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PHILIPPE DE LOC-RONAN.

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Entre Fouesnan et Quimper, sur les rives de l'Odet, au sommet d'une colline dominant le pays, s'élevait jadis un château seigneurial dont il ne reste aujourd'hui que des ruines pittoresques. A l'époque vers laquelle nous avons fait remonter nos lecteurs, c'est-à-dire au milieu de l'année 1791, ce château, planté fièrement sur le roc comme l'aire d'un aigle, dominait majestueusement les environs. Il appartenait à la famille des marquis de Loc-Ronan, dont il portait le nom et les armes. Les seigneurs de Loc-Ronan étaient de vieux gentilshommes bretons, compromis dans toutes les conspirations qui avaient eu pour but de conserver ou de rétablir les droits féodaux, et qui, trop puissants pour ne pas être charitables, trop véritablement nobles pour ne pas être simples, trop Bretons pour ne pas être braves, étaient adorés dans le pays.

Le dernier marquis de Loc-Ronan était veuf depuis plusieurs années. Jeune encore, âgé de quarante ans à peine, il avait quitté complètement Versailles et s'était retiré dans ses terres. Jadis grand chasseur, il avait déserté les bois. Une profonde mélancolie semblait l'accabler. Recherchant la solitude, évitant soigneusement le bruit des fêtes, n'allant nulle part et ne recevant personne, le marquis vivait entouré de quelques vieux serviteurs, dans le château où avaient vécu ses pères. Quelquefois, mais rarement, les paysans le rencontraient chevauchant sur un bidet du pays. Alors les bonnes gens ôtaient respectueusement leurs grands chapeaux, s'inclinaient humblement et saluaient leur seigneur d'un:

—Dieu soit avec vous, monseigneur le marquis!

—Et qu'il ne t'abandonne jamais, mon gars! répondait invariablement le gentilhomme en ôtant lui-même son chapeau pour rendre le salut à son vassal, circonstance qui faisait qu'à dix lieues à la ronde, il n'y avait pas un paysan qui ne se fût détourné volontiers d'une lieue de sa route pour recevoir un si grand honneur.

Dans les mauvaises années, loin de tourmenter ses vasseaux, le marquis leur remettait leurs fermages et leur venait encore en aide. Rempli d'une piété bien entendue, il ne manquait pas un office et partageait son banc seigneurial avec les vieillards, auxquels il serrait la main.

Au moment où nous pénétrons dans le château, le gentilhomme, retiré dans une petite pièce située dans une des tourelles, était en train de consulter deux énormes manuscrits in-folio placés sur une table en vieux chêne admirablement travaillée. Cette petite pièce, formant bibliothèque, était le séjour favori du marquis. Éclairée par une seule fenêtre en ogive, de laquelle on découvrait les falaises d'abord, la pleine mer ensuite, elle était garnie de boiseries sculptées. D'épais rideaux et des portières en tapisseries masquaient la fenêtre et les portes.

Une cheminée armoriée, petite pour l'époque, mais sous le manteau de laquelle on pouvait néanmoins s'asseoir, faisait face à la porte d'entrée donnant sur l'escalier. Quatre corps de bibliothèques, ployant sous la charge des livres qui y étaient entassés, ornaient les boiseries. Près de la fenêtre se trouvait la petite table.

Le marquis était un homme de quarante ans environ. Sa taille élevée, noble et majestueuse, n'était nullement dépourvue de grâce. Son front haut, ombragé par une épaisse chevelure brune (depuis son retour en Bretagne le marquis ne portait plus la poudre), son front haut, indiquait une vaste intelligence, comme ses yeux grands et sérieux décelaient une réelle profondeur de jugement. Ses extrémités étaient de bonne race; et sa main surtout, blanche et fine, eût fait envie à plus d'une grande dame.

L'ensemble de la physionomie de M. de Loc-Ronan inspirait tout d'abord le respect et la confiance; mais l'expression de ce beau visage était si profondément soucieuse et mélancolique, qu'on se sentait malgré soi attristé en le contemplant.

Une heure et demie du matin venait de sonner. La tempête entièrement dissipée avait fait place à un calme profond, troublé seulement par le mugissement sourd et monotone des flots se brisant contre les rochers. La lune, débarrassée de son rempart de nuages, étincelait comme un disque d'argent au milieu de son cortége d'étoiles. Le vent, s'affaiblissant d'instants en instants, ne soufflait plus que par courtes rafales.

