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III

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Table des matières

Pour la vingtième fois, M. de Melleville répéta:

– Hélène, va donc t’habiller!

Et pour la vingtième fois, Hélène répondit:

– Mais père, je me suis déjà habillée, ce matin. Qu’est-ce que tu veux! si ce monsieur ne me trouve pas bien, il me laissera.

Enfin, on sonna à la grille. Étienne, le valet de chambre, alla ouvrir et introduisit Jacques Saveny et un agent de change avec lequel on était en relations de part et d’autre et qui faisait le mariage.

La présentation fut comme toutes les présentations, assez gauche.

On était au mois de mai; on visita le jardin. L’agent de change donna aux fleurs des noms qu’elles n’avaient pas, et dit:

– C’est mademoiselle Hélène qui les cultive.

Il confondit dans la volière le rouge-gorge et le chardonneret, la mésange et la fauvette, et ajouta:

–C’est mademoiselle Hélène qui les élève.

Mademoiselle Hélène qui avait envie de le gifler lui sourit de bonne grâce. Quand on vint annoncer que le dîner était servi, il fit une théorie sur Lucullus, et M. de Melle ville ne se récria pas. Si bien qu’avant d’avoir déplié sa serviette, il chuchotait à l’oreille de Jacques:

– Vous voyez; la fille aime les fleurs et les oiseaux, et le père ne déteste pas le luxe de table.

Le dîner fut étrange. Le menu était fort bien composé, et l’agent de change et M. de Melleville y faisaient honneur; mais Jacques qui ouvrit la bouche pour manger, ne parla pas: quant à mademoiselle Hélène, elle n’ouvrit la bouche ni pour manger ni pour parler.

Le dîner terminé, on descendit au jardin, et l’agent de change allait recommencer sa généalogie des fleurs et des oiseaux, lorsque Jacques, hardiment, offrit son bras à la jeune fille qu’il entraîna sous un berceau de clématites.

–Mademoiselle, dit-il, cette demeure est un paradis terrestre, on se croirait ici à deux cents lieues de Paris.

– Mon père et moi, nous vivons beaucoup par la pensée, répondit Hélène.

– Voilà bien la vie que j’ambitionne, répliqua Jacques. Ici on oublie que les hommes sont méchants et que les choses sont tristes.

A ces mots, Hélène fixa Jacques, et se rapprochant de lui:

– Vous avez souffert? demanda-t-elle.

– J’ai perdu ma mère; mon père vit encore, mais il est loin de moi; il m’aime peu, et je n’entends pas parler de lui. J’ai pour toute famille un frère: il est marchand de passementerie, dit-il en souriant d’une façon sinistre.

– Pourquoi pas? répliqua Hélène avec la douceur de la femme qui panse un blessé.

– Sans doute pourquoi pas, poursuivit Jacques. J’ai même un oncle qui a gagné une belle fortune dans l’épicerie. Pourquoi pas? C’est le meilleur des hommes.

– Il est marié?

– Non, il est célibataire; c’est lui qui m’a élevé; c’est à lui que je dois tout.

– Vous vivez avec lui?

– Non.

–Pourquoi pas? dit-elle en appuyant sur le mot.

–Parce que, reprit Jacques embarrassé, parce que je ne suis pas marié et que.

– Mariez-vous donc, et votre femme gâtera cet homme qui le mérite tant et l’appellera: mon père.

A ce moment, la voix de M. de Melleville retentit.

–Ma petite Hélène, si tu nous faisais un peu de musique.

Hélène vint retrouver son père.

– Ah! vive la musique! s’écria l’agent de change: la grammaire latine le dit fort judicieusement: Musica me juvat ou delectat; et c’est si vrai que Mahomet a mis des musiciens dans son septième ciel!

Et comme Jacques redoutait quelque sottise à propos du septième ciel de Mahomet:

–Mademoiselle, dit-il, je joins ma prière à celle de ces messieurs.

Hélène rentra dans le salon dont elle ouvrit la fenêtre à deux battants. La nuit n’était pas venue assez complètement pour qu’il fût besoin d’allumer les bougies du piano, et cependant le soleil était couché, et les grands peupliers d’alentour qu’aucun zéphyr ne troublait, laissaient l’ombre envahir leurs cimes, et s’immobilisaient dans la soirée douce et tranquille.

