Читать книгу L'art de reconnaître les styles : architecture, ameublement - Emile Bayard - Страница 9
Les styles: Égyptien, Assyrien, Grec, Romain, etc.
ОглавлениеPour en revenir aux Égyptiens qui, dans l’antiquité, offrent le premier art typique, nous aimons à nous figurer ce peuple, sacrifiant dans le calme de ses idées, à une féconde oisiveté.
Et voici ce qu’il a imaginé ou ce dont il a merveilleusement profilé dans sa quiétude: la colonne remplacera esthétiquement la poutre, c’est-à-dire qu’à l’indispensable laideur on substituera une artistique équivalence.
FIG. 22. — Lotus.
La tige raboteuse du palmier ou bien la tige lisse du lotus (fig. 22) s’épanouira en chapiteau (fig. 23) à son extrémité, soit en feuillage, soit en fleur.
Puis, le siège aux quatre pieds exigés pour l’équilibre empruntera aux extrémités animales leur découpure agréable, la légèreté et l’amusement de leur aspect; à moins encore que ces pieds ne rappellent la fleur.
Quant au lit, il figurera, par exemple, quelque hamadryas démesurément allongé, sur le dos duquel on se couchera.
De la tête à la queue, ce cynocéphale sera exactement représenté, ses pattes formant les pieds du lit; à moins que quatre mufles de lions, symétriquement, n’ornent le cadre du lit ayant, pour pieds, les jambes du «roi des animaux» terminées par des chevilles coniques.
FIG. 23. — Chapiteaux égyptiens.
Cette préoccupation de dénaturer d’abord naïvement l’objet usuel constitue le premier pas vers la décoration de style qui, à travers les siècles, devient un but essentiel.
Ensuite, les Égyptiens cherchent dans la rareté du monolithe géant une forme d’art: c’est l’obélisque (fig. 26) dont ils flanquent, à droite et à gauche, leurs pylônes ou hautes murailles imposantes en leur massiveté.
Voyez leurs pyramides, d’une grandeur géométrique si poignante dans l’immensité plate du désert!
Voyez leurs colosses aux proportions terrifiantes, à l’égal des dieux qu’ils incarnaient! Voyez leurs sphinx (fig. 24) géants!
Songez aussi que l’art égyptien ne s’emploie qu’à glorifier sa religion, songez que cet art n’est stimulé en ses altitudes que par sa foi. Ses temples sont gigantesques comme la piété qui les édifia.
FIG. 24. — Sphinx (Egypte).
FIG. 25. — Meuble égyptien.
D’autre part, pour chanter la vie et les exploits de leurs pharaons, ne croyez pas que les inscriptions égyptiennes sur les monuments dépareront jamais ces monuments. Bien au contraire, leurs hiéroglyphes sont des illustrations charmantes à l’œil et par la couleur et par le dessin, leurs tissus hiéroglyphés, pareillement.
FIG. 26. — Obélisque de Louqsor.
Si l’on poursuit l’énumération du mobilier égyptien, (fig. 25), on trouve des coffres, des guéridons, des fauteuils, des tabourets, des tables, assez semblables comme silhouette aux nôtres et, quant à l’ornementation, elle consiste en applications de métal, d’ivoire, de nacre et de bois précieux.
D’une manière générale, ces meubles sont revêtus d’une couleur vive, et, des coussins sur les fauteuils et les tabourets, et, sur les lits, des sortes de sommiers en lanières de fibres ou de cuir, témoignent du premier désir de confortable.
Les coffres, eux, sont des maisons ou des temples en réduction.
Au résumé, le style égyptien est caractérisé par l’aspect hiératique et monumental de sa statuaire, par son chapiteau et sa colonne (palmier ou lotus), par son sphinx, par ses colosses à têtes de pharaons ou ses dieux à têtes d’animaux, par son obélisque (fig. 26) et ses pyramides, par ses hiéroglyphes si décorativement disposés, par la proportion vaste enfin de ses édifices. Ne point oublier au surplus le motif ornemental égyptien typique du scarabée sacré. Mais passons à l’art phénicien.
FIG. 27. — Taureau ailé de Khorsabad (art antique assyrien).
De celui-là, rien à signaler d’original, on en connaît d’ailleurs fort peu de chose. Les Phéniciens auraient été des exportateurs plutôt que des créateurs, bien que d’aucuns voient en eux des ancêtres du génie grec, hypothèse qui sourit à notre conception de l’art issu d’un faisceau d’idéals confus au premier âge.
Toujours est-il que l’on s’accorde à ne voir en l’art phénicien qu’une inspiration mâtinée d’égyptien et d’assyrien. En revanche (n’est-ce pas pour la raison que des témoignages nombreux de celte civilisation nous sont parvenus?) on reconnaît unanimement en l’art assyrien une originalité exaltée par l’éloge de la puissance royale.
