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FÊTE DE LA TARASQUE.

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Une espèce de dais avait été élevé devant l’abbaye des Bénédictines, à Tarascon; à l’issue de la messe, dite dans la chapelle de cette église, le roi et la reine, suivis de l’abbesse et de toutes les religieuses de ce couvent, vinrent prendre place sous ce dais.

Le roi René était âgé à cette époque de soixante-cinq ans, et la reine seulement de quarante et un. La plus grande bonté régnait sur le visage du roi; celui de la reine, mélancolique et pâle, exprimait une souffrance intérieure qu’elle s’efforçait vainement de dissimuler sous un calme apparent. Heureuse entre toutes les femmes, Jehanne de Laval, minée par une maladie de langueur, éprouvait cette tristesse profonde qui navre à la vue des objets que l’on aime, que l’on se voit menacé de quitter bientôt; sa gravité, étendue comme un voile de glace sur ses traits, ne provenait ni d’insensibilité ni d’une sévérité éloignée de son cœur, mais seulement d’un regret profond, incessant.

A peine le son des cloches eut-il appris aux habitants de Tarascon que le roi et la reine étaient assis sous le dais, que les tarascaires, suivis des corporations des différents métiers et de la Tarasque, traînée par dés portefaix habillés en chevaliers, entrèrent dans la ville; à l’entrée de la place de l’Hôtel-de-Ville, on attacha des fusées aux narines du monstre, et un des tarrascaires fut chargé d’y mettre le feu, ce qu’il faisait de manière que les spectateurs pussent supposer que le monstre vomissait feux et flammes par les naseaux. Arrivée devant l’abbaye des Bénédictines, la Tarasque exécuta une course, à la suite de laquelle l’abbesse donna trente-six francs en l’honneur de l’animal.

Puis les jeux de la Tarasque commencèrent.

1° D’abord saint Christophe, patron des portefaix, parut; il portait sur ses larges épaules un charmant enfant, richement vêtu; à ses côtés, un autre personnage portait l’agneau pascal; ils précédaient plusieurs portefaix qui avaient l’air de faire rouler avec peine un grand tonneau vide, et qui s’y prenaient si maladroitement, que le tonneau, roulant à droite et à gauche, renversait de ci et de là tous ceux qui se trouvaient le plus près; ce qui excitait des éclats de rire parmi la populace: ce rire gagna le roi, l’abbesse, les religieuses, tout le monde, excepté la reine, qui regardait cependant ce tumulte avec assez de complaisance.

2° Le jeu du cordeau vint ensuite; des paysans cherchaient à faire tomber les spectateurs et y réussissaient souvent: chaque chute excitait de nouveaux éclats de rire parmi la foule; mais la reine ne riait point.

5° Puis vint le jeu de Nostre Dame deis patres (des bergers): c’étaient trois belles jeunes filles habillées avec élégance et montées sur des ânesses; elles essayaient de prendre, en regardant, la foule, des mines bien sévères et bien hautaines; alors un berger, feignant d’être insensé, passait rapidement devant elles, et, trempant une plume dans une bouteille d’encre cachée sous sa veste, leur en barbouillait brusquement le visage; les contorsions de ces trois belles jeunes filles pour éviter la plume donnaient à rire à chacun; la reine seule gardait son sérieux.

4° Le jeu des jardiniers, qui faisaient pleuvoir des graines d’épinard sur les jeunes personnes, amusait aussi la foule; la reine seule semblait ne prendre aucune part à la fête.

5° La corporation des meuniers passa, répandant à droite et à gauche une pluie de farine qui blanchissait l’air et les curieux, et continuait à maintenir l’hilarité générale; la reine seule regardait sans rire.

6° Le corps des arbalétriers passa en faisant voler en l’air une nuée de flèches.

7° Puis les chevaliers tarascaires passèrent, et, s’arrêtant devant le dais, en face du roi et de la reine, ils exécutèrent une espèce de combat fort divertissant, avec leurs piques et leurs drapeaux: ce tableau, plein de mouvement, enchanta l’assemblée; à l’issue de ces jeux guerriers, la reine battit des mains, mais ne sourit pas.

8° Les agriculteurs parurent ensuite; ils étaient montés sur leurs plus belles mules, richement harnachées, précédés des trompettes, des timbales et des tambours; ils distribuaient du pain bénit au peuple, qui se pressait sur leur passage.

9° A la suite des agriculteurs, parut un grand bateau juché sur un grande charrette, laquelle était traînée par six forts chevaux, de ces chevaux qui servent à remorquer les bateaux dans les rivières; ce bateau était plein d’eau, et un grand nombre de marins, placés sur la charrette, s’amusaient à prendre cette eau et à la jeter sur les passants. Ils avaient soin de tenir le bateau toujours plein, en l’alimentant à toutes les fontaines devant lesquelles ils passaient. Cette grande machine, dont le bruit se faisait entendre de loin, et devant laquelle le peuple s’enfuyait en criant, excita d’abord l’attention de la reine; elle se pencha sur son balcon pour mieux voir; puis cet effroi de la foule lui fit craindre quelque malheur; car ces femmes, ces enfants, se culbutaient, couraient, criaient, tombaient, par la crainte de recevoir un peu d’eau froide sur la tête, ce qui ne les empêchait pas d’en être inondés parfois, ces marins étant si adroits, qu’ils jetaient de l’eau aux personnes qui étaient aux croisées, atteignant ainsi jusqu’au deuxième étage; ce que la reine voyant, elle ne put s’empêcher de rire; aussitôt le roi s’écria avec une naïve bonhomie: «Vivat! la reine a ri.»

La reine a ri circula bientôt dans la foule et interrompit un moment la marche du cortége, qui cependant ne tarda pas à se remettre en circulation.

Ce jeu, qui fit rire la reine, s’appelait «le jeu de l’esturgeon. »

10° A ce jeu succéda la confrérie de Saint-Sébastien, composée des bourgeois de la ville; chacun portait un pain bénit au bout d’un bâton. Puis, enfin, le cortége se termina, par cette espèce de danse de la Provence, la farandole, dont la première note, jetée par le galoubet, met en mouvement chaque enfant de la Provence. Le galoubet commence, un jeune homme suit: c’est toujours le plus leste et le mieux tourné de la ville; il tient d’une main un bouquet, dont il salue gracieusement les dames, et de l’autre son mouchoir déplié ; il danse en agitant ce mouchoir, dont une jeune fille vient aussitôt saisir le bout; à son tour, de la main qu’elle a de libre, elle agite aussi son mouchoir, qu’un jeune garçon vient saisir, et ainsi de suite. A mesure que ces jeunes gens paraissent, partout où ils passent le cortége se grossit d’une jeune fille ou d’un jeune garçon, et tous, dansant la farandole, tous se tenant, non par la main, mais par le bout du monchoir, parcourent ainsi les rues, les placés, ne s’arrêtant jamais, et le ruban s’allonge ainsi indéfiniment. La farandole est la plus ancienne et la seule vraie danse de la Provence.

Tous ces jeux finis, le roi René et sa femme Jehanne retournèrent à leur palais, et Michel d’Angers, conduisant les enfants dans le palais, à la porte d’une galerie où le roi collationnait avec plusieurs seigneurs, leur dit: «Le roi vous attend, allez à lui; moi, je vais veiller au mystère que je fais représenter ce soir à la cour.»

Et il laissa sur le seuil de la galerie les deux enfants, vêtus comme ils l’étaient le matin pour la cérémonie.

Les petits poëtes et littérateurs

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