Читать книгу Chien et chat, ou Mémoires de Capitaine et Minette - Emma Maitland - Страница 7
V
ОглавлениеMais, hélas! combien peu je prévoyais le malheur qui me menaçait! J’aurais bien mieux fait de rester dans mon chenil quelques jours de plus, et de supposer que le monde entier m’en voulait. Craven et moi nous nous trouvâmes vis-à-vis l’un de l’autre, sur le tapis du foyer, sur ce tapis que je considérais comme ma propriété. Un de mes plus grands plaisirs était de m’y étendre de tout mon long et de poser mes pattes sur le garde-cendre pendant que je me chauffais le nez. Quelquefois je m’y grillais si bien que mon poil était tout brûlant, et que Lily ne pouvait s’empêcher de jeter un cri lorsqu’elle me passait la main sur le dos. Elle aurait aboyé, je pense, si elle avait su comment s’y prendre. Craven s’était emparé de ma place et avait mis une de ses pattes de derrière sur le garde-cendre. Il me regarda d’un air de mépris; je me contentai d’en faire autant, bien que je brûlasse d’envie de mordre les talons de ses bottes et de lui enseigner à avoir plus de bon sens et de meilleures manières. Lily, qui n’en voulait jamais à personne, ne s’aperçut pas de notre éloignement réciproque, et dit avec sa candeur accoutumée.
«Craven, voici Capitaine qui vient pour vous caresser et vous demander pardon de vous avoir abandonné hier. Allons, Capitaine, donnez la patte.»
Mon plaisir était de poser mes pattes sur le garde-cendre. (P. 42.)
Je ne bougeai point; mon maître, qui était excellent chasseur, comprit parfaitement ce que j’éprouvais, et, s’adressant à Craven, lui dit:
«Vous avez indisposé ce chien contre vous en chassant si mal, et jamais vous ne lui persuaderez non plus qu’à moi que c’est lui qui a tort. Je ne vois pas de nécessité à ce que vous soyez chasseur; mais je suis d’avis que, lorsqu’on veut absolument faire une chose, il faut la bien faire; vous apprendrez tout comme un autre, pourvu que vous ne vous imaginiez pas que vous êtes passé maître lorsque vous ne savez rien encore. Nous sortirons tous ensemble aujourd’hui.»
Nous sortîmes en effet, et je conservai de ce jour un bien triste souvenir. Je me conduisis de manière à me faire honneur; mon maître me combla d’éloges, et, dans mon ignorance de ce qui devait arriver, je me sentais heureux. Craven tira plusieurs coups et manqua toujours; chaque fois qu’il voulait jeter le blâme sur le chien ou sur le fusil, il était arrêté par les éclats de rire de mon maître, qui lui disait:
Je sentis une douleur que je n’oublierai de ma vie. (P. 46.)
«Craven, les mauvais ouvriers se plaignent toujours de leurs outils; visez mieux.»
John voulut lui enseigner comment il fallait faire, mais il ne mit pas le moins du monde ses conseils à profit. Il est rare que les défauts ou les sottises d’une personne ne nuisent qu’à elle seule; hélas! je ne le sais que trop. Je fus victime de l’orgueil et de l’entêtement de Craven. Lorsqu’il tira de nouveau, je sentis une douleur que je n’oublierai de ma vie: son plomb, mal dirigé, m’était entré dans l’épaule, et je tombai en jetant des cris perçants que m’arrachait la souffrance. A l’instant même tout le monde alarmé m’entoura, et chacun m’exprima ses regrets et sa pitié ; Craven fut un des plus empressés et des plus chaleureux. Il dit qu’il ne se pardonnerait jamais sa bêtise, sa maladresse, que c’était complètement sa faute, et que jamais de sa vie il n’avait rien fait dont il eût tant de regret.
Pendant que mon maître et John pansaient ma blessure, il courut chercher un contrevent dans une petite chaumière voisine. On me posa dessus avec beaucoup de précautions et l’on me transporta ainsi à la maison. Craven n’ouvrait la bouche que pour se faire des reproches et me plaindre. Je pouvais à peine reconnaître en lui le même homme qui, une demi-heure auparavant, était si vain, si arrogant; et mon maître lui-même, qui était cependant fort en colère contre lui, ne put s’empêcher d’être touché de ses regrets.
Deux hommes me portèrent et furent relayés en route par deux autres qui suivaient. Craven, qui marchait à côté de moi, me passait affectueusement la main sur la tête en disant:
«Pauvre Capitaine, comme je voudrais qu’il fût en mon pouvoir de soulager vos souffrances! Ah! si vous pouviez comprendre combien je suis malheureux et honteux, je suis sûr que vous me pardonneriez. »
Bien que je souffrisse horriblement, il m’était impossible de ne pas être ému de son chagrin. Mon maître et John soignèrent ma blessure, et Lily m’apporta chaque jour elle-même ma nourriture. Tant que Craven resta dans la maison, il ne manqua jamais de l’accompagner dans les visites qu’elle me faisait, et chaque fois il témoignait de nouveau ses regrets pour ce qui était arrivé, ses bons sentiments à mon égard; et, lorsqu’il fut parti, j’entendis le vieux John dire:
Deux hommes me portèrent. (P. 47.)
«J’avais toujours pensé qu’il y avait du bon chez M. Craven; et son frère, qui est un jeune homme comme il y en a peu, saura en tirer parti. M. Craven est certainement bien changé à son avantage: Capitaine et miss Lily lui ont donné une leçon qu’il n’oubliera pas.»