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II

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Les anciens visiteurs du bois de Vincennes, que le souvenir de leur admiration passée ramène sous ses ombrages, reconnaissent difficilement, et même ne reconnaissent absolument plus, les épais fourrés, coupés de larges allées feuillues, où ils s’égaraient autrefois.

Depuis quelques années, la nature, qui faisait seule les frais de ces décors agrestes, s’est adjoint la collaboration de l’art, et, de cet accouplement fécond, sont nés ces paysages gracieux, ces lacs pleins de fraîcheur, ces courbes élégantes, ces entrelacements de lierre et de rochers, ces échappées vertes, ces fonds lumineux qui font du bois de Vincennes actuel une des plus belles perles de l’écrin splendide dont M. Alphand a été établi, par la ville de Paris, ciseleur, monteur et metteur en lumière.;

Malheureusement pour les amateurs de beautés purement champêtres, la spéculation a suivi l’art, et les constructeurs de villas modernes ont succédé aux terrassiers paysagistes. Une ceinture de maisons blanches, de chalets coquets, de pimpants pavillons s’étend autour de la ville, empiétant de plus en plus sur le vrai bois, frais et odorant, de jadis.

Les grands chênes sont coupés dans les lots de terrains à vendre, et le nouveau propriétaire plante autour de sa maisonnette une série de manches à balai, grêles, à têtes maigrement empanchées, du plus lamentable effet comme perspective. Les parterres se grillent au grand soleil tandis que les habitants voient à quelques pas, —supplice renouvelé de Tantale, — les ramures touffues verser l’ombre aux promeneurs.

Dans dix ans, quand les manches à balai seront des arbres et les parterres des jardins, Vincennes tout entier, s’allongeant de Fontenay-sous-Bois à Paris, ne sera plus qu’un adorable nid de verdure et de fleurs, où les boulets du polygone paraîtront d’étranges fruits dépaysés.

Une des belles maisons nouvellement construites sur l’avenue Marigny appartenait, en 1869, à M. Athanase Gilmérin, lequel avait laborieusement édifié une plantureuse fortune dans le commerce des denrées coloniales, en plein quartier des Halles.

Actif, habile et honnête, il arriva, jeune encore, à cette situation honorable, aisée, autoritaire, qui est l’ambition légitime du grand commerçant. Il pouvait, en persistant dans cette voie, doubler ses capitaux, mais ayant perdu sa femme, — une utile compagne de travail, — il jugea plus sage de se retirer des affaires après avoir assuré son avenir et la dot de ses enfants.

Ni l’un ni l’autre, du reste, n’étaient aptes à lui succéder. Son fils, Sosthène Gilmérin, après des études capricieuses, s’était découvert un goût prononcé pour la peinture. Il avait dès lors abandonné tout projet d’occupation sérieuse, et barbouillait sur toile avec une ardeur digne d’un résultat moins fantaisiste.

Comme il était largement pensionné par son père, et très-généreux avec ses amis, ceux-ci lui persuadaient aisément que ses tableaux de genre étaient étourdissants et que l’air circulait entre les arbres violets de ses paysages. Pour M. Gilmérin, Sosthène était un des plus grands peintres de l’avenir.

Sa fille, mademoiselle Valérie Gilmérin, qui avait fait au couvent des Oiseaux les plus aristocratiques connaissances, ne pouvait décemment, en rentrant au logis, trouver son père à la tète d’une armée de commis, dirigeant des transactions commerciales!... sur une vaste échelle, il est vrai, mais enfin des transactions! Non, c’était inadmissible. Son éducation, sa distinction, sa grâce devaient la préserver du contact de ces vulgarités.

Le fonds de commerce fut donc vendu, la famille installée dans un somptueux appartement du boulevard de Sébastopol. —Dame! on ne peut pas, des Halles, s’implanter tout à coup au cœur du faubourg Saint-Germain!... et M. Gilmérin, que venait de saisir l’amour de la villégiature, fit construire une villa à Vincennes.

La maison construite, — et ce fut une année bien employée pour le digne homme, — il procéda à l’érection d’un jardin, au creusement d’un bassin, à la coûteuse transplantation de beaux arbres déjà ombreux.

Encore six mois heureux arrachés à l’ennemi qu’il entrevoyait comme un cauchemar: l’oisiveté.

