Читать книгу Chien et chat, ou Mémoires de Capitaine et Minette - Emma Maitland - Страница 6
IV
ОглавлениеLe lendemain, pendant que Lily et moi jouions dans le jardin, mon maître arriva à l’heure accoutumée, avec sa veste de chasse.
«Où est Craven? demanda-t-il à Lily; je lui ai dit de s’apprêter.
— Il est encore à sa toilette, répondit-elle en riant; ses bottes ou son gilet ne vont pas à sa guise; je ne sais trop lequel des deux.
— Allons, s’écria mon maître, il va perdre la moitié de la journée avec toutes ses niaiseries. Je n’ai pas le temps de l’attendre. Vous lui direz que je suis allé en avant et qu’il n’a qu’à venir me rejoindre avec John. Retournez à la maison, Capitaine, continua-t-il, en voyant que je m’élançais après lui, espérant échapper au compagnon dont j’étais menacé ; allez-vous-en. Il faut que vous fassiez de votre mieux ce matin, car vous avez affaire à un chasseur qui, je le soupçonne fort, en sait bien moins que vous.»
J’obéis avec beaucoup de répugnance, et je restai en arrière, suivant tristement de l’œil mon maître qui s’éloignait. Les louanges de Lily furent pour moi une consolation; je les préférais presque aux biscuits dont elle était également prodigue envers moi. Après m’avoir adressé bien des compliments, elle prit un ton plus grave et ajouta:
«Maintenant, Capitaine, faites bien attention à ce que je vais vous dire.»
Je me plaçai aussitôt devant elle, tout yeux et tout oreilles:
«Vous êtes le meilleur des chiens, dit-elle, vous le savez.»
A ces mots, je remuai la queue en signe d’assentiment, car je le savais en effet. Elle me le répétait tous les jours et je croyais tout ce qu’elle me disait.
«Voici un autre biscuit pour vous; attrappez-le! »
Je l’attrapai et l’avalai en une bouchée.
«A présent, c’est tout, en voilà assez. Vous êtes un bon chien et je vais vous dire quelque chose. Vous irez à la chasse avec Craven. Il est bien différent de son frère, mais nous n’y pouvons rien; j’espère qu’il sera bon pour vous, ce dont toutefois je ne puis vous assurer. Je vous recommande de vous bien conduire, Capitaine, et de lui donner ainsi le bon exemple. Remplissez votre devoir le mieux que vous pourrez, ne soyez pas hargneux et ne grognez pas si les autres ne font pas ce qu’ils doivent. Si vous êtes mécontent, gardez-vous d’aboyer et de mordre; mais résignez-vous et prenez patience.»
Elle m’en aurait probablement dit davantage, si elle n’avait été interrompue dans sa harangue par le vieux groom John, qui, comme moi, attendait le jeune homme. La femme de John avait été la nourrice de Lily; pour lui, il lui enseignait à monter à cheval et l’aidait à cultiver son petit jardin. Il s’était en quelque sorte associé à moi pour prendre soin d’elle, et une grande intimité existait entre nous trois.
John, qui avait écouté notre conversation, dit, en indiquant du doigt la maison et en accompagnant ce geste d’un mouvement de tête à lui:
«Il va venir quelqu’un, miss Lily, qui a bien autant besoin de vos conseils que ce pauvre animal, mais à qui ils ne profiteraient probablement pas davantage. »
Il prononça ces derniers mots tout bas, pendant que Lily allait au-devant de Craven, qui arrivait en costume complet de chasseur. Il avait sur lui une telle quantité de gibecières, de ceintures, de poires à poudre et de choses qui lui pendaient de tous côtés, que je me demandais comment il pourrait faire le moindre mouvement. Le vieux John secoua la tête en le regardant et marmotta:
«Beaucoup de bruit et peu de besogne.»
Lily voulut lui expliquer l’absence de son père, mais Craven ne l’écoutait pas et n’était occupé qu’à lui faire admirer ses nombreuses inventions. Elle lui dit qu’il ne manquait pas d’outils et qu’il serait bien habile s’il parvenait à se servir de tous; que, quant à elle, elle pensait qu’il était plus embarrassant que commode d’en avoir autant.
«Bah! les femmes n’entendent rien aux plaisirs de la chasse, répondit-il.
— Oh! non, certainement, reprit Lily d’un ton gai; je ne doute pas que tous ces instruments n’aient chacun leur utilité ; seulement mon père me dit souvent que, quand on sait bien travailler, on n’a pas besoin de beaucoup d’outils; mais peut-être veut-il parler des ouvrages de femmes, et il est probable que vous avez raison.»
Le vieux John s’avança alors très respectueusement, mais en clignant de l’œil d’une certaine manière très significative pour moi, et dit:
Craven arrivait en costume complet de chasse. (P. 31.)
«Monsieur veut-il me permettre de le débarrasser un peu et me laisser porter son fusil? car il me semble qu’il est difficile pour lui de se charger de tout ce qui est utile et de ce qui ne l’est pas.»