FIG. 28. — Génie à quatre ailes, de Khorsabad (art antique assyrien).
L’architecture de ce peuple est somptueuse; elle rappelle d’autre part la majesté égyptienne, en gardant néanmoins un pur caractère. Les portes ornées de taureaux ailés (fig. 27), découvertes à Khorsabad, sont typiques, et les bas-reliefs (fig. 28), notamment ceux qui chantent les exploits cynégétiques du roi Sargon, ne le sont pas moins.
Ils nous édifient non seulement sur la noblesse des attitudes de ce peuple, mais encore sur l’opulence de sa parure et de son vêtement.
Le style du mobilier assyrien est également caractéristique, à l’exception de certains trônes, lits, escabeaux et tables en or réservés aux temples et palais, plutôt pour la glorification de la richesse que par amour de l’esthétique.
On a conservé des meubles assyriens d’une élégance singulière et tout au moins des débris d’une reconstitution aisée où l’on voit des montants en bronze s’ajoutant au bois et des revêtements métalliques le parant.
La décoration est souvent aussi en marqueterie et le bâti des meubles s’inspire avec ingéniosité de la fleur ou de l’animal. Tous ces vestiges parlent de luxe et, en dehors de leur matière précieuse, leurs peintures ardentes témoignent d’une ostentation bien orientale.
De même que nous ne trouvâmes rien de caractéristique à relever en Chaldée, parce que l’Assyrie doit à cette précédente civilisation les éléments de la sienne, nous passerons sur l’art en Judée, inexistant pour des raisons de religion et pour cause sans doute d’impuissante rivalité avec les arts égyptien et assyrien supérieurs.
Mais en Perse, il nous faut remarquer un style propre, bien qu’on y lise naturellement des emprunts aux précédentes expressions. A retenir les chapiteaux persépolitain et de Suse (fig. 19) et, plus tard, si la Perse subit comme les autres provinces de l’Asie-Mineure l’influence du style grec, les exigences du climat et ses mœurs particulières lui dicteront cependant des adaptations personnelles.
Nous en arrivons à l’art grec qui, après quelque contagion orientale, au début, découvrira, pour sa gloire, une superbe originalité.
Sans parler de la période archaïque où nous ne démêlons que des curiosités sans paternité bien certaine, nous nous arrêterons à l’art grec sous Périclès, c’est-à-dire lorsqu’il touche à sa splendeur la plus palpable.
Nous avons dit les ordres d’architecture, qui donnent à la construction une formule de pittoresque inoubliable marquée par le Parthénon (fig. 29) et tant d’autres temples d’une grandeur, d’une mesure et d’une sobriété tout exemplaires (fig. 30 et 31); il ne rentre point dans notre cadre de nous étendre davantage sur ces joyaux de la pensée idéale, non plus que nous ne nous arrêterons sur la sculpture grecque immortelle sous le ciseau de Phidias et de son école.
FIG. 29. — Ruines du Parthénon (art antique grec).
Quant au mobilier grec, composé de menus bibelots et de trônes, de lits, de trépieds, etc., il est uniformément d’airain ciselé, bien que l’on ait retrouvé aussi des coffres en bois de cèdre enrichis d’incrustations d’or et d’ébène, ainsi que des cercueils d’une ébénisterie remarquable. D’ores et déjà, il nous faut retenir dans l’ornementation grecque l’introduction typique de la feuille d’acanthe, et nous insisterons ensuite sur les motifs sculptés, gravés ou peints qui parent les moulures ornées, car les autres moulures simples (réglet, tore, astragale, cavet, etc.) et les moulures couronnées (larmier, doucine, etc.) échappent à la description de la plume.
FIG. 30 — Fronton grec.
FIG. 31. — Fronton du temple d’Égine avec tympan sculpté et des acrotères (d’après Ch. Blanc).
Comme nous rencontrerons ces ornements dans l’art romain et dans presque tous les ensembles décoratifs des temps modernes, de la Renaissance jusqu’à nos jours, on saisit l’intérêt de s’en imprégner.
FIG. 32. — Oves.
Ornements de style grec: les oves (fig. 32), succession d’ornements ovoïdes ressemblant à certains fruits renfermés dans une espèce de coque comme la châtaigne.
Les palmettes, imitation sans doute d’un feuillage de lotus, aux feuilles arrondies et recourbées en dedans, alternant avec un autre feuillage aux feuilles aiguës et recourbées en dehors.
FIG. 33. — Rais de cœur.
Les entrelacs, combinaison de lignes courbes pénétrant en tresse les unes dans les autres.
Les postes (fig. 34), ou enroulement de spirales en suite non interrompue.
Les méandres (fig. 40) (guillochis, grecque), ou entrelacement de lignes brisées, coupées à angle droit.
