Читать книгу Contes de ma mère - Eugénie Foa - Страница 4
ОглавлениеL’ENFANT TROUVÉ
— Ne vous chagrinez donc pas comme ça, m’ame Marguerite; après tout, ce monsieur n’est pas un loup. Allons, du courage, notre maîtresse, le bon Dieu ne vous abandonnera pas.
— Hélas! Rose, c’est fini pour nous, M. de Bret ne veut rien entendre! Tout ce qu’a pu lui dire mon mari n’a fait que l’irriter davantage.
— Vas-y toi, mère, dit Clément, un petit garçon de huit ans à la mine éveillée.
— Moi? oh! non pas; je ne l’ai vu qu’une fois, l’an passé, quand je fus lui porter notre terme; il est dur, fier.
— Tant pis pour lui s’il est fier; mais c’est égal, mère, vas-y tout de même, prie-le bien.
— Non, non, je n’oserai jamais!
— Eh bien! j’irai, moi, mère, j’irai trouver ce M. de Bret, et je lui dirai: — Ma mère est malheureuse, elle ne peut pas vous payer dans ce moment; mais elle vous payera, c’est moi qui vous le dis.
— Tais-toi, Clément; non, je ne veux pas. Ton père va venir, peut-être aura-t-il été plus heureux.
— Clément! Clément!
— Ah! voilà Justin qui m’appelle, c’est pour jouer; j’y vais.
— Quel bon petit cœur, pensa Marguerite; qui sait ce qu’il deviendra un jour? Puis, s’adressant à Rose: — Rentre à la ferme, lui dit-elle, va mettre la table; il est midi, nos gens vont arriver pour dîner.
— C’est juste, notre maîtresse, v’là que j’y vas.
Rose sortit, et madame Faucheux, demeurée seule, s’abandonna à ses réflexions.
Antoine Faucheux avait affermé ce beau domaine, situé à quelques lieues de Rouen. Au bout de quatre ans, grâce à son activité et aux soins de Marguerite, sa femme, il parvint à relever la ferme de l’état de dépérissement où son prédécesseur l’avait laissée. Il commençait déjà à réaliser quelques bénéfices, lorsque M. Champeaux, le propriétaire, mourut.
Le domaine ne tarda pas à être vendu. Antoine s’empressa d’aller rendre visite à l’acquéreur afin d’obtenir de lui la conservation du bail. Elle lui fut accordée.
La première année se passa comme les précédentes; mais la seconde fut une année désastreuse, et qui ruina complétement le pauvre Antoine. La grêle dévasta tout chez lui; plantations, prairies, récolte, tout fut détruit Le terme expiré, le malheureux fermier se trouva dans l’impossibilité de le payer. Antoine se rendit alors chez M. de Bret, le nouveau propriétaire, pour le conjurer de lui accorder du temps; M. de Bret fut intraitable.
Marguerite était au désespoir. Antoine ne savait à quel saint se vouer. Enfin il se décida à faire une dernière tentative; le matin du jour où commmence notre histoire, il alla au château où était alors M. de Bret, et c’est dans l’attente de son retour que nous avons laissé la pauvre Marguerite, seule, pensive, et le cœur en proie à la plus vive anxiété.
Elle réfléchissait à la cruelle situation où le ciel les avait jetés, lorsqu’une voix bien chère vint l’arracher à ses sombres pensées.
C’étaient ses enfants qui se livraient à leurs jeux, et qui accouraient près de leur mère.
Clément se traînait à quatre pattes, portant sur son dos le petit Justin, dont le visage frais et joufflu respirait la joie et la santé. Sa main était armée d’un fouet, et, prenant devant sa mère l’attitude d’un cavalier consommé :
— Hu! hu! hu donc, dada! criait le petit espiègle à son frère, qui se prêtait gaiement à son badinage. Vois donc, maman, comme je me tiens bien. Oh! je n’ai pas peur, va. Hu! hu! mais va donc plus vite, Clément! galope, galope! Hu! hu donc! il ne veut pas galoper, maman, c’est ennuyeux.
