Читать книгу La vie infernale - Emile Gaboriau - Страница 14

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—Oh!... bien involontairement, je vous jure... N’aimant point, par caractère, qu’on fourre le nez dans mes affaires, je ne me mêle jamais de celles des autres... Le hasard a tout fait... C’était par une belle après-dînée d’avril, je venais vous chercher pour faire un tour de bois. J’entre justement dans ce boudoir où nous sommes, vous étiez en train d’écrire... Je m’asseois pour vous laisser finir, mais voilà qu’on vous appelle pour je ne sais quoi de très-pressé, et vous sortez précipitamment... Comment l’idée m’est-elle venue de m’approcher de votre table?... c’est ce que je ne m’explique pas. Toujours est-il que je me suis approché et que j’ai lu votre lettre interrompue. Parole d’honneur, elle m’a touché, et la preuve, c’est que je me la rappelle presque textuellement. Jugez plutôt:

«Cher monsieur, écriviez-vous à votre correspondant de Londres, je vous expédie, outre les 5,000 francs du trimestre, 3,000 francs de supplément. Faites-les parvenir sans retard... Je crois ce malheureux enfant gêné et tourmenté par les créanciers... Hier, j’ai eu le bonheur de l’apercevoir rue du Helder, et je l’ai trouvé pâle et triste... depuis ce moment, je ne vis plus. Cependant, en même temps que cet argent, adressez-lui une lettre de paternelles remontrances. Il faut qu’il travaille et songe à se créer une position honorable. Seul, sans appui, sans famille, au milieu de ce Paris si corrompu, quels dangers ne court-il pas!...»

Là, chère dame, s’arrêtait votre lettre. Mais le nom et l’adresse s’y trouvaient. C’en était assez pour comprendre, c’en était trop, avouez-le, pour ne pas émoustiller ma curiosité. Vous souvient-il de notre attitude à votre retour?... En vous apercevant que vous aviez oublié cette lettre commencée, vous avez pâli et m’avez regardé.—«Avez-vous lu, avez-vous compris?» disaient vos yeux. Les miens vous répondirent: «Oui, mais je me tairai...»

—Je me tairai de même, dit Mme d’Argelès.

M. de Coralth lui prit la main qu’il porta à ses lèvres.

—Je savais bien que nous nous entendrions, fit-il gravement... Je ne suis pas méchant, au fond, croyez-le bien, et si j’avais eu des rentes ou seulement une mère comme vous...

Elle détourna la tête, craignant peut-être que M. de Coralth ne lût dans ses yeux ce qu’elle pensait de lui; puis, après une pause, et avec l’accent de la prière:

—Maintenant que me voilà votre complice, fit-elle, laissez-moi vous supplier de tout faire pour empêcher la... scène de cette nuit de s’ébruiter...

—Impossible.

—Si ce n’est pour M. Férailleur, que ce soit pour sa mère, du moins, cette pauvre femme veuve...

—Il faut que Pascal disparaisse!

—Comme vous dites cela! Vous le haïssez donc, bien?... Que vous a-t-il fait?

—A moi personnellement?... Rien. Et même je me sentais pour lui une véritable sympathie...

Mme d’Argelès fut comme pétrifiée.

—Quoi!... bégaya-t-elle; ce n’est pas... pour votre compte que vous avez... agi.

—Mon Dieu!... non.

Révoltée, elle se redressa, et d’une voix où vibrait le mépris et l’indignation:

—Ah!... c’est encore plus infâme, s’écria-t-elle; c’est encore plus lâche...

Mais elle s’arrêta, épouvantée de l’éclair de menace qui traversa les yeux de M. de Coralth.

—Trève de vérités désagréables, dit-il froidement. Si nous nous mettons à échanger l’opinion que nous avons l’un de l’autre, nous en arriverons vite à de très-vilains mots... Pensez-vous que j’aie agi pour mon plaisir!... Jamais je n’ai tant pris sur moi qu’au moment où je glissais sur les cartes des «portées» préparées. Si on m’eût aperçu, cependant!... j’étais perdu...

—Et vous croyez que personne ne vous soupçonne?...

—Personne... J’ai perdu plus de cent louis... Si Pascal était de notre monde, on s’inquiéterait peut-être, mais demain il sera oublié...

—Et lui, ne se doutera-t-il de rien?

—Il n’aurait pas de preuves à fournir, dans tous les cas...

Mme d’Argelès paraissait prendre son parti de ce qui arrivait.

—J’espère au moins, dit-elle, que vous me direz qui est l’ami que vous avez obligé.

—Pour cela, non!... répondit M. de Coralth.

Et, consultant sa montre:

—Mais je m’oublie! s’écria-t-il. J’oublie que cet idiot de Rochecote attend son coup d’épée... Allez dormir, chère dame, et... au revoir.

Elle l’accompagna jusque sur le palier.

—Il est clair, pensait-elle, qu’il va courir chez l’ennemi de M. Férailleur...

Et, appelant son domestique de confiance:

—Vite, Jobin, lui dit-elle, suivez M. de Coralth, je veux savoir où il va... et surtout, prenez garde qu’il ne vous voie....

La vie infernale

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