Mais vint enfin le jour où la maison confortable reçut ses habitants, où le jardin étendit ses allées, bordées de catalpas fleuris, devant les promeneurs, où la famille Gilmérin put dire à son chef: «Votre œuvre est parfaite, et nous avons bien fait de planter ici notre tente.»

Ce jour-là, le négociant retiré n’ayant plus rien à organiser ni à surveiller, s’endormit le cœur bien gros: qu’allait-il faire désormais?

Ah! il ne s’en doutait pas, le pauvre homme! il appartenait à Valérie de lui démontrer que l’occupation la plus grave, la plus impérieuse, la plus absorbante qui puisse incomber à un père est de marier sa fille.

A l’époque où mademoiselle Valérie Gilmérin quitta l’institution célèbre, où se forment tant de petits prodiges, pour venir reprendre sa place dans la maison paternelle, c’était une belle personne de dix-huit ans, assez grande, dont les épaules larges et tombantes, quoique un peu grêles encore, promettaient avec les années un splendide développement.

Ses traits, sans avoir rien de classiquement régulier, respiraient une vivacité spirituelle; sa bouche, grande, était expressive; ses yeux, d’un vert lumineux, avaient un regard profond où la passion, latente et indécise encore, semblait dormir.

On se retournait pour la voir passer, non qu’elle fût remarquablement jolie, mais infiniment attrayante avec sa taille souple et ses cheveux châtains, hardiment relevés sur le front un peu bas des statues antiques.

Elle avait de la gaieté, de la franchise et de la résolution dans le caractère. Ce n’était pas du tout la jeune fille de notre génération telle que la font nos mœurs frivoles, bonne d’instinct, coquette par nature, généreuse quand il ne s’agit que d’argent, positive par calcul, avec un égoïsme naïf qui la fait se regarder comme une délicate petite merveille qu’on ne saurait trop ménager.

Valérie valait mieux que ce type si répandu sur lequel se coulent, de nos jours, nos jeunes et jolies Parisiennes. Elle avait, par exemple, la faiblesse d’appartenir à son époque par le côté modes, dont elle portait consciencieusement les retroussis cavaliers, les pouffs gigantesques et les envolements d’étoffes.

Ainsi faite, c’était une charmante enfant dont tous les pères du monde auraient eu le droit d’être fiers. M. Gilmérin ne s’en faisait pas faute. Ce fut même ce légitime orgueil qui le rendit promptement très-jaloux du bonheur à venir de son trésor, et très-difficile sur le choix d’un gendre.

Les prétendants affluaient déjà. Une jolie personne, une dot sonnante, quel miroir aux alouettes braqué sur les célibataires!

— Elle est trop jeune... Je ne veux pas m’en séparer si vite... Laissons-la jouir de son printemps, se défendait l’excellent père, attaqué de toutes parts.

Et pourtant, en homme habitué à peser toutes les propositions pour en extraire le bénéfice probable, il passait au crible tous les amoureux, négociants, banquiers, officiers, propriétaires, ne trouvant à aucun d’eux les qualités requises pour mériter Valérie.

Les prétentions de la jeune fille étaient-elles donc formidables? A vrai dire, elle n’en avait aucune bien nettement accentuée. Se sentant riche, jolie, libre de choisir, elle attendait que quelqu’un lui plût, — toutes les jeunes filles nous comprendront, — et personne ne lui plaisait.

Ce n’était ni coquetterie ni caprice de sa part, c’était médiocrité chez les prétendants. Ils étaient, les uns jeunes, les autres riches, parfois beaux; on en rencontrait même de spirituels; mais aucun ne soulevait dans le cœur de Valérie ce désir vague, ce trouble inconnu qu’elle rêvait de ressentir un jour à l’approche de son futur mari.

Sans être aussi romanesque que beaucoup de ses compagnes, elle avait donc aussi son petit grain d’idéal qui germait dans un coin de sa mignonne cervelle.

L’idéal de M. Athanase Gilmérin ne ressemblait pas précisément à celui de sa fille. Il voulait, lui, un gendre parfait, tout simplement, quelque chose comme un Adonis doublé d’un nabab, poëte à ses heures et petit manteau bleu à ses moments perdus.

Eh bien, Paris, le pays des merveilles en tous genres, en renferme peu, très-peu même, d’aussi réussies que le voulait ce programme. La merveille n’avait pas encore paru.

Les ménages militaires. Le mariage du trésorier

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