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RÉCIT DE LA FÊTE-DIEU A AIX EN 1474.

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Treize jours après cette conversation, le 14 avril, de grand matin, deux enfants, habillés, l’un en enfant Jésus, l’autre en agneau pascal, étaient renfermés dans une chambre d’un cabaret à Tarascon.

«Dire que nous n’avons pas encore vu le roi, mon frère! dit l’enfant vêtu en agneau, et qu’à ses beaux cheveux blonds bouclés on reconnaissait être Jehanne Fabricius.

— Que veux-tu, ma sœur! ce n’est pas la faute du sire Michel d’Angers, répondit Jehan, habillé en Jésus. Le lendemain de notre arrivée à Marseille, le bon roi René était parti avant que nous fussions levés; il était, nous dit-on, dans ce village où est enterrée sa fille Anne, morte toute petite d’une chute, village qu’à cause de cela on nomme Garde-Anne. Bast! parti avant notre arrivée; nous allons à Aix: pas plus de roi René ; enfin, nous voici à Tarascon depuis trois jours; mais le roi est si occupé de chercher à faire rire sa femme, qui, à ce qu’on dit, ne rit jamais, qu’il ne peut nous recevoir.

— Avec ça que messire Michel n’a jamais voulu lui dire que nous étions ici, dit Jehanne.

— Et que nous n’avions pas d’habits pour être présentés au roi, Jehanne. Il faut être raisonnable, sœur, répondit Jehan: des enfants en guenilles, ça n’a pas bon air. Messire Michel est un homme savant, lui; il sait du latin, il sait lire, il sait écrire, il sait tout plein de choses; il sait comment on présente les orphelins à un roi; il faut donc se fier à lui et attendre avec patience... Pourvu que le roi veuille bien nous recevoir!

— C’est aujourd’hui après la fête, dit Jehanne; est-ce que tu auras le courage de lui parler, Jehan?

— On le dit si bon, Jehanne!

— Mais que lui diras-tu?

— Oh! je ne serai pas embarrassé de parler; sois tranquille, Jehanne, je lui dirai: «Bon roi René, mon père est mort, ma mère est morte, ce qui fait que ma sœur et moi nous n’avons ni père ni mère... On dit que vous êtes le père de tous vos sujets; nous sommes vos sujets... soyez notre père et notre mère...»

— Que tu es simple, Jehan! comme si un homme pouvait être notre mère!

— Je sais ce que je dis; ne m’interromps donc pas, Jehanne... Puis je dirai encore: «C’est surtout pour ma sœur que je vous prie...»

— Ce que tu dis n’a pas le sens commun, Jehan, interrompit Jehanne d’un air d’inquiétude.. Je ne sais pourquoi, mais j’ai peur... Si le roi allait nous renvoyer... Écoute, tu sais bien que maman nous recommandait toujours de prier le bon Dieu quand nous avions besoin de quelque chose... Eh bien, prions-le, là, à genoux tous les deux, frère... Tu es gentil, comme ça, en enfant Jésus.

— Et toi, tu es à croquer, avec ta peau d’agneau pascal et tous tes petits rubans bleus. Mais tu as raison, prions.»

Comme les enfants achevaient leur prière, Michel d’Angers entra dans la chambre.

«Nous voici, messire, dirent les deux enfants en se relevant de terre, où ils étaient agenouillés.

— Quel bruit! quel bruit! c’est étourdissant! dit en entrant dans la chambre un nouveau personnage habillé mi-jaune et mi-rouge, et que les enfants reconnurent tout de suite pour le satirique Balthazar Roman; les rues sont pleines de monde, on dirait qu’il en est venu des quatre coins du globe...

— Oui, Roman, dit Michel; c’est vrai, le roi a raison: la curiosité est le seul et véritable impôt qu’on puisse lever aisément sans faire crier son peuple. Tarascon, ruiné par la peste, se relève aujourd’hui plus riche que jamais: la France s’est donné rendez-vous ici pour lui porter son argent.

— Oh! que c’est beau! messire Michel, venez donc voir... interrompit Jehan regardant par la croisée, où il retenait sa sœur, qui se penchait pour mieux voir; est-ce que la cérémonie commence sans nous?»

Michel et Roman s’approchèrent. «Non, dit ce dernier, la procession commence à dix heures, et il n’en est encore que huit; ce sont les chevaliers de la Tarasque qui sortent de la messe et distribuent des cocardes rouges aux personnes de leur connaissance qu’ils veulent honorer.

— Quelle richesse de costumes! dit Michel d’Angers; c’est vraiment un plaisant coup d’œil que tous ces beaux et jeunes hommes vêtus de même, culotte courte rose en toile de serge, gilet en batiste blanche avec les manches garnies de dentelles, des bas de soie blancs, des souliers blancs exhaussés sur des talons rouges et une houppe rouge, une toque noire à plumes blanches et à cocarde rouge, et ce large ruban rouge en sautoir, avec la décoration en argent portant l’effigie du monstre...

— Dame, dit Roman, les chevaliers de la Tarasque ont été choisis par le roi parmi les jeunes gens des premières familles de la ville... Je parie, Michel, que dans bien des siècles encore on parlera de cette fête que nous instituons aujourd’hui... Où seront placés le roi et la reine? sais-tu, Michel?