Les rais de cœur (fig.33), ou fleurons alternant avec des feuilles d’eau.
Les perles et pirouettes (fig. 37), ou succession en manière de collier, de corps ronds et ovales alternés.
Les canaux (fig. 35), ou courtes cannelures au fond desquelles apparaissent des feuilles aiguës.
FIG. 34. — Postes.
FIG. 35. — Canaux el godrons.
Nous donnons aussi le tore à feuilles de laurier (fig. 38) employé par les Grecs, les Romains et sous la Renaissance, et le bâton rubané, le câble, les rosaces (fig. 39), appartenant, d’une manière générale, à l’architecture antique.
De même que nous insistâmes sur la connaissance des ordres d’architecture, nous ne poursuivrons notre objet qu’après que le lecteur aura gravé dans son esprit cette énumération fondamentale.
Bref, nous voici arrivés (en enjambant l’art étrusque que nous revivrons dans sa beauté essentielle, par la suite) en pays romain, et il nous suffira de désigner le style singulièrement entaché d’impersonnalité de ce peuple, dans les débris que nous avons exhumés des ruines d’Herculanum et de Pompéi.
FIG. 36. — Grecques.
FIG. 37. — Perles, olives, perles et pirouettes, piécettes.
Que remarquons-nous au surplus dans les ruines de leurs monuments ou du moins qu’imaginons-nous dans leurs restaurations, avant que de chercher leurs meubles sous la lave?
D’abord, les Romains avaient amélioré l’emploi de la voûte et des arcades inventées par les Étrusques. L’introduction de l’arc dans l’architecture modifiait profondément le style grec en fléchissant la raideur de son architecture.
FIG. 38. — Tore à feuilles de laurier
D’autre part, les plates-bandes grecques cédèrent le pas aux arcades permettant des piliers très éloignés autant qu’une succession harmonieuse d’arcs.
FIG. 39. — Bâton rubané, câble, rosaces.
Ce sont encore les Romains, dans leur soif de combinaison, qui inventèrent le chapiteau composite, en mêlant l’ionique au corinthien.
FIG. 40. — Méandres.
Vous les verrez jongler de même avec les ordres grecs, remplaçant souvent la sobriété par la profusion, non sans une grande beauté toutefois, qui leur tiendrait lieu, presque, de personnalité malgré ses ressemblances.
Sa statuaire pareillement emprunte sans vergogne à la statuaire grecque avec moins de génie, mais peut-être avec un accent de réalisme el une conviction d’une différence avantageuse.
Pourtant, si l’on tient à l’essentielle personnalité de l’art romain, voici qu’avec les palais de marbre, les mosaïques, les bijoux, les camées, etc., on repasse les trouvailles de la Grèce...
FIG. 41. — Ruines du Colisée.
Mais peu importe, la Maison Carrée et les arènes de Nîmes, le Colisée (fig. 41), le théâtre d’Orange, etc., ont bien un aspect propre, à moins que, sous l’appellation de gréco-romain, la conception supérieure de ces deux peuples ne s’associe et ne se fonde dans une parallèle beauté. Aussi bien, si nous ne parlâmes pas des meubles grecs, c’est que nous devions retrouver les mêmes chez les Romains, du moins quant à la structure, sinon quant à la destination.
Voici les lits à plusieurs places, groupés autour de la table ronde ou carrée, voici des lits en forme de sigma.
«Les Spartiates, les Romains des premiers temps couchaient sur des nattes de paille; mais, aux beaux temps de la République, les riches surtout possédaient des lits de bois rares, d’ébène, de citronnier, de cèdre, embellis d’incrustations et de sculptures. On accédait à ces lits par des gradins.»
Voici les sella ou sièges sans dossier, quels qu’ils soient. Les sièges à dossier s’appelaient cathedra (fig. 42). Voici la chaise curule, en ivoire ou en métal, aux pieds en X et le solium ou trône à diverses affectations, sans bras ni dossier, pour les magistrats de la République, et en bois ou en marbre, pour les familiers de la maison ou pour une divinité.
Sans compter une multitude de bancs, de trépieds (fig. 43), de tabourets et de coussins, et des bibelots portatifs en métal, éparpillés dans des salles vastes aux murs nus ou parés de sobres draperies, ou égayés de fresques et de mosaïques, aux plafonds souvent à jour soutenus par de larges colonnes se rejoignant entre elles, parfois au moyen de guirlandes de feuilles enrubannées.
Mais on n’en finirait pas de noter les fontaines jaillissantes éparses dans les villas romaines, les jardins aux plantes aromatiques, etc.; aussi bien cela nous entraînerait hors de notre plan.
FIG. 42. — Siège grec.
