Читать книгу Le socialisme en danger - Ferdinand Domela Nieuwenhuis - Страница 16
SEULE LA TRAHISON OU L'AVEUGLEMENT POURRAIT NOUS Y CONTRAINDRE.»
ОглавлениеOn ne saurait s'exprimer plus énergiquement ni d'une façon plus juste. Quelle singulière inconséquence! D'après ses prémisses et après avoir fait un bilan qui se clôturait au désavantage de la participation aux travaux parlementaires, il aurait dû conclure inévitablement à la non-participation; pourtant il dit: «Pour éviter que le mouvement socialiste ne soutienne le césarisme, il faut que le socialisme entre dans la lutte politique.» Comprenne qui pourra comment un homme si logique peut s'abîmer ainsi dans les contradictions!
Mais ils sont eux-mêmes dans l'embarras. Apparemment le parlementarisme est l'appât qui doit attirer les… …et pourtant ils donnent à entendre qu'il a son utilité.
De là cette indécision sur les deux principes.
Ainsi, à la réunion du parti à Erfurt, Bebel disait[13]:
«La social-démocratie se trouve envers tous les partis précédents, pour autant qu'ils obtinrent la suprématie, dans une tout autre position. Elle aspire à remplacer la manière de produire capitaliste par la manière socialiste et est forcée conséquemment de prendre un tout autre chemin que tous les partis précédents, pour obtenir la suprématie.»
Voilà pourquoi l'on conseille de prendre la route parlementaire, suivie déjà par tous les autres partis, en la faisant passer peut-être par un tout autre chemin.
Singer le comprit également lorsqu'il disait à Erfurt[14]:
«En supposant même qu'il soit possible d'obtenir quelque chose de sensé par l'action parlementaire, cette action conduirait à l'affaiblissement du parti, parce qu'elle n'est possible qu'avec la coopération d'autres partis.»
Isolément, les députés social-démocratiques ne peuvent rien faire, et «un parti révolutionnaire doit être préservé de toute espèce de politique qui n'est possible qu'avec l'assistance d'autres partis.» Qu'ont-ils donc à faire dans un Parlement pareil?
Le Züricher Socialdemokrat écrivait en 1883:
«En général, le parlementarisme ne possède en soi rien qui puisse être considéré sympathiquement par un démocrate, et surtout par un démocrate conséquent, c'est-à-dire un social-démocrate. Au contraire, pour lui il est antidémocratique parce qu'il signifie le gouvernement d'une classe: de la bourgeoisie notamment.»
Et plus tard on affirme que «la lutte contre le parlementarisme n'est pas révolutionnaire, mais réactionnaire».
C'est-à-dire tout à fait l'inverse.
Le danger d'affaiblissement était apparent et si le gouvernement n'avait eu la gentillesse de troubler cet état de choses par la loi contre les socialistes,—s'il y avait eu un véritable homme d'État à la tête, il n'aurait pas poursuivi, mais laissé faire la social-démocratie,—qui sait où nous en serions maintenant? Avec beaucoup de justesse, le journal pré-mentionné écrivait en 1881:
«La loi contre les socialistes a fait du bien à notre parti. Il risquait de s'affaiblir; le mouvement social-démocratique était devenu trop facile, trop à la mode; il donnait à la fin trop d'occasions de remporter des triomphes aisés et de flatter la vanité personnelle. Pour empêcher l'embourgeoisement—théorique aussi bien que pratique—du parti, il fallait qu'il fût exposé à de rudes épreuves.» Bernstein également disait, dans le Jahrbuch für Sozialwissenschaft: «Dans les dernières années de son existence (avant 1878), le parti avait dévié considérablement de la ligne droite et d'une telle manière qu'il était à peine encore question d'une propagande semblable à celle de 1860-1870 et des premières années qui suivirent 1870.» Un petit journal social-démocratique, le Berner Arbeiterzeitung, rédigé par un socialiste éclairé, A. Steck, écrivait encore: «Il n'y en avait qu'un petit nombre qui croyaient que logiquement tout le parti devait dévier, par l'union de la tendance énergique et consciente «d'Eisenach» avec celle des plats Lassalliens. Le mot d'ordre des Lassalliens: «Par le suffrage libre à la victoire», raillé par les «Eisenachers» avant l'union, constitue maintenant en fait—quoi qu'on en dise—le principe essentiel du parti social-démocratique en Allemagne.»
