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Henri Émile Chevalier
La Capitaine
Première partie. Dans la Nouvelle-Écosse
IV. Au cottage de Bellevue

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Les deux antagonistes s’étaient levés en échangeant ces mots:

– Vous m’en rendrez raison, monsieur!

– Demain toute la journée, je me tiendrai à votre disposition.

Puis ils s’étaient éloignés, chacun d’un côté.

Sans le vouloir, sans y penser, Arthur Lancelot serra la main de sa partenaire, mais il faillit manquer la figure qu’il dansait.

– Vous êtes distrait, monsieur; soyez plus attentif, je vous prie, on nous observe! lui dit tendrement Emmeline, qui s’attribuait bien gratuitement la cause de cette distraction.

– Ah! ma chère… commença le comte.

Mais s’apercevant que son qualificatif était un peu bien familier, il reprit, quoique la jeune fille, charmée, l’encourageât à continuer par un regard souriant:

– Ah! mademoiselle… pourrais-je n’être pas distrait! … en votre présence adorable, ajouta-t-il au bout d’un instant.

Emmeline ne tint pas compte de l’intervalle dont il avait séparé chaque membre de phrase, surtout le dernier. Elle fut convaincue que le cœur rebelle d’Arthur était enfin vaincu, subjugué, car jamais elle ne l’avait vu si ému.

C’est qu’elle aimait Lancelot depuis la première fois qu’elle l’avait rencontré à un bal, chez l’intendant maritime de la station, il y avait plus de huit mois déjà! Et huit mois, comme c’est long pour une personne qui n’a d’autre occupation que le travail fantaisiste d’une imagination fougueuse.

Ce soir-là fixa son avenir. Le comte fit, il est vrai, peu attention à elle; mais l’amour a du goût pour les oppositions. On sait qu’il trouve à butiner son miel là où un indifférent ne voit que des épines ou du sable, et que, comme certains êtres animés, il (je parle toujours de l’amour) se nourrit au besoin de sa propre chair.

Éprise du comte, Emmeline déploya toutes ses éloquentes finesses de femme pour l’attirer chez son père. Elle jouissait naturellement de la grande et excellente liberté que les mœurs anglaises accordent aux demoiselles; aussi pouvait-elle faire des invitations en son nom; et se conduire dans le monde comme chez nous une jeune dame de bon ton.

Mais la réussite de son projet ne présentait pas autant de difficultés qu’elle l’avait supposé, en entendant dire que le comte Lancelot était hautain, d’une politesse exquise, mais froide, d’une humeur épigrammatique, surtout avec les femmes; un dandy de haute saveur qui affectait d’être blasé sur tous les plaisirs.

Certes, ces rumeurs n’avaient rien d’agréable pour Emmeline. Cependant, elles irritèrent sa passion naissante plutôt qu’elles ne la refroidirent, et elle fut enchantée de voir que, dans cette soirée même, Arthur témoignait à son frère Bertrand une préférence marquée sur tous les autres jeunes gens.

La liaison entre eux fut très prompte; elle fut bientôt très étroite.

Emmeline s’en applaudit, quoique, parfois, elle se sentit piquée de la tiédeur que Lancelot avait pour elle, tandis qu’il manifestait pour Bertrand l’empressement le plus chaleureux.

Cette tiédeur à son endroit, il n’était guère possible de la considérer comme un fruit de la timidité, car avec un grand air de distinction et une conversation toujours raffinée, le comte était souvent hardi, provocant dans ses expressions. Mais l’amour est si ingénieux pour s’abuser, qu’Emmeline portait au compte de ce sentiment la réserve d’Arthur.

Myope et bavard, à son habitude, le public les disait enflammés l’un pour l’autre, et les mariait obligeamment chaque semaine.

Par ces courtes explications, on comprendra combien étaient précieuses à mademoiselle du Sault les plus légères prévenances du comte Arthur Lancelot.

Aussi, comme un lis s’incline sous la rosée bienfaisante du matin, courba-t-elle la tête, en rougissant, sous la caresse de sa dernière réponse.

– Vous êtes un flatteur, monsieur Arthur, murmura Emmeline pour dire quelque chose.

– On n’est pas flatteur avec ceux que l’on aime; mais toute flatterie pâlirait devant vous, reprit Lancelot de sa voix harmonieuse, dont on ne pouvait entendre le timbre musical sans en rêver.