Hélène joua la symphonie pastorale de Beethoven: c’était merveille de l’ouïr. Ce chef-d’œuvre vivait et se détaillait sous ses doigts comme la nature sous le pinceau du paysagiste Claude Gelée: il y avait dans cette exécution la vérité saisissante et le coloris superbe de ce Raphael du paysage. Hélène faisait passer son âme entière dans cette page où éclataient les orages de la vie et les chants de l’amour.

Avant la fin du morceau, l’agent de change se mit à applaudir brutalement dans le jardin où il était resté avec M. de Melleville.

Hélène eut un mouvement de révolte qu’elle fondit dans un arpège; enfin, elle plaqua l’accord final, et Jacques, avec cette froideur étudiée qui le rendait si original, lui dit:

–Je n’oublierai jamais cette soirée.

–Vous aimez beaucoup la musique? demanda Hélène.

Beaucoup, mademoiselle: la musique ainsi que la poésie fait passer l’âme par mille sensations délicieuses, et même à côté d’un brutal.

Les applaudissements de l’agent de change recommençaient et détonnaient comme une fusée oubliée dans un feu d’artifice.

La nuit était complète. Hélène ferma le piano et se disposa à quitter le salon.

– Allez-vous souvent à l’Opéra? demanda Jacques.

– Jamais, monsieur, répondit Hélène avec la moue de toutes les jeunes filles qu’on élève bien, jamais; mon père me traite toujours en petite fille.

– Affranchissez-vous, dit résolument Jacques; mariez-vous.

Hélène dut rougir dans l’ombre; car elle pressa le pas.

Jacques lui prit la main, et glacial, vainqueur, et déjà tyran, il répéta:

– Mariez-vous.

Et il ajouta:

– Soyez ma femme!

Quand les hôtes furent partis, Hélène, avec la parfaite innocence du jeune âge, s’assit sur les genoux de son vieux père, et lui dit en l’embrassant:

– Il me plaît.

M. de Melleville fut ravi de la confidence; et Hélène qui ne s’endormit qu’à l’heure où l’aurore quitte son palais vermeil et ouvre de ses doigts de rose les portes du jour, eut des rêves bénis:

Elle était l’épouse d’un époux qui lui apprenait que la vie est faite d’amour, et que l’amour est un rayon d’étoile sur la terre attristée.

A quelques jours de là, M. de Melleville reçut la visite officielle d’Amable Saveny.

Il n’était pas possible de résister à cet homme dont la bonté éclatait jusque dans sa rondeur grossière. Il remonta jusqu’au déluge, il raconta dans un discours émaillé de proverbes vulgaires et d’exclamations populaires, ses luttes et ses victoires: il donna le décompte de ses heures de travail et de plaisir, le chiffre de sa fortune et le montant de ce qu’il avait en poche: il fit le panégyrique de ses neveux et de lui-même; et, comme s’il eût été devant la cour de justice, il termina par ces mots:

– Je vous jure que voilà toute la vérité; d’ailleurs, prenez des renseignements sur moi; je suis assez connu sur place.

Après cette loyale explication, il demanda qu’on lui présentât mademoiselle Hélène; et, comme la jeune fille vint à lui ouverte et rieuse, il se livra davantage et dit:

– Alors, c’est vous qui allez épouser mon mauvais sujet de neveu?–

Eh bien! ma nièce, vous n’aurez pas un méchant oncle.

Hélène l’assura gentiment qu’elle n’en doutait point. Il reprit:

– Vous me plaisez; permettez-moi de vous faire un petit cadeau.

Il sortit d’une de ses poches un paquet fermé par du gros papier à chandelles et par une série de bouts de ficelle rapportés. Hélène ne put se contenir et elle éclata de rire. Son père la dévora des yeux, mais elle n’arriva pas à se maîtriser, et comme elle ne pouvait décemment pas quitter le salon, elle prit le parti de rire de plus belle.

– Grand Dieu! monsieur, dit-elle, entre deux éclats de rire, qu’est-ce que cela?

M. de Mclleville fit un geste d’excuses pour sa fille. Amable ne se troubla pas.

– Comme ça rit, dit-il, les jeunes filles!

Il offrit le paquet à Hélène en la priant de l’ouvrir La pauvre enfant riait, riait toujours: une idée comique venait de lui traverser le cerveau: elle s’imaginait trouver dans le papier un morceau de savon de Marseille; mais elle recouvra tout son sérieux, quand elle vit dans un écrin une superbe parure.