Ce qu’il nous faut retenir présentement, c’est la physionomie des styles précurseurs, leur esprit distinct et tout au moins la qualité de leur emprunt et de leur contagion.
Un rien suffit à différencier une époque; la preuve en est que nous retrouverons dans le style premier Empire français l’inspiration très nette de la Grèce, de Rome et de l’Égypte même.
FIG. 43. — Trépied grec.
Pour l’instant, nous savons nos ordres et les motifs des moulures ornées grecques, de même que nous n’oubliâmes pas les éléments particulièrement typiques du style égyptien, tellement typiques même, que lorsque l’on regarde notamment le petit temple égyptien situé dans l’île de Philæ, on a l’impression, sans y mettre trop de complaisance, de contempler un temple grec. Répétons-le, tout s’enchaîne; les styles ne sont que le fruit de plusieurs idéals associés, sous le couvert anonyme de la Beauté éternelle.
Et, au gré de la mode et des événements, ils sont ou plaisants ou graves, en puisant dans le passé l’esthétique satisfaisant au caprice du moment.
Mais la coquetterie, dont nous avons esquissé les premiers atours lorsque, dans la caverne, la femme préhistorique apparaissait recouverte de colliers de pierres colorées, ou de dents d’animaux et de coquillages perforés, va trouver maintenant des satisfactions supérieures, car, chez les Égyptiens, chez les Assyriens (fig. 44 et 45), comme chez les Hébreux et dans toute l’Asie, l’orfèvrerie est déjà poussée à un haut degré de perfection.
On a trouvé dans des sépultures égyptiennes: des pectoraux, des colliers de scarabées, de poissons symboliques, de fleurs de lolus, etc., parfaitement ciselés, mais qui n’approchent point cependant de la bijouterie grecque (fig. 46).
FIG. 44. — Bracelet égyptien.
FIG. 45. — Bague assyrienne.
Les Grecs, en effet, excellèrent dans le travail strict du métal qu’ils repoussèrent avec art et ne soudèrent pas, tandis que les Égyptiens furent des maîtres dans la bijouterie pittoresque.
FIG. 46. — Bracelet grec.
FIG. 47. — Bracelet romain.
Toutefois, l’orfèvrerie romaine (fig. 47) et étrusque nous est davantage familière, grâce aux fouilles opérées dans les nécropoles d’Étrurie et surtout dans les ruines d’Herculanum et de Pompéi qui nous montrèrent des agrafes, des pendants d’oreille, des patères, des miroirs, des fibules, etc., très édifiants comme forme, qualité de goût et beauté ; car les Romains, dans leur amour pour l’or et les pierreries, apportèrent une délicatesse de goût que les Orientaux en général ignorèrent, plus préoccupés qu’ils étaient de l’originalité que de l’esthétique.
Aussi bien les empereurs byzantins, dont nous parlons plus loin, devaient exagérer encore ce luxe du bijou, non sans parfois qu’ils échappent eux aussi au reproche de lourdeur et d’excentricité aggravées par un goût peu délicat.
Pourtant Byzance eut au moins l’excuse du vrai luxe dont la débauche, sans doute, s’amenda dans un grand geste de générale magnificence, «fouillis éblouissant d’émaux, de camées, de nielles, de perles, de grenats, de saphirs, de découpures d’or et d’argent. » (Th. GAUTIER.)
Quant aux Gaulois et aux Francs, ils semblent affectionner les colliers et les anneaux de métal précieux dont leurs tombeaux nous fournissent tant de modèles.
Il nous reste enfin de l’orfèvrerie gallo-romaine nombre de bracelets ou armilles en forme de serpents roulés, de colliers d’or, de plaques, de broches, etc.
D’une manière générale, le style de ces bijoux est inséparable des styles monumental et décoratif. Si le meuble est un petit monument d’architecture, le bijou est un monument d’orfèvrerie en miniature.
Interrogez ce bijou, il porte des dessins que nous reconnaîtrons pour les avoir déjà vus au fronton d’un temple, autour d’une colonne; et sa forme, de même, nous rappellera tel détail d’architecture ou telle courbe d’amphore caractéristique.
Nous aborderons ensuite, au chapitre suivant, les styles du moyen âge, nouvelle étape où s’accentueront les détails de notre étude qui, suivant notre plan, ne s’attachera guère à devenir le guide pratique qu’elle s’est promis que dès la Renaissance.
Et, après la Renaissance, défileront les caractères les plus soigneusement précis et reconnaissables des styles Louis XIII, Louis XIV, Louis XV, Louis XVI, Révolution, premier Empire, Restauration, jusqu’à nos jours enfin, sans préjudice d’une légère incursion dans les pays étrangers.
A chaque chapitre sa tâche, et nous ne répéterons jamais assez l’importance d’une éducation générale des styles avant de toucher à la satisfaction de les distinguer individuellement.