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L’ÉCRIT DU ROI RENÉ.

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A peine le vieux personnage eut-il disparu, que Jehan se hâta de déplier le papier qu’il lui avait donné ; l’enfant trouva d’abord un florin d’or, ce qui lui arracha une exclamation d’étonnement, puis, jetant les yeux sur le papier, il s’écria:

«Drôle d’adresse! mais n’importe, j’en vois assez pour deviner, ou à peu près, le personnage généreux qui vient de nous parler: ce doit être un domestique du bon roi René, son cuisinier ou son intendant. Écoute ce qu’il y a en écrit sur ce papier, Jehanne, et tu verras que j’ai raison.»

Alors Jehan lut tout haut:

Dix-neuf sols pour potirons et escargots.

«Oh! le méchant dîner pour un dîner de roi, Jehan! s’écria Jehanne en riant; les rois ne mangent pas de ces choses communes, mon frère: impossible.

— Le reste est déchiré, et c’est dommage, ajouta Jehan; l’adresse du messire était sur le papier qui manque, je le parie... N’importe, si tu es assez reposée, Jehanne, nous allons aller dîner, puis nous irons au château du roi René.

— Je ne demande pas mieux que d’aller manger, répondit Jehanne; j’ai faim.»

Cela dit, les deux enfants sortirent des ruines de Saint-Victor; puis, avisant proche de là un cabaret, ils s’y rendirent et demandèrent en entrant du pain et des olives.

«Avez-vous de quoi payer, enfants?» repartit l’aubergiste, vieux homme au nez rouge et à l’air grognon.

Pour toute réponse, Jehan posa le florin d’or sur la table. Au son net et clair qu’il rendit en touchant le bois, l’aubergiste s’écria, en s’adressant à Jehan:

«De l’or, à un gueux comme toi! Dans quelle escarcelle l’as-tu pillé, petit voleur?»

Jehan regarda autour de lui pour savoir à qui s’adressait cette apostrophe; mais, voyant les petits yeux gris de l’aubergiste fixés de son côté, il n’eut plus aucun doute; il devint pourpre, et des larmes jaillirent de ses yeux. Jehanne se pressait contre son frère avec tous les signes de la plus vive frayeur.

Il y eut un moment de silence, pendant lequel l’aubergiste répéta sa dernière question.

«Cet argent a été donné à mon frère par un monsieur qui habite ces ruines, dit Jehanne, recouvrant la première la parole: mon frère n’est pas un voleur; il s’appelle Jehan Fabricius, de Gaëte, entendez-vous?

— Eh bien, Jehan Fabricius, de Gaëte, ou de Galette, ira en prison jusqu’à ce qu’il prouve quel est cét ermite qui donne des poignées de florins d’or à des mendiants.

— Mais il n’y a pas des poignées de florins, monsieur le cabaretier, fit observer Jehan; il n’y en a qu’un. Si vous ne voulez pas nous donner à manger, à ma sœur et à moi, rendez-moi mon florin; nous irons ailleurs.

— En prison! répliqua l’aubergiste; et, quant au florin, je le garde.»

A ce moment, deux hommes, dont l’air était assez commun, et qui, attablés devant une bouillabaisse fumante, ne perdaient ni une cuillerée de cette excellente soupe ni un mot de cette altercation, prirent la parole:

«Ah çà, maître Seril, aurez-vous bientôt fini de tourmenter ces marmots? dit l’un d’eux.

— Donnez-lui à dîner ou rendez-lui son argent, ajouta l’autre.

— C’est bien de l’or, maître Balthazar Roman, répliqua l’aubergiste, présentant le florin à Balthazar, qui le prit et le tendit à Jehan.

— Tiens, petit, ajouta-t-il, prends.

— J’adore les enfants, et puis ceux-ci pourraient nous servir pour la fête de la Tarasque, dit le voisin de Roman.

— Te servir pour faire rire la reine Jehanne, Michel? dit Roman.

— J’ai mieux que des marmots pour la faire rire, dit Michel; quand je dis j’ai, je veux dire le roi.

— Vous connaissez le roi, messire? dit Jehan. Oh! je vous en prie, faites que je lui parle: on dit qu’il est bon; nous sommes orphelins, et je voudrais qu’il prît soin de ma sœur.

— Et moi, de mon frère, interrompit la petite.

— Asseyez-vous là, marmots, et mangez avec nous, dit Michel avec l’enthousiasme d’un artiste ému d’un beau trait; et, aussi vrai que je m’appelle Jehan-Michel d’Angers, célèbre auteur des Mystères qui se jouent à toutes les cérémonies ou fêtes populaires, vous parlerez au roi René.