– Oh! fit-elle, cela est trop beau pour moi; c’est la parure d’une reine!

Amable faillit mourir de plaisir: la joie fait peur. Ses yeux s’injectèrent de sang, ses joues se colorèrent visiblement, il eut un tic dans la figure; et franchement, carrément, sans ambages, il traduisit son bonheur comme il le ressentait.

– Cela prouve, mademoiselle, qu’un épicier peut parer une reine! Laissez-moi vous embrasser.

Hélène lui tendit ses joues.

– A la bonne heure! dit-il, en faisant claquer ses lèvres sur les joues de la belle jeune fille, vous êtes sans façons; nous nous–entendrons, tous les deux. Vous viendrez dîner souvent chez moi; et, vous savez, s’il y a un plat que vous aimiez bien, on vous le fera; puis, aux étrennes, vous me direz ce que vous voulez que je vous donne; je serai l’oncle Gâteau.

Hélène était une de ces natures fines dont la supériorité même est de se mettre à la portée de tous.

Elle faisait la charité, non comme les grandes Parisiennes, qui trouvent dans l’aumône le moyen de tuer l’ennui qui les dévore, non comme les nobles dames qui y trouvent le relief qui les met au-dessus de leurs rivales, mais comme les bonnes âmes qui veulent vraiment adoucir l’infortune des affligés.

Elle comprit qu’Amable était un homme sans culture intellectuelle, mais elle vit qu’il avait lutté; elle soupçonna qu’il devait avoir le sot orgueil du maçon qui se prend pour l’architecte, mais elle sentit qu’il avait du cœur; et elle fut sincère dans le franc accueil qu’elle lui fit.

La journée s’achevait. M. de Melleville invita Amable à dîner.

– Non, dit-il en se levant pour sortir, on m’attend.

– Ah! cela est bien regrettable, dit Hélène en intervenant. M. Jacques Saveny dîne ici ce soir; il doit amener son frère; j’ai invité ma meilleure amie et son mari; vous nous manquerez; cédez, je vous en prie, monsieur.

Amable ne répondit pas. Pour la première fois, il sentait l’attachement qu’il avait pour Hortense Germier et le suprême pouvoir qu’elle exerçait sur lui. Il lui avait dit qu’il rentrerait, elle l’attendait; s’il ne rentrait pas, il serait grondé; il eut peur d’être grondé.

– Eh bien! reprit Hélène, qui ne dit mot consent.

– Non, je vous assure, répliqua Amable avec un visible embarras, je vous assure que je ne fais pas de cérémonies; on m’attend chez moi.

M. de Melleville crut comprendre. Hélène ne comprit pas, et cela est digne de remarque, car beaucoup de jeunes filles aujourd’hui donnent pour ces sortes de charades des solutions aussi justes que promptes.

– Oh! monsieur, fit-elle, ce n’est que vos domestiques qui vous attendent, puisque vous vivez tout seul.

Jacques et Alexandre entrèrent. Ils joignirent leurs instances à celles d’Hélène et parvinrent à décider leur oncle.

– Voyons, dit Jacques à part à son oncle, c’est à cause de cette femme. Eh bien! elle vous attendra, voilà tout.

Amable redressa la tête; il pensa comprendre que son neveu lui disait encore:

– Est-il bête, ce gros épicier!

EL il accepta, tout à coup, l’invitation à dîner avec autant d’empressement qu’il avait mis de force à la refuser.

Les deux autres convives arrivèrent. L’amie intime d’Hélène était Cécile Viriat, mariée depuis un an au plus parfait gentilhomme que la France eût jamais produit, Maurice Viriat, lieutenant d’artillerie.

Maurice était un joli garçon qui portait l’uniforme à ravir et sans forfanterie; il avait l’âme poétique et savait aimer, et comme il avait le bras robuste et qu’il chérissait l’honneur, il savait également se battre.

Cécile était douce, sans pousser la douceur jusqu’à la niaiserie; elle était gracieuse, sans pousser la grâce jusqu’à l’équivoque.

Couple beau, couple heureux, qui incitait l’admiration chez les bons et excitait l’envie chez les méchants, et qui avait ouvert son nid à la blanche tourterelle que l’on nommait Hélène.

