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En 1869, le 43e bataillon de chasseurs à pied, retour du Mexique, occupait depuis une année la garnison de Vincennes, que sa proximité de Paris classe parmi les plus enviées.

Il était commandé par un soldat d’Afrique et de Crimée, le commandant Toussaint, un troupier fini, comme disaient les vieilles moustaches du corps, épithète qui sert, paraît-il, à qualifier toutes les vertus militaires, et lui ralliait la sympathie de ceux d’entre ses subordonnés qui avaient patiemment conquis, un à un, tous leurs grades.

Les jeunes sous-lieutenants, élèves de Saint-Cyr, qui avaient entendu raconter les élégantes traditions du 43e, déploraient la présence d’un chef qui ne connaissait que la discipline toute nue et dédaignait profondément les accommodements qu’un homme du monde sait se ménager avec sa brutalité.

C’est dire assez que les belles manières étaient le moindre souci du bataillon à sa rentrée en France. Cette dernière campagne avait d’ailleurs introduit dans son effectif des éléments nouveaux, infiniment plus recommandables par leurs bons services que par leur éducation première.

La bravoure y avait engendré la hâblerie; le climat brûlant, longtemps supporté, y avait développé le culte de l’absinthe; le sans-gêne y était à l’ordre du jour; enfin, symptôme qui caractérise généralement les rentrées de campagnes, une bonne moitié des officiers s’étaient mariés hâtivement, étourdiment, pressés par une soif de vie intérieure plus légitime que prudente, sans prendre le temps de bien choisir.

Il en était résulté pas mal de ménages où l’amour devait tenir lieu de dot, et quelques-uns même où l’incompatibilité d’humeur glissait déjà son souffle desséchant.

C’était la plaie secrète du commandant Toussaint, un vieux garçon qui regardait en haussant les épaules les petites misères conjugales de ses officiers.

— Sacrebleu! avait-il déclaré, je ne donne plus d’autorisation de mariage à moins qu’on ne m’apporte, dans mon cabinet, la dot de la future en espèces roulantes et sonnantes. Messieurs, vous pouvez vous le tenir pour dit.

Comme on savait bien que le commandant menaçait d’excéder ainsi son droit, la terreur n’était pas grande parmi les gens mariables du bataillon. Et puis le voisinage de Paris, la ville des séductions incessantes et des caprices faciles, commençait à produire son effet: depuis un an, on se mariait beaucoup moins au 43e.

A cette époque, l’aristocratie n’y était représentée que par trois sous-lieutenants des dernières promotions. Ce fut donc un étonnement pour tous, lorsqu’on vit arriver le lieutenant Georges de Maucler, qui venait y prendre les fonctions de trésorier en remplacement du titulaire décédé.

Tout d’abord, ce grand beau garçon-là avec sa taille élevée d’une suprême élégance, son teint mat, ses fines moustaches crânement relevées, la simplicité recherchée de ses façons de gentilhomme, parut une anomalie dans ces fonctions bureaucratiques.

Lui, trésorier! c’est-à-dire éplucheur de comptes, assidu au travail, ferré sur les chiffres, enterré dans les paperasses, allons donc!... Il n’était pas fait pour s’endormir dans les somnolentes aridités de la section hors rang; sa place future était à la droite du bataillon, comme adjudant-major; la parade serait son triomphe, et les grandes manœuvres son avenir.

Voilà ce que disaient à haute voix les camarades indulgents. Les envieux ajoutaient tout bas que ce prudent jeune homme voulait ménager ses mains féminines et son front blanc en les mettant à l’abri des rudes exercices corporels de la vie militaire.

Il est probable que ces propos malveillants, —qu’on ne s’explique, du reste, que par l’usage à peu près général de confier ces fonctions spéciales à d’anciens sous-officiers qui ont prouvé leurs aptitudes, et se contentent d’un avancement médiocre en échange de la tranquillité de leur position, — il est probable, dis-je, que ces propos parvinrent aux oreilles du nouveau venu.