— Sur un trône élevé, devant l’abbaye des Bénédictines, à cause du voisinage du Rhône, pour ce que tu sais, Roman... dit Michel.

— Je parie que c’est cela qui fera rire la reine, dit Roman.

— Y verrons-nous des choses aussi belles qu’à la procession de la Fête-Dieu à Aix? demanda Roman.

— Oh! cette fête-ci ne ressemble en rien à l’autre, dit Michel; celle-ci est toute dirigée dans le but d’égayer la reine; l’autre était moitié sacrée, moitié profane; la procession d’Aix a été inventée par René, qui en a prescrit lui-même le cérémonial, afin d’enseigner au peuple les vérités évangéliques, de frapper ses yeux par le tableau des erreurs du paganisme, dont on lui présente la veille tous les faux dieux passant en procession et disparaissant devant le flambeau de la religion chrétienne, qui se déploie le lendemain dans toutes ses pompes religieuses.

— Qu’y voyait-on donc de si remarquable? demanda Roman; tu sais, la mort de mon père me retint à Marseille l’année où l’on institua cette cérémonie.»

Michel répondit: «Dame, c’étaient tous les dieux du paganisme burlesquement attifés; Momus agitant ses grelots; Mercure avec son caducée et ses ailes; la Nuit, vêtue d’une robe noire parsemée d’étoiles, tenant une fleur de pavot; Pluton et Proserpine habillés de noir; Neptune armé de son trident, et Amphitrite enlevant deux petits dauphins; Pan, les cornes sur la tête, vêtu d’une peau de bouc, des étoiles sur la poitrine et jouant de la flûte; Syrinx avec un roseau; Bacchus assis sur un tonneau, dans un char, portant une coupe et un thyrse; Mars armé de pied en cap ainsi que Minerve; Apollon, la lyre à la main et un coq à ses côtés; Diane, vêtue en chasseresse, le front orné d’un croissant; puis, sur un char plus vaste et plus brillant que les autres, étaient placés Jupiter, Junon, Vénus, Cupidon, les Ris, les Plaisirs; et, derrière les riantes divinités, les trois Parques à cheval fermaient la marche.

«Après le cortége de l’Olympe venaient les chevaliers du guet, les porte-drapeaux et un grand nombre de fifres et de tambourins, et pendant ces jeux profanes, qui devançaient la procession et ne se confondaient pas avec elle, on chantait: Noctem lux eliminat (la lumière chasse les ténèbres). C’était à ce moment-là que nous représentions nos mystères, tous tirés de l’Ancien et du Nouveau Testament. J’aurais voulu, Roman, que tu visses le groupe du roi Hérode, avec son intermède, dont le roi lui-même avait composé la musique, une musique vive et gaie, je t’assure; Hérode était en casaque courte, cramoisie et jaune, la couronne sur la tète, le sceptre en main, et ordonnant le massacre des innocents... On voyait ensuite saint Jean, précurseur du Messie; Judas, à la tête des douze apôtres, tenant la bourse de trente deniers; Notre-Seigneur Jésus-Christ allant au Calvaire, vêtu d’une robe longue avec une ceinture de corde, et courbé sous le poids de sa croix; les quatre évangélistes, saint Pierre avec ses clefs, saint Jacques couvert de coquilles, et saint Christophe portant l’enfant Jésus sur ses épaules... Mais, mon cher Roman, ce qui fit un effet incroyable, et qui doit rester jusqu’à la fin des siècles, ce fut l’intermède: je veux que les dernières générations s’en amusent encore. Imagine-toi un escadron de centaures, autrement dits chevaux frux, exécutant divers mouvements de danse.

— Des centaures! des chevaux frux!... répéta Roman étonné... Qu’est-ce que c’est que ça?

— Je veux bien te dire le secret de l’énigme, reprit Michel en riant; c’était tout bonnement des chevaux en carton, dans lesquels une ouverture pratiquée à la place de la selle permet à un cavalier de se placer debout, les jambes cachées dans les caparaçons. Ces danseurs portaient des habits blancs, garnis de rubans de diverses couleurs, et des épaulettes d’or; ils avaient des scapulaires de Notre-Dame du Mont-Carmel et se battaient avec des lances fort courtes; la tête de ces chenaux frux était décorée de heaumes à plumail.

— Le roi est un fort bon musicien, dit Roman.

— C’est un des hommes les mieux organisés de son époque, reprit Michel; il peint admirablement sur verre et sur bois, il fait des vers et compose des lais délicieux; sa musique est des plus harmonieuses, et personne mieux que lui n’excelle dans l’ordonnance d’une joute, d’une fête...

— Voilà celle de la Tarasque qui commence, interrompit Balthazar Roman; j’entends les salves d’artillerie qui appellent les chevaliers à la messe: à notre poste, Michel; je me charge de Jehanne.

— Et moi de Jehan,» dit Michel.

Et tous quatre descendirent les marches de l’hôtel; un moment après ils étaient réunis dans l’église au reste du cortège.

Les petits poëtes et littérateurs

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