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IV
ОглавлениеDans les derniers jours du mois d’août1853, en la cathédrale de Versailles, devant une affluence nombreuse de parents et d’amis, Jacques Saveny épousa Hélène de Melleville.
Les témoins du côté du marié furent; Amable Saveny, millionnaire, le baron de Treyvières, banquier, chevalier de la Légion d’honneur; et du côté de la mariée, Maurice Viriat, lieutenant d’artillerie, et André de Mursay, avocat distingué du barreau de Paris.
Le Pape envoya sa bénédiction aux jeunes époux, et ce fut l’évêque qui les maria.
Dans la semaine qui suivit cette solennité, madame Viriat reçut la lettre suivante:
«Olivet, le3septembre.
» Ma Cécile adorée,
» Par deux fois Polyeucte a dit: «Je suis chrétien!» et par trois fois, j’écris: Je suis heureuse! je suis heureuse! je suis heureuse!
» Mon mari m’avait demandé la permission de m’enlever après la cérémonie religieuse, et comme j’aime les aventures, je la lui avais accordée, cette permission qui a dû faire jaser le monde.
» Ton opinion seule a du prix à mes yeux. Je Le dirai que je suis partie sans regrets, sans remords, car je t’ai vue si triste à la messe, que j’ai pensé qu’après mon départ, tu ne pouvais pas l’être davantage.
» Petit masque! je sais aujourd’hui pourquoi tu étais triste. Que ne m’as-tu prévenue, d’un mot, d’un regard? Oh! non, ne lis pas ce que j’écris, je suis folle; tu as bien fait de ne pas me prévenir: on ne dit pas ces choses-là. Cécile, j’ai pleuré, mais lui, a séché mes larmes et m’a bercée si tendrement que je me suis endormie dans ses bras, comme un enfant qui a un gros chagrin.
» Gronde-moi, gronde-moi; quand je m’éveillai le lendemain je ne pensai plus aux larmes de la veille, et ma nature aimante et expansive prit ses ébats comme aux jours d’entière innocence; et quand la nuit fut venue et que lui, de nouveau, dans un baiser de fer et de feu riva mon être à son être, je me demandai si cet homme était un brutal ou un insensé.
» Chut! chut!’tout bas! ne le dis à personne: aujourd’hui j’aime Jacques à en perdre la raison. Il est pour moi ce que Dieu a créé de plus grand. Quand j’entends son pas résonner dans la demeure, j’ai le frisson, mais ce frisson est un bien; quand je reconnais sa voix, j’ai peur, mais cette peur est exquise; et quand il entre, je me jette à son cou, la terre s’efface sous mes pieds, mes yeux se ferment, j’ai des ailes, je vais jusqu’au trône de Dieu.
» Puis, quand je soulève mes paupières, je me vois palpitante sur le sein d’un maître dont le regard me brise, dont la caresse m’affole. Cet homme tient mon âme entre ses mains; je suis son esclave, je le suivrai jusqu’où finit la terre, je l’aimerai par delà le tombeau! Et cependant, vois ce que l’amour a fait de ton Hélène chérie, je me sens encore si pure dans cette passion et si raisonnable dans cette déraison, que si cet homme me trahissait, loin d’être l’esclave à ses pieds servile, je ferais crouler sur sa tête le Paradis qui voit nos premières amours.
» Car, ma Cécile bien-aimée, Olivet est un paradis.
» Nous avons une petite maison où deux on est à merveille, où trois on serait de trop, cachée par de grands arbres séculaires qui se mirent dans le Loiret, ce ruisseau que les anges ont coloré de la teinte du ciel. Nous sommes là, fous d’amour. Qui donc nous voit? Dieu. Mais c’est justice puisque nous sommes ses hôtes.
» Je reprends ma lettre après deux jours d’une interruption qui m’a pesé. Jacques est allé chasser avec notre voisin, son ami, le baron de Treyvières: la baronne a voulu que je fusse auprès d’elle tout le temps qu’a duré l’absence de mon époux adoré.
» La baronne ne m’est pas sympathique: c’est une très jolie personne de trente-cinq ans environ, mais elle a la beauté étrange: elle a la beauté de Lucifer: Lucifer était un ange, mais un ange déchu. Elle m’a demandé des confidences qui m’ont fait rougir. Rassure-toi, je ne me suis pas trahie; seulement, quand Jacques est rentré, je lui ai tout conté, et, avec cette autorité cassante qui lui va comme un diadème, il a décidé que nous quitterions Olivet, demain.
» A bientôt, chère Cécile, à bientôt. Surtout ne le moque pas de ma lettre. Dis à Maurice que je me souviens toujours qu’il est mon frère: quant à toi, tu restes la Cécile que j’embrasse du meilleur de mon cœur.
» HÉLÈNE.»