— Et, aussi vrai que je m’appelle Balthazar Roman, répliqua le compagnon de Michel, aussi vrai que mon père était paveur des rues, que je ne sais pas lire, mais que je compose des vers et des satires où je dis à chacun son fait; aussi vrai que la ville d’Aix me fait une pension et m’accorde en outre du drap jaune et rouge pour cinq habits, cinq bonnets à la dragonne, plus plusieurs aunes de rubans également jaunes et rouges... je composerai une pièce de vers en l’honneur du sentiment fraternel qui anime ces deux enfants.

— Mais, si vous ne savez pas lire, vous ne devez pas savoir écrire? dit Jehan, dont l’appétit faisait honneur à l’hospitalité des deux poëtes.

— Pas plus l’un que l’autre, mon garçon, dit Roman.

— Alors comment retenez-vous vos vers?» lui demanda Jehan.

Roman sortit de sa poche un nombre de petits cailloux taillés de différentes façons: «Chacun veut dire un mot, répondit-il; mais moi seul je peux lire dans ce livre-là.»

Un moment de silence suivit, pendant lequel, si les bouches ne parlaient pas, elles ne s’acquittaient pas moins bien du second emploi que leur a donné dame Nature; mais l’aubergiste, inquiet de ce silence, car il savait que plus on parlait, plus ordinairement on mangeait et on buvait, essaya de ranimer la conversation par le mobile de toutes les conversations d’alors, le sérieux continu de la reine Jehanne de Laval, seconde épouse du roi René.

«Pardon, messeigneurs, si je vous interroge, dit cet homme avec autant de servilité que tout à l’heure il montrait d’arrogance, croyant n’avoir chez lui que des gens de peu d’importance...; mais, puisque vous êtes admis dans l’intimité du roi René, est-il vrai que sa seconde épouse n’a jamais ri?

— Jamais, dirent les deux dîneurs à la fois.

— Jamais! répliqua Jehan, que cette assertion fit rire.

— Jamais, répéta Michel, et cela fait le désespoir du bon roi; la reine Jehanne est bonne, douce, charmante, d’un caractère égal; mais oncques depuis sa naissance personne ne l’a tant seulement vue sourire: le bon roi invente tout ce qu’il peut pour cela, et jusqu’ici rien n’a réussi. C’est dans quatorze jours qu’une fête, que nous instituons et que nous appellerons la Tarasque, aura lieu, et pour cela le roi et moi nous avons tant inventé de drôleries, que ce sera bien le diable si la reine ne sourit pas tant seulement un brin.

— Qu’est-ce que ça, la Tarasque?» demanda l’aubergiste.

Michel d’Angers répondit: «La Tarasque, à ce que dit une ancienne légende, était un épouvantable monstre amphibie sur lequel on raconte toutes choses aussi mensongères que le monstre lui-même est mensonger. Toutefois, étant venu à l’enchaîner un 14 avril de je ne sais plus quelle année, tous les ans, à cette époque, on célèbre la fête des Fous, que le roi, qui est très-religieux, voudrait abolir en en instituant une autre tout aussi drôle, mais moins extravagante... Tu verras, Roman, tu verras,» ajouta-t-il en se tournant vers son camarade.

La conversation dura encore quelque temps sur ce su-jet; mais, comme tout en parlant les deux poëtes ne cessaient d’arroser leurs discours, il en résulta que, lorsqu’ils sortirent du cabaret, les deux enfants les supplièrent en vain de les conduire au roi; Michel d’Angers, surtout, était incapable d’autre chose que de dormir. Cependant nous devons lui rendre la justice de dire qu’avant de s’aller coucher il remit à l’hôtelier chez lequel il demeurait Jehan et Jehanne, en lui recommandant d’en avoir bien soin.

«Et le monsieur au florin d’or qui nous attend, mon frère, dit Jehanne renfermée avec son frère dans une chambre de l’hôtel, que dira-t-il?

— Bast, dit Jehan, messire Michel d’Angers, qui parle au roi comme je te parle, vaut bien mieux qu’un marmiton.

— Oh! Jehan, peux-tu traiter de marmiton un homme qui a de si beaux cheveux blancs! dit Jehanne d’un ton de reproche.

— Un cuisinier, si tu aimes mieux, répliqua Jehan; moi, j’ai plus de confiance en notre second protecteur.

— Et moi au premier,» dit Jehanne en s’étendant dans un grand fauteuil pour dormir.

Peu d’instants après, Jehan, dans un autre fauteuil, dormait aussi profondément que sa sœur.

Les petits poëtes et littérateurs

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