Il en fut de même que chez les chrétiens où d'abord les tendances étaient en forte opposition. Ne lisons-nous pas que les cris de guerre étaient: «Je suis de Kefas,» «Je suis de Paul,» «Je suis d'Apollo.» Enfin les coins s'arrondirent, l'on se rapprocha, l'on obtint une moyenne des deux doctrines et finalement un jour de fête fut institué en l'honneur de Pierre et Paul. Les partis s'étaient réconciliés, mais le principe était sacrifié.
Remarquablement grande est l'analogie entre le christianisme à son origine et la social-démocratie moderne! Tous deux trouvèrent leurs adeptes parmi les déshérités, les souffre-douleur de la société. Tous deux furent exposés aux persécutions, aux souffrances, et grandirent en dépit de l'oppression.
Après le pénible enfantement du christianisme, un empereur arriva, un des plus libertins qui aient gravi les marches du trône,—et ce n'est pas peu dire, car le libertinage occupa toujours le trône,—qui, dans l'intérêt de sa politique, se fit chrétien. Immédiatement on changea, on tritura le christianisme et on lui donna une forme convenable. Les chrétiens obtinrent les meilleures places dans l'État et finalement les vrais et sincères chrétiens, tels que les ébionites et d'autres, furent exclus, comme hérétiques, de la communauté chrétienne.
De nos jours également nous voyons comment les plus forts se préparent à s'emparer du socialisme. On présente la doctrine sous toutes sortes de formes et peut-être, selon l'occasion, le soi-disant socialisme triomphera mais de nouveau les vrais socialistes seront excommuniés et exclus, comme hostiles aux projets des social-démocrates appelés au gouvernement.
Le triomphe de la social-démocratie sera alors la défaite du socialisme, comme la victoire de l'église chrétienne constitua la chute du principe chrétien. Déjà les congrès internationaux ressemblent à des conciles économiques, où le parti triomphant expulse ceux qui pensent autrement.
Déjà, la censure est appliquée à tout écrit socialiste: après seulement que Bernstein, à Londres, l'a examiné et qu'Engels y a apposé le sceau de «doctrine pure», l'écrit est accepté et l'on s'occupe de le vulgariser parmi les co-religionnaires.
Le cadre dans lequel on mettra la social-démocratie est déjà prêt: alors ce sera complet. Y peut-on quelque chose? Qui le dira? En tout cas, nous avons donné l'alarme et nous verrons vers quelle tendance le socialisme se développera.
On peut aller loin encore. Un jour Caprivi appela Bebel assez plaisamment «Regierungskommissarius» et quoique Bebel ait répondu: «Nous n'avons pas parlé comme commissaire du gouvernement, mais le gouvernement a parlé dans le sens de la social-démocratie», cela prouve de part et d'autre un rapprochement significatif.
Rien d'étonnant que le mot hardi «Pas un homme ni un groschen au gouvernement actuel» soit perdu de vue, car Bebel a déjà promis son appui au gouvernement lorsque, à propos de la poudre sans fumée, celui-ci voulut conclure un emprunt pour des uniformes noirs. Quand on donne au militarisme une phalange, il prend le doigt, la main, le bras, le corps entier. Aujourd'hui l'on vote les crédits pour des uniformes noirs, demain pour des canons perfectionnés, après-demain pour l'augmentation de l'effectif de l'armée, etc., toujours sur les mêmes bases.
Oui, l'affaiblissement des principes prit une telle extension à mesure qu'un plus grand nombre de voix s'obtenait aux élections, que la bourgeoisie trouva parfaitement inutile de laisser en vigueur la loi contre les socialistes. On ne sera pas assez naïf pour supposer qu'elle abolit la loi par esprit de justice! Le non-danger de la social-démocratie permit cette abolition… Et les événements qui suivirent ne prouvèrent-ils pas que le gouvernement avait vu juste? L'affaiblissement du parti n'a-t-il pas depuis lors marché à pas de géant?
Liebknecht écrivait en 1874 (Ueber die politische Stellung):
«Toute tentative d'action au Parlement, de collaboration à la législation, suppose nécessairement un abandon de notre principe, nous conduit sur la pente du compromis et du «parlementage», enfin dans le marécage infect du parlementarisme qui, par ses miasmes, tue tout ce qui est sain.»
Et la conséquence? Coopérons quand même à la besogne. Cette conclusion est en opposition flagrante avec les prémisses, et l'on s'étonne qu'un penseur comme Liebknecht ne sente pas qu'il démolit par sa conclusion, tout l'échafaudage de son raisonnement. Comprenne qui pourra. Très instructives sont les réflexions suivantes de Steck pour caractériser les deux courants, parlementaire et révolutionnaire[15]:
«Le courant réformiste arriverait également au pouvoir politique comme parti bourgeois. À cette fin, il ne reste pas tout à fait isolé, évite de proclamer un programme de principes et s'avance, toujours confondu, quoique avec une certaine instabilité, avec d'autres partis bourgeois. Il n'a pas de frontières bien délimitées, ni à droite ni à gauche. Partiellement, par-ci, par-là, et rarement, apparaît son caractère social-démocratique. Presque toujours il se présente comme parti démocratique, parti économique-démocratique ou parti ouvrier et démocratique.