Il affecta d’abord de n’y prêter aucune attention; mais comme la jalousie de quelques candidats évincés rendit le venin de plus en plus corrosif, M. de Maucler, au déjeuner commun de la pension militaire, dit un jour à ses camarades:

— Messieurs, j’apprends que vous êtes surpris de me voir au dépôt avec un titre dont plusieurs d’entre vous se croyaient justement plus dignes, et que les motifs de mon acceptation sont dénaturés ou mal compris. Il est peut-être bon de rectifier votre opinion à cet égard.

Il y eut un grognement approbatif autour de la table.

Le jeune homme promena lentement son regard ferme sur les convives en l’arrêtant plus spécialement sur quelques-uns.

— Non, monsieur Lorillon, reprit-il, je ne suis pas trésorier parce que j’ai des dettes cachées qu’il me faut payer à tout prix. Non, monsieur Périllas, je ne suis pas trésorier parce que le grand soleil du polygone répugne à mes goûts efféminés. Non, monsieur Anselme, je ne suis pas trésorier parce que je sais mieux manier une plume qu’une épée...: cela, je pourrais vous le prouver au besoin. Je suis trésorier, messieurs, parce que j’ai à remplir une lourde et sérieuse tâche qui me fait désirer, pendant quelques années, une vie relativement immobilisée; je suis trésorier, parce que j’avoue être pauvre et avoir très-prosaïquement besoin des appointements supérieurs attachés aux fonctions que j’occupe, pour m’aider à accomplir un devoir que je considère comme sacré et sur lequel je n’ai pas à m’expliquer davantage.

Un silence profond suivit cette déclaration étrange, humble et fière à la fois, rare dans les coutumes militaires où l’on supporte la pauvreté sans l’avouer, mais qu’un cachet de loyauté indicible rendait respectable.

Les officiers se regardèrent, interdits, sentant le mérite de cette parole claire et sans emphase, un peu honteux déjà de leurs jugements téméraires, regrettant leurs médisances et hésitant à les désavouer.

Le lieutenant Périllas, un des médisants, avec le prime-saut de sa nature méridionale, fut le premier à reconnaître ses torts.

— Tarasque! s’écria-t-il en se levant d’un mouvement brusque, c’est trop de bonté de nous exposer vos motifs. Vous êtes ce que vous êtes, parce que vous voulez l’être; cela suffit, et vous me paraissez un gaillard de taille à faire respecter votre sentiment.

— Je le crois, répondit simplement Georges de Maucler.

— Pour ma part, si j’ai prononcé la parole que vous venez de relever, — et j’en suis bien capable après tout, — je reconnais avoir dit une sottise. Nos langues du Midi nous jouent de ces mauvais tours-là. Veuillez bien l’oublier, monsieur!

M. de Maucler étendit à travers la table sa main longue et soignée, qui fut énergiquement serrée dans la main brune et nerveuse de M. Périllas.

Cet exemple amena une autre rétractation, moins carrément formulée, et quelques protestations qui parurent suffisantes à tout le monde.

Le déjeuner s’acheva sans incident. Le président de la table fit apporter du champagne, et l’on but, sans rancune, à la santé du nouveau trésorier.

Telle fut l’entrée de Georges de Maucler au 43e bataillon de chasseurs. De cette escarmouche, dont il conserva un certain prestige, naquit pour lui la très-sincère amitié du lieutenant Périllas, à laquelle son inséparable Pylade, le capitaine Lanternie, — épaisse et excellente nature, —ne manqua pas d’ajouter promptement son estime.

Ces trois officiers, quoique fort dissemblables de naissance et de manières, se sentirent cependant sympathiques, car ils étaient profondément honnêtes, francs, bons militaires et suffisamment chauvins.

Les ménages militaires. Le mariage du trésorier

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