Marguerite ne put s’empêcher de sourire à la vue de ses enfants. Malgré son chagrin, la mère sentit le bonheur pénétrer son âme, Justin paraissait si heureux, et Clément était si complaisant, si bon pour son frère! Tout à coup son mari parut, et avec lui M. de Bret.
A sa vue, Marguerite se leva.
— Ah! Monsieur, s’écria-t-elle, votre rigueur frapperait aussi ces innocentes créatures. Vous êtes père, pet-être, Monsieur, alors vous comprendrez les angoisses de mon cœur; je vous en conjure, Monsieur, pitié, pitié pour mes enfants!
— Père! murmura M. de Bret, oui, je le fus... j’avais un fils aussi, moi... mais je ne l’ai plus... La mort, sans doute... Puis, faisant un mouvement comme pour chasser un souvenir douloureux:
— Je ne viens pas ici, reprit-il brusquement, pour m’apitoyer avec vous sur l’avenir de vos enfants. Vous devez savoir ce qui m’amène, c’est de l’argent qu’il me faut.
— Hu donc! hu donc! cria Justin.
Mais Clément ne bougeait pas. Toujours à quatre pattes, les yeux fixés sur l’étranger, il semblait dominé devant lui par un sentiment qu’il ne pouvait définir.
— De l’argent, Monsieur, dit Marguerite, mais nous n’en avons pas. Cette année nous a été fatale. Attendez, Monsieur, attendez; nous vous jurons que l’année prochaine tout vous sera payé.
— Impossible, Madame; et, si vous n’avez rien de mieux à me dire, je sais ce qui me reste à faire.
Il allait se retirer en prononçant ces paroles, lorsqu’un cri plaintif se fait entendre.
— Oh! la, la! Oh! la, la!
C’était Justin. Son frère s’était levé tout à coup, et le petit cavalier était tombé par terre.
— C’est une barbarie, s’écria Clément en s’avançant vers M. de Bret, c’est une cruauté ; il faut que vous ayez l’âme bien dure pour tourmenter ainsi ma pauvre mère.
— Tais-loi, Clément, je t’en prie.
— Non, mère, il faut que je parle.
— Tais-toi, te dis-je.
— Te traiter de la sorte, toi?
— Tais-toi, je te l’ordonne.
Clément obéit, mais il se retira pour cacher ses larmes prêtes à couler.
— C’est votre fils, Madame? demanda M. de Bret.
— Pardonnez-lui, Monsieur, c’est un enfant.
— Qui promet, Madame, son caractère...
— Est excellent, Monsieur; mais il est vif, sensible, et en voyant sa mère malheureuse...
— Il est à vous, Madame?
— Monsieur...
— Eh bien, quoi donc? Cet enfant vous appartient-il?
— Monsieur!
— Vous hésitez?
— Hélas!
— Achevez!
— Il ne m’appartient pas, Monsieur.
— Que dites-vous?
— Clément n’est pas mon fils.
— Comment se fait-il?
— Je ne sais si je dois...
— Parlez, Madame.
— Il y a six ans que nous prîmes pour la première fois possession de cette ferme. M. Champeaux avait exigé que l’acte fût signé chez son notaire, à Paris. Antoine était malade, et, comme l’affaire ne pouvait pas se remettre, je partis à sa place. Tout se termina comme nous en étions convenus avec M. Champeaux, et je fis aussitôt mes dispositions pour retourner chez nous. Il était midi et demi, la voiture partait à une heure, et je me rendais aux bureaux de la diligence, lorsqu’en passant dans la rue Saint-Honoré je vois un petit garçon qui pleurait à chaudes larmes, et à qui personne ne faisait attention. Je m’approche de lui, je le questionne, mais je ne peux obtenir pour toute réponse que ces mots: — Papa, maman, Pierre.
— Pierre! fit M. de Bret, continuez.