«La démocratie réformiste aspire toujours à la réalisation des réformes immédiates, comme si c'était son but unique. Elle les adapte, suivant leur caractère, à l'existence et aux tendances des partis bourgeois. Elle recherche une alliance avec eux si elle est possible, c'est-à-dire avec les éléments les plus progressistes. De cette manière elle se présente seule comme étant à la TÊTE DU PROGRÈS BOURGEOIS. Il n'y a aucun abîme entre elle et les fractions progressistes des partis, parce que chez elle non plus n'est mis en avant le principe révolutionnaire du programme social-démocratique. Cette tactique du courant réformiste amène un succès après l'autre; seulement ces succès, mesurés à l'aune de notre programme de principes, sont bien minces, souvent même très douteux. On peut ajouter qu'ils paraissent tout au plus favoriser la social-démocratie au lieu de l'entraîner.
«On ne doit pas se figurer cependant que les détails de cette tactique soient sans importance. Le danger de dévier du but principal social-démocratique est grand, quoique moindre chez les meneurs, qui connaissent bien le chemin, que chez la masse conduite. L'affaiblissement de l'idéal social-démocratique est imminent, et d'autant plus que les conséquences immédiates, à cause du triomphe, seront taxées plus haut que leur valeur.
«Ensuite, il est difficile d'éviter que cet embourgeoisement nuise à la propagande pour les principes de la social-démocratie et l'empêche de se développer. Maintes fois les réformateurs se trouvent forcés, dans la pratique, de renier plus ou moins ces principes.
«Si cette tendance social-démocratique réformiste l'emportait exclusivement, elle arriverait facilement à d'autres conséquences que celles où veut en venir le programme social-démocratique; peut-être, comme il a été dit déjà, le résultat serait-il un compromis avec la bourgeoisie sur les bases d'un ordre social capitaliste adouci et affaibli. Cet état de choses, limitant les privilèges, augmenterait notablement le nombre des privilégiés en apportant le bien-être à un grand nombre de personnes actuellement exploitées et dépendantes, mais laisserait toujours une masse exploitée et dépendante, fût-ce même dans une situation un peu meilleure que celle de la classe travailleuse non possédante.
«CE NE SERAIT PAS LA PREMIÈRE FOIS QU'UNE RÉVOLUTION SATISFERAIT UNE PARTIE DES OPPRIMÉS AU DÉTRIMENT DE L'AUTRE PARTIE. Il est, d'ailleurs, tout à fait dans l'ordre d'idées des réformateurs de ne pas renverser le capitalisme, mais de le transformer et, en outre, de donner au socialisme seulement le «droit possible» inévitable.
«À l'encontre de la remarque que le prolétariat organisé ne se contentera pas d'une demi-réussite, mais saura, en dépit des meneurs, aller jusqu'au bout de ses revendications, vient cette vérité que selon la marche des événements le prolétariat lui-même sera peu à peu divisé et qu'une soi-disant «classe meilleure» sortira de ses rangs, ayant la force d'empêcher des mesures plus radicales. Un oeil exercé peut déjà apercevoir par-ci par-là des symptômes de cette division.
«Le parti révolutionnaire, au contraire, «veut seulement accomplir la conquête du pouvoir politique au nom de la social-démocratie. En mettant son but à l'avant-plan, il sera forcé, pendant longtemps, de lutter comme la minorité, de subir défaite sur défaite et de supporter de rudes persécutions. Le triomphe final du parti social-démocratique n'en sera que plus pur et plus complet.»
Steck reconnaît également que «DANS LE FOND, la tendance révolutionnaire est la plus juste». «Notre parti, dit-il, doit être révolutionnaire, en tant qu'il possède une volonté décidément révolutionnaire et qu'il en donne le témoignage dans toutes ses déclarations et ses agissements politiques. Que notre propagande et nos revendications soient toujours révolutionnaires. Pensons continuellement à notre grand but et agissons seulement comme il l'exige. Le chemin droit est le meilleur. Soyons et restons toujours, dans la vie comme dans la mort, des social-démocrates révolutionnaires et rien d'autre. Le reste se fera bien.»