«P.-S.–Tu as entendu parler d’une cousine pauvre qui tient le ménage de l’oncle de mon mari? Oh! Cécile, j’aimerai toujours ce brave homme que tu connais et que je persiste à croire bon, mais il a menti, le vilain! le vilain! Jacques m’a dit que la cousine était une... il appelle cela une impure... le mot est charmant... une impure. Il paraît que l’oncle et elle vivent ensemble, comme s’ils étaient mariés. Elle est jolie, instruite et bonne musicienne. Est-ce drôle ces choses-là! Jacques ne veut pas que je la voie. Cécile, j’allais le lui demander; je ne sais pas pourquoi je méprise cette femme. Jacques a été au devant de mes désirs. Qu’il soit béni!
» Elle était à ma bénédiction nuptiale; je me rappelle, en effet, que j’ai vu à côté de l’oncle Amable une très jolie femme, fort distinguée. Est-ce que c’était elle? Jacques dit que oui.
» Peut-être suis-je sévère à l’endroit de cette... cousine... impure? Qu’en penses-tu? Demande à Maurice son avis... Mais d’ailleurs Jacques a tranché, et je le répète, il a prévenu mes désirs.
» Adieu, ma Cécile aimée, adieu, et à bientôt. Je suis ta petite Hélène toujours mignonne.»
Jacques et Hélène quittèrent donc leur propriété d’Olivet pour rentrer à Paris.
Ils s’installèrent dans un délicieux appartement de la rue de la Victoire. Coquet Éden que cet appartement où Jacques avait entassé avec une profusion royale les tapisseries marquées au vrai coin de l’antiquité, les bahuts à culonnettes en tire-bouchon avec galeries d’or et portes à vitraux anciens, les faïences dont la laideur était un signe de race, les fauteuils Henri II, ces fauteuils dont le dossier plein dépassait même l’orgueilleuse tête de Diane de Poitiers, duchesse de Valentinois, recevant Catherine de Médicis, la femme légitime de son amant, les bronzes, les marbres et les émaux les plus vantés.
La chambre à coucher d’Hélène était une merveille de goût. Elle était simple, sévère même; mais cette simplicité et cette sévérité étaient encore défendues à la bourse des humbles.
Elle était tapissée d’une étoffe lourde faisant fond gros bleu, avec des gerbes de fleurs brochées très légèrement dans des nuances vives.
Les rideaux de fenêtre étaient de même étoffe. La cheminée en marbre brèche ciselé sur le fronton, était surmontée d’une glace dont l’encadrement était une torsade de velours avec filet d’or.
De chaque côté, on avait mis des jardinières en vieux saxe sur pied d’ébène, d’où s’échappaient de superbes plantes exotiques appelées à vivre, hélas, la vie des roses, une aurore.
Enfin, le lit touchant à la muraille par la tête seulement achevait un tableau enchanteur; il était de bois noir sans ornements: le baldaquin était formé d’une étoffe légère, à ramages, aux tons doux et mariés à ravir; au-dessus de la tête du lit, à l’intérieur, sur un fond cramoisi reposait doucement un Christ en croix sorti de l’ivoire le plus-pur et du ciseau le plus habile.
Hélène n’était pas à Paris depuis deux heures qu’elle courait chez Cécile Viriat.
Elle trouva Cécile et Maurice ensemble, toujours beaux et plus unis que jamais. Elle détailla son bonheur comme l’abeille détaille les parfums du pétale qu’elle courbe sous ses baisers. Elle allait et venait dans le chemin des airs, butinant, bourdonnant, confondant la fleur et le soleil, les hommes et Dieu; et son discours fou, enthousiaste, décousu, était semblable à ces nuées blanches qui courent dans un ciel bleu.
Elle fit promettre à ses amis de venir dîner, le lendemain.
– Jacques était si bon, Jacques parlait si souvent d’eux que son plus ardent désir était certainement de leur faire les honneurs de sa nouvelle demeure.
Et Maurice ébloui par ce tourbillon, décidé par sa femme à jamais ralliée, promit.
Quand Hélène rentra, elle trouva chez elle son père en grande admiration devant le luxe effréné de Jacques. Celui-ci, d’ailleurs, prouva péremptoirement qu’il avait la caisse de l’Europe dans ses mains, et Hélène fit tant de caresses au vieillard, que le pauvre homme eut des troubles oculaires et ratifia pleinement cette façon de comprendre la vie.
Hélène dit à son mari qu’elle avait invité les Viriat pour le lendemain; lui, annonça qu’il avait convié de son côté pour le même jour quelques personnes de la finance parmi lesquelles il nomma le baron et la baronne de Treyvières rentrés tout à coup à Paris; il crut devoir retenir aussi son beau-père; et la perspective de cette petite fête fut pour Hélène une joie nouvelle.
Toutefois, Hèlène dit à Jacques:
– Pourquoi avoir invité le baron et la baronne de Treyvières, puisque nous les fuyons?
– Ma chère enfant, répondit Jacques sèchement, la vie a de ces exigences.
Cependant, avant le dîner, Jacques sortit et se rendit chez son oncle. Amable était seul.
