Читать книгу Chien et chat, ou Mémoires de Capitaine et Minette - Emma Maitland - Страница 4
II
ОглавлениеLily était une gracieuse et douce petite créature, que j’aurais pu renverser et fouler aux pieds en un instant; mais, quoique ma force fût de beaucoup supérieure à la sienne, il n’y avait personne à qui j’obéisse plus volontiers. Une parole, un regard de Lily me faisait rentrer à l’instant dans le devoir, et ces mots sortis de sa bouche: «Oh! Capitaine!» m’ont souvent rappelé à l’ordre, au moment où j’allais me jeter avec fureur sur quelque personne qui me déplaisait. Plein de soumission envers elle, je me regardais cependant en quelque sorte comme son protecteur, et l’homme ou l’animal qui se serait avisé de l’attaquer aurait mal passé son temps.
Comme je l’ai déjà dit, l’entrée du salon m’était rarement permise; ce qui n’empêchait pas Lily de trouver mille moyens de s’occuper de moi. Je me couchais toujours au pied de l’escalier, attendant avec impatience le moment où elle se rendrait dans la salle à manger pour le déjeuner.
Je savais par expérience qu’elle ne manquerait jamais de me passer affectueusement la main sur la tête en disant: «Comment cela va-t-il, Capitaine, mon bon chien?» J’exprimais aussitôt ma joie en remuant la queue. Je crois que j’aurais boudé toute la journée, si cette caresse de Lily m’avait manqué. Après le déjeuner elle venait dans le jardin et m’apportait un morceau de pain grillé qu’elle m’enseignait à attraper. J’aurais préféré de beaucoup le prendre à ma manière, en me jetant dessus et en l’avalant gloutonnement tout de suite. Mon désir de plaire à Lily était si grand que je savais résister à cette envie et rester patiemment assis devant un petit morceau de croûte bien beurré, des plus appétissants, placé absolument sous mon nez, le regardant sans y toucher. Jamais il ne m’arriva de le prendre avant d’en avoir reçu la permission.
J’attendais avec impatience le moment où elle se rendait dans la salle à manger. (P. 11.)
Elle comptait jusqu’à dix.
Après avoir acquis tant d’empire sur moi-même, il me semblait que mon éducation ne laissait plus rien à désirer; mais Lily n’était pas de cet avis et trouvait qu’il me restait encore bien des choses à apprendre. Elle voulut donc ajouter aux talents que je possédais déjà celui de tenir un morceau de pain sur mon nez pendant tout le temps qu’elle mettait à compter dix, et lorsqu’elle arrivait à ce nombre, de le jeter en l’air et de l’attraper avant qu’il tombât à terre. Je fus assez longtemps avant de pouvoir parvenir à faire ce tour de force, dont je ne comprenais vraiment pas l’utilité. Je flairais l’odeur du pain placé ainsi sur mon nez, et il m’était impossible de comprendre pourquoi il ne m’était pas permis de le manger tout aussitôt; mais pour Lily il n’y avait rien que je n’eusse fait; aussi je me soumettais de fort bonne grâce à tous ces exercices. Il m’est arrivé souvent de regarder par la fenêtre de la salle à manger, pour voir si mon maître et ma maîtresse s’y prenaient de la même manière; mais jamais je ne les ai vus placer leur viande ou leur pain sur leur nez et tâcher de les attraper.
Lily m’apprit aussi à fermer la porte lorsqu’elle m’en donnait l’ordre; et comme je n’y parvenais qu’en la poussant de toute la force de mon poids, ce jeu était tant soit peu bruyant; mais ma petite maîtresse y trouvait tant de plaisir qu’elle s’amusait à ouvrir la porte une douzaine de fois par jour, tout exprès pour que je la fermasse.
Un autre de ses grands amusements était de me mettre devant une glace. Je ne fus pas longtemps à m’y accoutumer; cependant, je l’avoue, la première fois je fus fort intrigué. Je pris d’abord le chien que j’apercevais dans la glace pour un ennemi empiétant sur mes domaines, et je me préparai à l’attaquer vigoureusement. Il me paraissait digne d’être mon adversaire, et semblait prêt au combat. Après avoir beaucoup aboyé, m’être bien démené, voyant que personne n’était blessé, je m’imaginai que le miroir était la barrière qui nous empêchait d’entrer en contact et que mon antagoniste s’y était retranché comme un lâche. Bien déterminé à ne pas lui permettre de profiter d’une tactique aussi basse, je passai adroitement derrière la glace avec l’intention de le bien secouer; mais, à mon grand étonnement, je ne trouvai personne. Je revins précipitamment à la place que je venais de quitter, et là je le retrouvai plus furieux que jamais. J’allai regarder de nouveau derrière la glace; pas la moindre trace d’adversaire. Je commençai à soupçonner ce qui en était, et, un peu honteux de m’être ainsi laissé attraper, j’abandonnai la partie et me couchai devant le miroir pour y contempler mon image et m’enfoncer dans mes réflexions.