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VOX POPULI, VOX DEI

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Les acclamations, les vivats, les mouchoirs en l’air, tout cela était superbe; mais tout cela, hélas! ne faisait pas le moindre effet sur Manuel Gérard et ses deux fils.

Celui-ci saluait gravement, tandis que son aîné, ne revenant pas de s’entendre appeler pour la première fois M. le marquis, s’amusait beaucoup de la chose, et que le plus jeune ne dissimulait point le peu d’estime qu’il éprouvait pour les manifestations tant soit peu serviles de tout ce monde.

L’émotion ne se calma pas quand Gérard et ses fils furent entrés dans l’hôtel.

Ils avaient été conduits par l’obséquieux Duval dans le salon jaune, qui était resplendissant de lumières et de fleurs.

La table se dressait au milieu de la chambre, avec une nappe, des serviettes blanches comme neige, et toute l’argenterie de l’établissement.

Duval avait poussé l’enthousiasme jusqu’à aller emprunter un surtout à l’horloger du pays, qui était aussi un peu orfèvre; et celui-ci n’avait consenti qu’après avoir formellement stipulé que son apprenti Célestin servirait à table avec un tablier de domestique pour pouvoir surveiller le précieux objet.

Ce n’était point qu’il se méfiât de Duval; mais vous comprenez que, dans un pays où personne n’avait le sou, il était plus prudent de prendre ses précautions.

Duval s’était flatté d’avoir produit sur ses hôtes une impression favorable.

Il avait passé dix minutes à faire le nœud de sa cravate blanche; pendant vingt autres, il s’était livré à son voisin le barbier, qui l’avait frisé comme un caniche; il s’était réservé un grand quart d’heure pour passer l’inspection de ses gens et s’assurer s’ils étaient aussi irréprochables que lui, et trois quarts d’heure, non moins grands, pour orner le salon de ses propres mains.

De plus, il avait acheté vingt francs de fleurs et composé un menu si extraordinaire, si mirifique, que jamais le département, ni même la province, n’avaient entendu parler de quelque chose d’approchant.

Les premiers mots de Manuel Gérard, ou de M. le duc, si vous le préférez, tombèrent cependant sur lui comme un seau d’eau glacée sur un brasier; car, comme la foule faisait encore entendre ses acclamations au bas de l’escalier, Duval, souriant d’une oreille à l’autre, après avoir assuré ses hôtes que le dîner serait servi dans un instant, ajoutait:

— En attendant, si Monseigneur voulait le permettre, M. le Maire et M. le Curé avec quelques autres notabilités seraient très-honorés qu’il leur fût permis de présenter leurs hommages à Monseigneur.

Le duc dit, à voix basse, quelques mots à ses fils, tira sa montre, et demanda un peu sèchement:

— Monsieur Duval, à quelle heure le dernier train pour Paris part-il ce soir?

Le pauvre Duval, complétement décontenancé à cette surprenante question, resta frappé de stupeur, et regarda vaguement son interlocuteur.

— Le dernier train pour... pour Paris? — bégaya-t-il. — Quoi!... Monseigneur songe à partir ce soir?

Dans toute autre circonstance, Manuel Gérard aurait répondu doucement.

Le spectacle de la servilité qu’avait montrée tout ce monde depuis une demi-heure l’avait exaspéré.

Sur un ton sec et dur qui ne lui ressemblait guère, il répondit:

— Je n’ai pas à vous informer de mes projets; mais je vous prie, monsieur Duval, de ne plus m’appeler Monseigneur. Si vous avez jamais entendu parler de moi, vous devez savoir que je suis républicain. Or, monsieur, pour un républicain il n’y a que deux sortes d’hommes: ceux qui sont honnêtes, et ceux qui ne le sont pas.

Duval comprit tout de suite. Il salua silencieusement, et se glissa hors de la chambre, en affirmant qu’il allait chercher un Indicateur des chemins de fer, mais en réalité pour cacher la grimace la plus parfaite qu’un mortel puisse faire ici-bas.

Hélas! tout était perdu, et le nouveau duc était vraiment un rouge.

Dès qu’il fut sorti, les Gérard décidèrent qu’ils partiraient sans voir le maire et le curé du pays.

Manuel Gérard, qui n’était point de l’école de certains charlatans démocrates, trouvait inutile d’apprendre au monde qu’il abandonnait Pourlans et pourquoi il l’abandonnait.