Dans ce nid tiède, Cécile lisait à Hélène toutes les pages de son existence, à l’exception toutefois de celles où il était parlé d’amour, et encore désirait-elle ardemment qu’Hélène devînt femme pour pouvoir lire et relire avec elle ces pages confisquées.

Hélène, pâle d’émotion, avait serré la main de Maurice et embrassé Cécile, et leur avait lancé tout bas ces mots:

– C’est ce jeune homme qui cause avec papa. Cécile était au moins aussi émue qu’Hélène; mais en sa qualité de femme, elle s’enhardit bien vite, et elle sut questionner la future famille de son amie avec un tact parfait.

Maurice, lui, sonda le terrain en soldat consommé dans son métier; il fut grand capitaine. Avec l’oncle Amable et Alexandre il n’eut, d’ailleurs, besoin d’aucune science: ce fut une capitulation honteuse; l’ennemi se livra, pieds et poings liés; mais avec Jacques il fallut recourir aux mouvements tournants, employer la grosse artillerie et finalement enlever à la baïonnette. Cependant Jacques fut vaincu; et vers la fin de la soirée, Maurice murmura tristement à l’oreille de sa femme:

–La pauvre mignonne a un père aveugle, et c’est pitié de les voir tous les deux donner tête baissée dans le piège; ce monsieur Jacques Saveny a de beaux habits, mais c’est tout.

Cécile s’attrista à son tour; et quand Hélène, pure comme les soirs de mai, radieuse comme les reines qui coiffent un diadème, attira ses deux amis sous le berceau de clématites qui avait été témoin de son premier amour, ni l’un ni l’autre n’eut le courage de la désabuser.

Seulement, pour la première fois, Maurice Viriat la baisa au front et lui dit: –

– Hélène, souvenez-vous que le ciel vous a donné un frère et que ce frère, c’est moi!

Amable et ses deux neveux rentrèrent à Paris, un peu avant minuit. Chemin faisant, Jacques ne dit pas quatre paroles. Amable, d’ordinaire si gai, fut d’une humeur massacrante; mais Alexandre, que les vins avaient disposé favorablement et qui, d’ailleurs, n’engendrait jamais la mélancolie, annonça qu’il avait deux cent mille francs à lui et qu’après s’être installé dans une seconde boutique, il allait en acheter une troisième.

–Seulement, dit-il en riant d’un si gros rire que dans la nuit calme les oiseaux furent réveillés en sursaut, il y a une femme dans la boutique, et je ne peux pas prendre la boutique sans la femme.

–Tu dis? s’écria l’oncle, tout à coup.

–Je dis que le marchand de bretelles du numéro8a une boutique à vendre et une fille à marier; je prends les deux et je ne fais qu’un seul acte notarié, par économie.

– Mais c’est Picard, le marchand de bretelles dont tu parles!

– Picard lui-même, et la petite Picard, gentille, sans prétentions, un peu maigre, à mon idée, mais bah!

– Qu’est-ce qu’il a de fortune, Picard? Je suis plus riche que lui.

– Je ne sais pas; il donne cent mille francs à sa fille; elle est seule enfant; il me vend son fonds avec clientèle et droit au bail quarante mille francs.

– Alors tu tiendrais la bretelle, en grand?

– Mais parfaitement.

– J’irai causer avec Picard; qu’en penses-tu?

– Va lui demander à déjeuner quand tu voudras; tu seras le bienvenu.

– Je le crois parbleu bien! Picard est un vieux copain à moi; nous sommes du même âge, nous avons débuté ensemble à Paris; nous n’étions pas fiers; nous dînions chez la mère Radis, à douze sous par tête. Cette bonne mère Radis! elle servait le bouillon avec une seringue, et quand tout le monde en avait eu sa part, elle criait:

– Gare les pieds, les enfants!

Puis elle vidait sa seringue sur les dalles, et ça ne les engraissait pas, va!

Ces souvenirs d’autrefois ramenèrent un peu de gaîté dans l’âme tremblante d’Amable. On se sépara, Jacques toujours grave, Alexandre toujours sans-soucis, et Amable déjà repris par la peur.

–Quelle scène je vais avoir en rentrant! grommela le pauvre homme.

