Читать книгу Les petits poëtes et littérateurs - Eugénie Foa - Страница 13
L’HABITANT DES RUINES DE SAINT-VICTOR.
ОглавлениеJehan et Jehanne, tous les deux interdits, timides et confus, se tenant par la main, se regardaient et n’osaient avancer.
«Dis donc, Jehan, as-tu vu le roi? dit Jehanne tout bas à son frère, se hasardant à parler la première et s’enhardissant du peu d’attention dont elle était l’objet.
— Non; et toi, Jehanne? dit Jehan sur le même ton.
— Moi, j’étais tout étourdie par le bruit qu’on faisait autour de moi; je n’ai rien vu.
— Moi, dit Jehan, le saint Christophe qui me portait, et à qui j’ai demandé où était le roi, m’a montré un balcon en me disant: «Là ;». mais le roi n’y était pas.
— Tu en es sûr, mon frère? tu n’as peut-être pas bien regardé tout le monde.
— A preuve, Jehanne, répliqua Jehan, que j’ai vu l’habitant des ruines de Saint-Victor.
— Il est ici, Jehan?
— Oui, sœur; et tiens, le voilà, dit Jehan, montrant effectivement à sa sœur le personnage qu’ils avaient rencontré dans les ruines de l’abbaye de Saint-Victor, à Marseille.
— Oh! alors, je n’ai plus peur,» dit Jehanne, quittant la main de son frère et s’élançant en courant au milieu de la galerie.
A la vue de ce charmant petit agneau blanc et bleu qui courait ainsi, chacun se rangea pour le regarder; mais Jehanne, sans y faire attention, continuait sa course. Elle ne s’arrêta que devant l’habitant des ruines, et lui prit familièrement la main en disant, avec un gros soupir:
«Enfin!...
— Enfin! répéta le soi-disant habitant des ruines en regardant avec étonnement la charmante enfant qui lui souriait.
— Je vous retrouve... Eh bien, ajouta-t-elle d’un petit ton d’humeur, voyant qu’on ne lui répondait pas; vous m’avez donc oubliée?
— Qui es-tu, charmant petit agneau? dit le personnage dont Jehanne tenait toujours la main.
— Mais Jehanne, répondit la petite; et voilà mon frère Jehan; et c’est bien vous que nous avons vu dans le jardin des ruines, à Marseille; vous qui avez donné un florin à Jehan et un papier où il n’y avait pas votre adresse; vous qui deviez nous présenter au bon roi René...
— Les enfants de Fabricius de Gaëte? dit ce personnage.
— C’est ça... Le roi est-il ici? dit Jehanne se penchant à son oreille.
— Oui, dit-il en souriant.
— Où ?
— Cherche.
— Je ne le vois pas.
— Regarde toutes les têtes.
— C’est bien ce que je fais; mais je n’en vois aucune avec une couronne d’or.
— Le bon roi René ne porte pas de couronne, mais un chapel comme tout le monde, et c’est le seul, dans ce moment, qui a le sien sur la tête.»
Jehanne tourna les yeux de côté et d’autre; puis, les levant vers son interlocuteur comme pour lui répondre, elle poussa un cri.
«C’est vous qui êtes le roi? dit-elle.
— Oui, dit avec bonté le personnage dont elle tenait toujours la main; oui, c’est moi qui suis le roi, et qui ne tromperai pas ton espoir ni celui de ton frère: vous êtes venus tous les deux à moi pleins de confiance; vous vous êtes dit: «Le roi René est bon, il prendra soin de nous.» Oui, oui, j’en prendrai soin; vous êtes mes enfants, et, comme mes enfants ne peuvent pas être pauvres, je vous fais don de la terre de Bouc, que j’érige en marquisat, et que je nomme d’Albertas. Marquis d’Albertas, ajouta-t-il en s’adressant à Jehan, qui se tenait respectueusement debout et découvert à côté de sa sœur, marquis d’Albertas, venez baiser la main de votre reine.»
Disant ces mots, le bon roi René conduisit les enfants auprès de sa femme, Jehanne de Laval, qui les embrassa très-tendrement.
«Le pont est passé ; nous sommes au moulin,» dit Jehanne en jetant un regard plein de finesse sur le roi René, qui comprit que la petite faisait allusion à la parabole de la pauvre femme.
Ces deux enfants furent la souche de la maison d’Albertas, qui existe encore dans le midi de la France.
René Ier, duc d’Anjou et de Bar, comte de Provence, roi titulaire de Naples, mourut à Aix, en 1480, à l’âge de soixante-douze ans. Le bonheur de ses sujets avait été sa constante étude, aussi jamais prince ne fut plus regretté. Les Provençaux lui ont élevé une statue dans la ville d’Aix; Angers lui a rendu le même hommage.