Ses fils pensaient comme lui. Ils avaient vu, quelques années auparavant, leur père porté en triomphe par plusieurs milliers d’électeurs qui saluaient en lui, non son titre ou son argent, mais son caractère, ses talents, sa foi républicaine, et les démonstrations de la ville d’Auvillars leur semblaient, en comparaison, singulièrement piteuses.

Duval rentra au bout de quelques minutes avec son Indicateur: il était consterné.

Il laissa la porte ouverte derrière lui, et, en présentant l’Indicateur à Manuel Gérard, il sembla hésiter comme s’il avait quelque chose à demander et n’osait le faire.

Au dehors, sur le palier, on entendait un bruit de chuchotements et de pas furtifs; en bas, dans la rue, les cris de: Vive M. le duc!... vive M. le marquis!...

Manuel Gérard prit l’Indicateur, remarqua la mine épouvantée de l’hôtelier, et allait lui en demander la raison, lorsque cette peine lui fut épargnée.

Avant que Duval eût dit un mot, la porte, laissée entr’ouverte, fut violemment poussée, et M. le Maire, M. le Curé, tout le Conseil Municipal et Bellanger, Coste, Leboucey, émus, respectueux, anxieux, firent irruption soudain dans la chambre.

Pour être plus sûr du succès, M. le Maire avait amené sa fille avec lui: c’était une grande gaillarde de quatorze ans, avec des yeux en boule de loto, des cheveux blonds filasse, des mains rouges comme des tomates, et qui avait toujours la rage de mâcher un morceau de gomme élastique en regardant le ciel. Elle était vêtue de blanc comme au jour de sa première communion, et, de plus, armée d’un bouquet d’un mètre de circonférence.

La députation fit quelques pas dans la chambre et salua comme un seul homme.

Alors la pauvre fille, poussée par son père qui lui disait dans le dos; Va donc! va donc! s’avança rougissante et présenta le bouquet.

C’est au vieillard qu’elle l’offrit.

Manuel Gérard se leva, ainsi qu’Horace et Émile, et lui mit la main sur la tête avec bienveillance.

— A qui donnez-vous ces fleurs, mon enfant? — demanda-t-il. — Est-ce à Manuel Gérard ou au duc d’Auvillars?

Cette question n’avait pas été prévue à la répétition — en costume s’il vous plaît — que M. le Maire avait infligée à sa fille, si bien qu’il lui fallut venir à la rescousse.

Il avait bien préparé un discours, court mais senti, sur le rôle de la noblesse dans la société, les dangers de l’anarchie, le régime impérial, le mélange salutaire de l’ordre et de la liberté, le prix du blé, tous sujets touchant de près ou de loin au retour du nouveau duc dans ce pays; mais il perdit quelque chose, cependant, de sa présence d’esprit au moment critique, et il débuta par une allusion aux Croisades, parlant, bien entendu, à Manuel Gérard comme à un descendant des croisés.

Le républicain l’interrompit tout de suite.

— Monsieur le Maire, — dit-il doucement, mais avec fermeté, — je vous suis très-sincèrement reconnaissant, à vous et à vos compatriotes, de l’accueil que vous nous avez fait aujourd’hui à mes fils et à moi; mais je veux que ce retour que vous avez salué si amicalement ne laisse point subsister une erreur. Si vous m’avez reçu simplement comme le descendant d’une des plus anciennes familles du pays, encore une fois, je vous remercie et de tout cœur; mais si vous ne m’avez bien accueilli que parce que vous croyez que je viens m’installer ici avec la pensée d’y jouer un rôle quelconque, je dois vous avertir de votre erreur. Jamais nous n’aurons ensemble les rapports que vous avez eus avec feu mon neveu d’Auvillars.

En ce moment, toutes les faibles espérances s’évanouissaient comme un songe.

Il y eut un long murmure avec des chuchotements et des soupirs.

Seul, Leboucey, le percepteur, s’obstinait, vu sa surdité, à crier:

— Écoutez!... Écoutez!...

Il fut sérieusement rappelé à l’ordre par Bellanger, et pendant que ce petit épisode se passait dans les derniers ranga de l’assemblée, près de la porte, M. le Curé, brossant nerveusement son chapeau avec la manche de sa soutane, lança des regards suppliants à travers les verres de ses lunettes, fit quelques pas en avant, et voulut plaider la cause de ses malheureux paroissiens.

C’était un brave homme et qui faisait tout ce qu’il pouvait pour que tout le monde fût content.