Emmeline rougit de plus en plus fort; un pas encore et le comte lui faisait une déclaration. Il fallait l’y pousser. Et, tout en tournant dans la ronde, elle lui décocha cette réflexion d’une dangereuse naïveté:

– Oh! mais c’est qu’il y a aimer et aimer!

– Oui, répliqua Lancelot, par un bond qui plaçait subitement un abîme entre le cœur de la jeune fille et le sien, oui, on a de l’amitié pour ses amis, de l’amour pour ses ennemis!

Ce trait était acéré. Emmeline en frissonna. Il se pouvait néanmoins que ce fût une de ces flèches sans portée sérieuse, comme le comte se plaisait à en lancer dans le monde, et qui lui avaient valu dans certaines coteries la réputation d’homme cynique. Emmeline essaya donc de prendre gaiement cette réplique, et elle repartit en souriant:

– Il ne s’agit plus que de savoir, monsieur, dans quelle catégorie vous me rangez?

La question était directe. Une réponse maladroite engagerait le cœur du jeune homme ou briserait celui de la jeune fille.

Mais Lancelot n’était pas un écolier. Il s’en tira par un mot à double entente.

– Oh! dit-il, le sourire aux lèvres, je range assurément mademoiselle du Sault parmi les personnes aimées. Mais voici le rill terminé, daignez m’excuser un instant, mademoiselle!

Il avait conduit Emmeline à un siège. Il la salua rapidement et rentra dans les salons.

Ses regards cherchèrent Bertrand; ils ne rencontrèrent que le capitaine Irving, qui se disposait à partir.

– Pardon, lui dit Arthur Lancelot en s’approchant.

– Que me voulez-vous? fit l’officier avec hauteur.

– Vous dire un mot.

– Parlez.

– Pas ici, dans les jardins. Ce que j’ai à vous dire est entre nous.

– Il me semble que nous sommes seuls, dit sèchement le militaire.

– Eh bien, soit! puisque vous le voulez, causons ici.

– On y est aussi bien qu’ailleurs! reprit l’autre d’un ton bref.

– Vous savez que nous avons un compte à régler?

– Quel compte?

– Mais, dit Arthur d’un air dédaigneux, vous vous êtes permis d’être grossier…

L’officier devint cramoisi comme son uniforme.

– Grossier! répéta-t-il en grinçant des dents.

– Je vous ai fait l’honneur de vous le dire, capitaine, reprit impertinemment Arthur.

– L’honneur! paltoquet! mâchonna Irving.

– Eh! oui, l’honneur! dit Lancelot sans s’émouvoir de l’irritation du militaire; donc vous vous êtes permis d’être grossier à mon égard, et j’espère que vous voudrez bien…

– Je vous tuerai comme un chien! hurla l’officier.

Plusieurs personnes, qui jouaient ou causaient à quelque distance, levèrent la tête.

– Pas si haut! dit Arthur; vous parlez à un homme qui n’est ni sourd, ni de mauvaise compagnie!

– Oh! oh! c’est trop fort! maugréa Irving, vous me donnerez satisfaction…

– Je l’entends bien ainsi!

– Fat!

– Les injures sont superflues, capitaine. À demain!

– À demain, monsieur! dit l’officier.

– Votre heure?

– Le plus tôt possible.

– Cela m’arrange parfaitement. Quatre heures du matin donc!

– Plus tôt si vous voulez! j’ai hâte de vous faire la leçon, monsieur le dandy!

Et le capitaine Irving appuya sur ces mots avec l’emphase méprisante qu’un de nos troupiers, courroucé par un civil, mettrait à lui dire monsieur le pékin!

– Vos armes? demanda Arthur.

– Les vôtres?

– Oh! cela m’est égal.

– Alors, dit l’officier, nous prendrons le sabre.

– Le sabre, c’est un peu brutal, dit Lancelot en souriant.

– Vous refusez, blanc-bec? fit l’autre avec un haussement d’épaules.

– Du tout, du tout, capitaine. Le sabre m’accommode parfaitement. C’est une arme que j’affectionne. Et maintenant, convenons du lieu de la rencontre, s’il vous plaît, car demain nous n’aurons pas le temps de prendre ces petits arrangements.

– Au Creux-d’Enfer, il y a une pelouse…

– Va pour le Creux-d’Enfer.

– À quatre heures, monsieur; je vous engage à faire vos dispositions testamentaires, car je dois vous dire que je suis de première force au sabre, reprit le capitaine en tortillant ses longs favoris roux.

La capitaine

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