Et il regagna sa maison, tête basse. Il pensa qu’il n’avait pas le droit de s’insurger, parce que, pour la première fois de sa vie, il avait manqué à ses engagements commerciaux en n’épousant pas Horlense; et cependant il se raffermit dans sa résolution, car l’idée que cette femme devenant sienne le ferait passer pour un gros imbécile l’excédait à tel point qu’il préférait toutes les tortures à celle-là.

Hortense veillait. Dès qu’elle reconnut le pas d’Amable, elle prit la lampe; et charmante en son déshabillé blanc à longue traîne, elle ouvrit la porte, et dit comme Doña Sol:

–Est-ce vous, Hernani?

Amable qui n’était pas Don Carlos ne répondit point dans la même langue:

Eh! quelle voix veux-tu qui soit plus amoureuse?

C’est toujours un amant, et c’est un amant Roi!

– Comme je suis en retard, dit-il, en soufflant comme un soufflet de forge. Qu’est-ce que tu veux? Ils m’ont littéralement ficelé sur ma chaise, pour que je dîne avec eux.

–As-tu bien dîné, au moins? demanda joyeusement Hortense.

Amable était ébloui, Amable était transporté: Hortense ne se fâchait pas.

Il ôta son chapeau, il s’essuya le front, il s’assit dans le meilleur fauteuil, et il dit le plus comiquement du monde:

– Je vais te raconter tout.

Ce fut une nuit mémorable. Amable devant l’abnégation sublime d’Hortense vibra comme une corde de violon de Paganini: il eut des sanglots dans la voix, il tomba à genoux, il se traîna sur les mains, et finit par dire:

– Veux-tu que je t’épouse après tout?

– Mais non, mon gros bébé, je ne le veux pas, répondit Hortense: à chacun sa liberté! D’ailleurs cela contrarierait tes neveux: il faut rester bien en famille.

– Tu crois, interrogea bêtement Amable, que cela contrarierait mes neveux? et pourquoi?

– Pourquoi! pourquoi! Qu’importe! Tu peux faire pour moi ce que tu ferais si j’étais ta femme.

– Oh! je le jure! tu n’auras pas à te plaindre de moi: j’ai toujours été rond en affaires!

– C’est bien pour cela: je connais ton cœur. Eh bien! réponds, est-elle gentille, la fiancée?

– Charmante, pas fière un brin; elle est de notre monde; elle viendra dîner ici souvent: il faudra lui faire faire un rond de serviette.

– En or ciselé, dit précipitamment Hortense avec une pointe d’ironie qui échappa à l’épicier.

– Oui, en or. Ah! la douce créature!

Hortense parut rêver un instant.

– As-tu parlé de moi?

– Oui, oui, au beau-père; je lui ai dit que j’avais chez moi une cousine pauvre qui tenait mon ménage et que j’aimais beaucoup: tu seras de la famille; d’ailleurs, je le veux.

Cette fois, Hortense trouva qu’Amable était bien plus fort qu’elle: il avait si parfaitement joué son jeu, qu’elle se livra à la joie, sans réserve.

–Tu vois bien, reprit-elle, que tu n’as pas besoin de m’épouser: du reste, ton neveu Jacques ne le permettrait pas, et je veux que Jacques reste mon ami.

– Dis donc, petite chatte, interrompit Amable, il y a une autre nouvelle. Alexandre se marie.

– Oh! celui-là, s’écria Hortense en riant à gorge déployée, celui-là épouse la fille d’un marchand de choux-fleurs.

–Pas de choux-fleurs, mais de bretelles, répondit innocemment Amable: ce sera une vraie noce, celle-là! une noce comme on en faisait dans mon jeune temps. Alexandre épouse la fille de Picard.

–Qu’est-ce que c’est que cela, Picard?

–Un vieux camarade à moi! En avons-nous fait de ces fredaines ensemble! Je dois aller déjeuner demain chez lui, mais parbleu! tu peux bien venir avec moi!

– Sans doute, je mettrai une robe toute simple.

– Comment! toute simple, jamais de la vie! Tu mettras une robe de soie et toute ta batterie de cuisine.

–Oh! qu’est-ce que tu appelles ma batterie de cuisine?

– Tes bijoux.

–Je pourrai même les récurer avant de les mettre, dit Hortense en riant; et elle se mit à rire de si bon cœur que ce rire gagna Amable.

Si bien que tous deux riaient encore comme deux enfants, quand le soleil se leva.

L'impure

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