Craven lui passa son fusil sans faire la moindre objection, et nous nous mîmes en route. Ce dernier trait le perdit entièrement dans mon esprit, et je le suivis tristement, ne conservant plus à son sujet la plus faible espérance. La perspective de rejoindre bientôt mon maître me ranima; mais là encore j’éprouvai une nouvelle contrariété : mon maître s’était mis à parcourir la plaine, et Craven voulut rester dans les plantations. La présence du vieux John fut ma seule consolation, et quand la première perdrix se montra, je fis un arrêt magnifique. Craven reprit son fusil, et pendant qu’il cherchait le plomb dont il avait besoin, dans la poche où il n’était pas, John tira et tua l’oiseau.
«Voilà un beau perdreau, dit Craven, et, sans ce malencontreux bouton, c’est moi qui l’aurais tué.
— Une autre occasion ne tardera pas à se présenter, dit John, et vous feriez bien de charger votre fusil afin de ne pas la perdre.»
Craven allait suivre son conseil, mais il voulut encore arranger quelque chose à son équipement, et, avant qu’il fût prêt, John avait mis dans sa carnassière un faisan. A la fin cependant Craven tira son coup et le manqua. Il dit que c’était la faute de John, qui l’avait empêché de me voir en se plaçant entre lui et moi.
«Cela ne m’arrivera plus, dit alors John, car je vais retourner à mon ouvrage, comme j’ai reçu ordre de le faire si vous n’aviez plus besoin de moi, une fois que je vous aurais conduit dans les plantations. Adieu donc, monsieur; je vous souhaite bonne chance à la première occasion.»
Le second coup, le troisième et le quatrième ne furent pas plus heureux. Plusieurs oiseaux partirent à nos pieds et s’envolèrent les uns après les autres en nous passant sous le nez, et je finis par me sentir humilié aux yeux des perdrix elles-mêmes. La moitié de la matinée se passa de cette manière, à perdre notre temps, notre bonne humeur, notre poudre et notre plomb; les oiseaux se moquaient de nous, j’en étais persuadé, et nous regardaient avec mépris en voyant que nous les manquions. Ma patience n’y tint plus, et il me tarda de retourner à la maison. Cependant je me rappelai les recommandations de Lily au moment de notre séparation, et je résolus, quoi qu’il arrivât, de faire de mon mieux jusqu’au bout. Je me dis aussi que jamais personne n’était venu au monde sachant manier un fusil, et que Craven n’avait peut-être pas eu l’occasion d’apprendre à le faire; qu’il y avait un commencement à tout, et que ceux qui avaient de l’expérience devaient aider ceux qui n’en avaient pas. Je continuai donc de faire tout ce qui dépendait de moi pour lui être utile. Tout à coup, après avoir encore une fois tiré en vain, Craven s’écria:
«C’est votre faute, stupide animal; jamais vous ne faites lever l’oiseau du côté où on l’attend. Si vous connaissiez mieux votre métier, j’aurais maintenant dans ma carnassière des perdreaux par douzaines.»
A cette offense, je sentis qu’il m’était impossible d’en supporter davantage et qu’il était de toute inutilité d’essayer de contenter un homme aussi injuste et aussi ingrat qu’il était ignorant et suffisant; je lui tournai donc le dos et pris le chemin de la maison d’un air digne et décidé. Craven eut beau appeler, siffler, crier, je n’y fis aucune attention. Je ne voulais plus rien avoir à démêler avec lui; et, sans tourner la tête ni ralentir le pas, je gagnai mon chenil, où je me couchai en rond sur la paille. Je me mis alors à réfléchir sur mes torts, jusqu’à ce qu’enfin je m’endormis. Pendant tout le reste de la journée je ne me montrai pas, et pour plus d’une raison. Une créature d’un ordre inférieur ne peut pas tout de suite prendre le dessus, quand elle a reçu un affront, et l’oublier, comme un homme pourrait le faire; nous sommes les esclaves de nos impressions, et, jusqu’à ce qu’elles soient effacées, nous ne pouvons nous empêcher d’en ressentir les effets et d’agir en conséquence; je me souviens avec regret que je prenais plutôt plaisir à nourrir ma colère qu’à l’oublier. Je ne voulais pas me trouver avec Craven; peut-être aussi me sentais-je un peu honteux de ma conduite et inquiet de ce que mon maître et ma maîtresse pourraient en penser. Mais j’entendis John raconter en riant tout ce qui s’était passé, et dire que cette histoire avait beaucoup amusé mon maître; je repris donc assez de confiance le lendemain matin pour me présenter au bas de l’escalier au moment où Lily passait.
«Allons, Capitaine, s’écria-t-elle, entrez et venez déjeuner, vous êtes un bon chien.»
Je ne me le fis pas dire deux fois, et je la suivis dans la salle à manger, enchanté de voir que je n’avais rien perdu de ma faveur accoutumée.