant acariâtre, comme s'il eût voulu s'en prendre aux autres de son insuffisance et de son ennui: retors en matière de moinerie, scrupuleux en matière de bréviaire, grand carillonneur de cloches, grand instigateur de matines, ne dormant que d'un oeil et toujours prêt à glapir comme les oies du Capitole, ces bonnes sentinelles romaines que les papes devraient donner pour blason à la moinerie moinante, cette maîtresse du monde moiné.

Frère Paphnuce, c'était le nom du maître des novices, se croyait l'âme du monastère parce qu'il y faisait le plus de bruit; et il était, en effet, comme la peau d'âne est l'âme d'un tambour. Aussi c'était sur lui que tombaient, dru comme pluie, les quolibets clandestins et les tours narquois des novices; ce que leur faisait rendre le saint homme en menus coups de discipline, que le prieur, stylé par lui, leur imposait pour pénitence quand venaient les corrections du chapitre.

Aussi les novices, qui le craignaient autant qu'ils le chérissaient peu, cherchaient-ils à opposer aux sévérités capricieuses du frère Paphnuce, l'influence du frère François, et allaient-ils lui conter leurs chagrins. Nous dirons tout à l'heure ce que c'était que le frère François; mais, puisque nous en sommes sur le chapitre des novices, il en est un surtout avec lequel nous devons d'abord faire connaissance, et cela pour causes que vous connaîtrez tout à l'heure.

Frère Lubin était le fils aîné d'un bon fermier des environs de la Basmette. Sa vocation religieuse était toute une légende, dont les moines se promettaient bien d'enrichir un jour leur chronique. Sa mère étant en travail d'enfant pour lui donner une petite soeur, s'était trouvée réduite à l'extrémité; et, de concert avec Jean Lubin, son bon homme, elle avait voué à saint François son premier enfant, Léandre Lubin, âgé alors de six ans et demi.

Que saint François ait ou non de l'influence sur les accouchements, ce n'est pas ici le lieu de le débattre. Que ce soit donc protection du saint ou aide toute simple de la nature, la mère fut heureusement délivrée, et le jeune Lubin livré… à la discipline des disciples de saint François.

Or, depuis douze ans déjà, le jeune Lubin était le commensal des habitants de la Basmette. C'était un long noviciat. Mais le frère François avait obtenu du père prieur qu'aucun novice ne ferait ses voeux définitifs qu'il n'eût au moins ses dix-neuf ans sonnés, expression qui, ce me semble, convient surtout aux années de cette vie claustrale, dont tous les instants et toutes les heures se mesurent au son de la cloche.

Frère Lubin avait donc dix-huit ans et quelques mois, et mieux semblait-il fait pour le harnais que pour la haire. Grand, bien fait, le teint brun, la bouche vermeille, les dents bien rangées et blanches à faire plaisir, l'oeil bien fendu et ombragé de cils bien fournis et bien noirs, il donnait plus d'une distraction pendant l'office aux bachelettes qui venaient les dimanches et fêtes accomplir leurs devoirs dans l'église des bons pères. On assure même que le fripon profitait plus d'une fois, pour risquer un regard de côté, de l'ombre de son capuchon, où ses grands yeux étincelaient comme des lampes de vermeil au fond d'une chapelle obscure.

Ce charmant moinillon était l'enfant gâté du père prieur et le principal objet du zèle de frère Paphnuce. L'un ne le quittait guère, et l'autre le cherchait toujours. C'était lui qui arrangeait et entretenait propre la cellule du prieur, lui qui secouait la poussière des in-folios que le père n'ouvrait jamais, lui encore qui frottait et éclaircissait les besicles. Il disait les petites heures avec le révérend lorsqu'une indisposition quelconque l'avait empêché d'aller au choeur. Le père prieur, alors, s'assoupissait un peu sous l'influence de la psalmodie; son large menton s'appuyait mollement sur sa poitrine, les besicles tombaient sur le livre de parchemin gras aux caractères gothiques et enluminés; alors frère Lubin s'esquivait sur la pointe du pied et sortait doucement dans le corridor, où, presque toujours, il rencontrait frère Paphnuce.

—Où allez-vous? lui demandait celui-ci.

—Dans notre cellule, répondait frère Lubin; le père prieur repose, et je crains de le réveiller.

—Venez à l'église, reprenait l'impitoyable maître des novices; l'office ne fait que commencer; j'ai remarqué votre absence, et je vous cherchais.

—Mais, mais, mon père…

—Allons, point de réplique. Vous dînerez aujourd'hui à genoux au milieu du réfectoire.

—Mais, je ne réplique pas, mon père, je voulais vous observer seulement que j'ai laissé notre bréviaire…

—Chez le père prieur? allez le prendre et ne faites pas de bruit.

—Non, chez le frère médecin.

—Chez le frère médecin? et qu'alliez-vous encore y faire? Je vous ai défendu d'entrer dans la cellule de maître François; je vous défends maintenant de lui parler! ce n'est pas une société convenable pour des novices. L'étude de la médecine entraîne une foule de connaissances contraires à notre saint état… Et puis… enfin, je vous le défends; est-ce entendu?

Le novice tournait le dos et faisait la moue. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

En ce moment un bruit de pas lents et graves mesura les escaliers et la longueur du corridor: un moine de haute taille, ayant de grands traits réguliers, une bouche fine et spirituelle, entourée d'une barbe blonde qui se frisait en fils d'or, des yeux pensifs et malicieux, s'approcha de la porte du prieur: la figure boudeuse du frère Lubin s'épanouit en le voyant, et il lui fit un joyeux signe de tête, tout en mettant un doigt sur sa bouche, comme pour faire comprendre au nouveau venu qu'ils ne devaient pas se parler.

C'était le frère médecin.

Il sourit à la mine embarrassée du novice et fit à frère Paphnuce une profonde révérence en plissant légèrement le coin des yeux et en relevant les coins de sa bouche, ce qui lui fit faire la plus moqueuse et la plus spirituelle grimace qu'il fût possible d'imaginer.

Frère Paphnuce ne fit pas semblant de le voir, et poussant devant lui le novice, qui regardait encore maître François par-dessus son épaule, il descendit à la chapelle et arriva encore à temps pour naziller une longue antienne dont le chantre le gratifia dès son retour au choeur. Quant à frère Lubin, il fourra ses mains dans les manches de sa robe, baissa les yeux, pinça les lèvres et songea à ce qu'il voulut.

Le sorcier de Meudon

Подняться наверх