— Je pensai que le pauvre petit avait été perdu; je le pris dans mes bras, j’interrogeai tous ceux que je rencontrai, je ne pus rien découvrir. Quel parti prendre, que faire? L’heure du départ approchait, je ne pouvais pas, en conscience, laisser là ce cher petit être exposé à périr de faim ou sous les pieds des chevaux, je n’hésitai plus. —Viens, lui dis-je, puisque la Providence m’envoie à ton secours, je ne t’abandonnerai pas; viens, tu seras mon fils.
— Je l’emmenai avec moi, et nous partîmes. Nous employâmes, Faucheux et moi, tous les moyens possibles pour faire connaître aux parents de l’enfant (si toutefois ils existaient encore) les circonstances qui l’avaient remis entre nos mains. C’était notre devoir, n’est-ce pas, Monsieur? Personne ne l’a jamais réclamé ; il y a six ans de cela, et depuis ce temps Clément n’a pas quitté la ferme, où il passe pour notre fils.
— Il y a six ans, dites-vous?
— Oui, Monsieur.
— Le jour où vous le trouvâtes dans les rues de Paris, n’était-ce pas le 18 mai?
— Attendez!
— Rappelez bien vos souvenirs, madame Marguerite.
— Oui, oui, c’était bien le 18 mai.
— Dieu! c’est précisément ce jour-là qu’une affaire de la plus haute importante nous força de partir subitement pour l’Angleterre.
— Que dites-vous?
— Cet enfant ne portait-il pas une chaîne à son cou?
— Oui, Monsieur, une chaîne d’or.
— Avec un médaillon?
— Oui, Monsieur, un portrait de femme.
— C’est lui, c’est mon fils!
— Votre fils?
— Dans le trouble où nous jeta ce départ précipité, il disparut. Pierre, chargé de veiller sur lui, se mit sur-le-champ à sa recherche, mais il ne put découvrir ses traces.
— Je le crois bien; il était avec moi, faisant route pour Rouen.
— Et cette chaîne, ce portrait?
— Je les ai là, Monsieur.
— Montrez-les-moi, madame Marguerite.
Marguerite rentra à la maison, et en rapporta une chaîne d’or qu’elle remit à M. de Bret.
— C’est elle! c’est le portrait de sa mère, que la perte de son enfant a conduite au tombeau.
En prononçant ces paroles, M. de Bret se précipite dans la maison; il aperçoit Clément qui pleurait encore, debout contre la croisée. Il va à lui, l’enlève dans ses bras, le presse sur son cœur:
— Jules! s’écria-t-il, Jules! mon fils, mon fils bien-aimé !
— Laissez-moi, fit Clément en cherchant à se dégager; je ne m’appelle pas Jules, et vous n’êtes pas mon papa; mon papa est bon; vous, vous êtes méchant.
— Méchant, moi! Ah! le ciel en est témoin, j’étais bon autrefois; mais je te perdis, toi en qui j’avais mis toute ma consolation, tout mon orgueil; je vis ta mère expirer de douleur: tant de malheurs à la fois m’accablèrent, mon cœur se ferma à toutes les sensations, je devins malgré moi égoïste, dur, insensible aux infortunes d’autrui; mais je te retrouve et je sens déjà renaître dans mon âme mes sentiments d’autrefois. Faucheux, Marguerite, je fus bien cruel envers vous, pardonnez-moi. Cette ferme vous appartient, je vous la donne. Qu’est-ce que cela auprès du trésor que vous m’avez conservé ? Mais ma reconnaissance...
Marguerite pleurait en pensant qu’il fallait se séparer de son fils.
— Rassurez-vous, bonne Marguerite, votre Clément ne vous quittera pas.
— A la bonne heure, tu es bon, à présent, dit Clément en s’élançant au cou de son père.
En effet, M. de Bret se fixa au château. Clément ne voulut pas renoncer à sa vie active des champs, il passait toute la journée à la ferme; et quand il voyait de la tristesse sur les traits de Marguerite, il se jetait dans ses bras et lui disait: —Console-toi, ma mère, je suis toujours ton fils.
TONIN CASTELLAN.