L’idée que sa paroisse n’avait point le sou lui était tellement insupportable, qu’elle l’aurait rendu éloquent devant un roi. C’est dire que devant un duc, il fut tout à fait à son aise. C’est de lui, que dépendaient l’avenir, la prospérité du pays et, par conséquent, de la paroisse.

Il cita les Machabées, le livre d’Ezéchiel, et la parabole de l’homme qui cacha ses talents dans une serviette. Il plaça en ligne Saint Thomas d’Aquin, Saint Augustin d’Hippône, et Saint Jean-Chrysostôme. Il dépeignit, chemin faisant, les souffrances de Saint Siméon-Stylite sur son pilier, de Saint Laurent sur son gril, et de Saint André d’Utique qui périt en avalant un hameçon; il dit tout cela avec tant d’onction et de zèle qu’il excita la secrète jalousie du Maire, fit l’étonnement du Conseil Municipal, l’admiration de Bellanger, de toute la compagnie hormis, bien entendu, Leboucey, qui avait sur le cœur l’admonition de Bellanger.

Manuel Gérard répondit en peu de mots, mais ces quelques mots résonnèrent aux oreilles du curé comme le plus funèbre des glas.

Manuel Gérard n’avait jamais songé à laisser les pauvres d’Auvillars mourir de faim. Il continuerait de faire son aumône annuelle de vingt mille francs. Il l’augmenterait même, s’il le fallait, et donnerait, en conséquence, des ordres à son homme d’affaires.

Mais il n’en dit pas davantage, et, quand ce fut dit, fit la mine d’un homme qui ne serait point fâché qu’on le laissât tranquille.

Il inclina la tête, doucement, poliment, à la façon des grands personnages qui vont congédier un solliciteur.

Si le Curé, le Conseil Municipal, le Maire, Bellanger, Coste, furent consternés, je n’ai pas besoin de vous le dire.

Quant à Leboucey, qui ne savait point trop pourquoi il avait monté l’escalier, il ne sut pas davantage pourquoi il le descendait.

Chacun salua en s’en allant, fit une belle révérence, tout comme en entrant.

Duval, la tête basse, tenait la porte ouverte.

Trois quarts d’heure après le départ de la députation, les étrangers eux-mêmes étaient partis.

L’express pour Paris partait à huit heures. Pour prendre ce train, ils avaient dîné à la hâte, et le splendide repas que leur avait préparé Duval avait donc été dédaigné, ce qui avait singulièrement froissé l’orgueil de cet honnête négociant.

Le billet de cinq cents francs que lui avait laissé Gérard n’atténuait que très-légèrement les amertumes accumulées de cette funeste journée.

Manuel Gérard et ses fils sortirent à pied pour se rendre à la station; bien que la place du Marché fût encore encombrée, ils ne furent pas salués cette fois comme ils l’avaient été une heure ou deux auparavant.

Les nouvelles apportées par M. le Maire, M. le Curé, et les autorités, s’étaient vivement répandues, et quand les trois hommes parurent à la porte de l’hôtel un individu d’abord, puis un autre qui les avaient aperçus, crurent piquant de faire entendre un miaulement d’abord, et un coup de sifflet ensuite.

La nuit était venue, et il était aisé de siffler sans être vu. On sifflait donc, et ces sifflets isolés ressemblaient à ces pétards qu’on fait partir avant le feu d’artifice.

Graduellement ils devinrent plus répétés, plus clairs, plus hardis, comme les grandes fusées éclatent après les pétards.

— A bas Gérard!... à bas les rouges!... A Cayenne!... — criait, alors, cette excellente foule, avec la même énergie qu’elle avait mise à crier le contraire un instant auparavant.

En un clin d’œil, le charivari fut général: hommes, femmes, enfants hurlaient, glapissaient, sifflaient à l’envi.

Un jeune hobereau d’Auvillars, trouvant que cette démonstration ne suffisait pas, ramassa une pierre, et la lança sur le groupe.

Elle atteignit Manuel Gérard à l’épaule.

Et la foule hurla:

— A bas les rouges!... à bas les proscrits!...

— Misérables! — s’écria Horace, faisant volte-face, les poings crispés.

Mais son père retint doucement son bras.

— Devons-nous prendre au sérieux ces fous! — dit-il. — Ils ne pensent pas un mot de ce qu’ils disent.

— C’est égal, — murmurait le jeune homme entre ses dents, — ceci est ma première leçon de démocratie, et si toutes les foules ressemblent à celle-là....

— Mais elles ne lui ressemblent pas, — dit son père avec gravité.

Un député de Paris

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