Le marquis, plongé dans sa lecture, offrait la complète immobilité d'une statue. La fenêtre ouverte laissait librement pénétrer les rayons blancs de la lune, qui venaient livrer un combat inoffensif aux faibles rayons d'une lampe placée sur la petite table. En entendant le marteau de la pendule frapper sur le timbre, le marquis leva la tête.

—Une heure et demie, murmura-t-il. Il tarde bien!

Puis prenant un sifflet en or posé à côté des livres, il le porta à ses lèvres et en tira un son aigu. La porte s'ouvrit aussitôt, et un homme de quarante à cinquante ans parut sur le seuil.

—Jocelyn, fit le marquis en se levant, tu as été à Penmarckh?

—Oui, monseigneur.

—Il t'a dit qu'il viendrait!

—Cette nuit même.

—Il tarde bien!

—Monseigneur veut-il que je retourne à Penmarckh?

—Non, mon bon Jocelyn; ce serait trop de fatigue.

—Qu'importe?

—Il m'importe beaucoup! Je n'entends pas que tu abuses de tes forces!... J'ai besoin que tu vives, Jocelyn; tu le sais bien.

—Monseigneur, encore cette pensée qui vous occupe?

—Elle m'occupera toujours, mon vieil ami.

—Monseigneur, il est bien tard, fit observer Jocelyn après un moment de silence, et en cherchant évidemment à détourner le cours des idées de son maître; ne voulez-vous pas prendre un peu de repos?

—Impossible! J'attends celui que tu as été chercher.

—Monseigneur! j'entends la cloche de la grille; c'est lui sans doute.

—Eh bien! va vite, et introduis-le sans tarder.

Jocelyn sortit, et le marquis, refermant son in-folio, le replaça dans les rayons de la bibliothèque. A peine avait-il achevé, qu'un homme, enveloppé dans un caban de matelot en toile cirée, parut sur le seuil. Il salua le marquis avec aisance, entra, referma la petite porte, fit retomber la lourde portière, ôta vivement son caban qu'il jeta à terre, et, s'avançant vers le marquis, il lui prit la main et voulut la baiser. Le marquis retira vivement cette main, et attira le nouveau venu sur sa poitrine.

—Êtes-vous fou, Marcof? dit-il.

—Non, monseigneur, répondit le marin, car c'était lui qui venait d'entrer; non, monseigneur, je ne suis pas fou; mais il s'en faut de bien peu, car vos bontés pour moi me feront perdre la tête!

—N'êtes-vous pas mon ami?

—Oh! monseigneur!

—Eh! mon cher Marcof, qui donc mieux que vous a mérité ce titre? Vous m'avez quatre fois sauvé la vie; vous avez reçu deux blessures en me couvrant de votre corps, lorsque nous faisions ensemble la guerre d'Amérique. Vous m'avez donné la moitié de votre pain lorsque nous ne savions pas si nous en aurions le lendemain. Vous n'avez jamais trahi un secret duquel dépend mon honneur, et dont le hasard vous a fait dépositaire. Que diable un homme peut-il faire de plus pour un autre homme? et, en vous appelant mon ami, ne l'oubliez pas, c'est moi seul qui dois être fier de votre affection!...

Marcof porta vivement la main à ses yeux et essuya une larme.

—Au nom du ciel! dit-il en frappant du pied, ne parlez donc jamais de toutes ces choses passées qui n'en valent pas la peine, et qui peut-être vous compromettraient si elles étaient entendues.

—Nous sommes seuls ici, répondit lentement le marquis. Donc, plus de gêne! Frère, embrasse-moi.

Marcof lança autour de lui un coup d'oeil rapide. Pour plus de précaution, il poussa la fenêtre, et, serrant vivement et à deux reprises le marquis dans ses bras, il l'embrassa en murmurant:

—Oui, mon bon Philippe, j'avais besoin de te voir.

Les deux hommes, se reculant un peu en se tenant par la main, demeurèrent pendant quelques minutes immobiles en face l'un de l'autre. Leurs bouches étaient muettes, leurs regards seuls lançaient des éclairs joyeux.


Marcof le Malouin

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