– Vive Dieu!c’est le petit, s’écria le bonhomme: les voilà rentrés les amoureux! Eh bien! quand venez vous dîner, ici, les enfants?
L’instant était décisif: la lutte ne pouvait plus s’éviter. Jacques allait frapper un grand coup.
Il était depuis quelques années l’élève et le complice du baron de Treyvières, un homme jeune encore et véreux déjà.
Ce financier à la mode, chevalier de la Légion d’honneur, était connu par le Tout-Paris qui claque les portes des loges sur le nez des ouvreuses au moment où Jean de Leyde entonne son cantique:
Roi du ciel et des anges...
Il avait entraîné Jacques dans des spéculations hasardeuses.
Sans doute, les résultats acquis étaient éblouissants et permettaient amplement de payer le tapissier; mais les résultats à acquérir dépendaient de beaucoup d’actionnaires bâillonnés moralement et dépouillés effectivement. Si bien, qu’il fallait, d’une part, ne prêter par ses relations à aucun propos malveillant, et de l’autre, se garder un sac d’écus pour la fuite ou un pistolet pour la mort.
Jacques n’avait pas hésité; il avait choisi le sac d’écus, et ce sac d’écus, c’était son oncle.
A tout prix, il devait empêcher Amable d’épouser Hortense Germier. Et le meilleur moyen d’arriver au but était de discréditer et finalement de faire bannir cette fille ramassée dans le ruisseau; il était, d’ailleurs, armé de pied en cap, il avait recomposé le dossier de la malheureuse, et il était décidé à agir brutalement. Il s’était dit: e ui mettrai le nez dedans à ce gros épicier, et nous verrons bien s’il ne comprend pas...
– Mon oncle, répondit-il, avec autant d’insolence dans le regard que dans la voix, je suis l’homme le plus en vue de tout Paris; ma femme est la créature la plus noble de la terre: à nous deux nous soulèverons le monde, mais c’est à la condition que nous ne commettions aucune inconséquence. Venez chez nous tant qu’il vous plaira, votre place y est marquée; mais ne comptez pas que nous viendrons chez vous. Cela est impossible à cause de votre maîtresse.
– Ma maîtresse? qui? Hortense? demanda Amable abasourdi. Ah! que tu es bête, mon garçon. Hortense est plus distinguée que moi, elle plaira à ta femme, et je parie qu’avant six mois, elles joueront des morceaux à quatre mains.
– Je ne m’occupe pas d’Hélène, en ce moment, reprit Jacques avec un cynisme tranquille, je m’occupe de moi. Que votre maîtresse entre dans ma maison, et mon crédit est coupé net.
– Bon! je devine, dit Amable. J’épouserai Hortense, et elle entrera chez toi par la grande porte.
– Attendez: cette fille est née d’une impure chez un viveur qui a été fameux par ses débauches, dans son temps; elle-même, elle a été, en Espagne, la maîtresse d’un ministre, d’un toréador et d’une sentinelle de la reine; puis, à Paris, elle a ravitaillé le quartier Latin, et enfin elle est tombée chez vous – sans doute un soir que le quartier était consigné. Franchement, si vous l’épousez, vous n’êtes pas dégoûté. Qu’en pensez-vous?
Amable était à terre. Il savait Jacques incapable d’inventer une pareille fable.
Ainsi donc, Hortense Germier était une fille sans mœurs, sans vergogne même, à qui l’instruction avait mis le masque d’une grande dame.
Ses torts envers elle disparaissaient: il n’était plus obligé de l’épouser.
Allait-il la chasser, comme le désirait Jacques?
Non. Qui donc prendrait soin de lui? Qui donc lui lirait et lui expliquerait le journal? Qui donc lui ferait de bons petits plats? Qui donc le caresserait?
Les mains de cette femme étaient douces, ses lèvres étaient vermeilles, ses dents étaient blanches ; et le souvenir de toutes ces friandises courbait Amable, comme le feu courbe le fer.
– Alors, reprit-il simplement, c’est fini? on ne se verra plus?
– Chassez-la.
– Ah! ah! c’est facile à dire, chassez-la! Et pourquoi la chasserais-je? Je ne te comprends pas; tu peux bien venir ici avec Hélène sans que tout Paris le sache, hein?
– Cette fille le contera à sa femme de chambre qui le répétera dans la rue, et ce sera bientôt le secret de Polichinelle.
– Au diable Polichinelle! Ton frère ne fait pas tant de façons! il se marie dans un mois; sa future et Hortense se connaissent et sont déjà comme les deux doigts de la main.
Jacques sentit que c’était assez pour une première attaque; il rompit, content de lui, car il emportait la certitude que son oncle n’épouserait pas cette fille et l’espoir qu’après six mois d’isolement, Amable serait vaincu et donnerait complète satisfaction.
Il descendit, et rajustant son petit paletot café au lait, il murmura avec une suffisance contenue:
– Mon oncle est bien plus fier de moi que de mon frère, il mettra les pouces, pour avoir l’honneur de dîner à ma table!