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I.
LA VILLE MONSTRE.

Table des matières

Londres, quatre fois grand comme Paris; Londres, qui tient en population le huitième de l’Angleterre, deux millions d’hommes, tandis que Paris ne tient que le trente-deuxième de la France Londres, extravagante immensité dont quelqu’un à pied ne ferait pas le tour dans sa journée; Londres, désolante et magnifique accumulation de puissances...

(AUC. LUCHET, Frère et Sœur.)

c’est de la foule sans confusion, de l’agitation sans bruit, de l’immensité sans grandeur!

(Le baron D’HAUSSEZ, La Grande-Bretagne.)

Quelle immense ville que Londres! comme cette grandeur, hors de toute proportion avec la superficie et la population des îles Britanniques, rappelle immédiatement à l’esprit et l’oppression de l’Inde et la supériorité commerciale de l’Angleterre!–Mais les richesses, provenant des succès de la force et de la ruse, sont de nature éphémère;–elles ne sauraient durer sans renverser les lois universelles qui veulent que, le jour venu, l’esclave rompe ses fers, les peuples asservis secouent le joug, et que les lumières utiles à l’homme se répandent afin que l’ignorance aussi soit affranchie.

Que sera alors la sombre étendue de cette orgueilleuse cité? Ses proportions gigantesques survivront-elles à la puissance extérieure de l’Angleterre, et à la suprématie du commerce anglais? Ces chemins de fer, qui rayonnent de la ville monstre dans toutes les directions, lui assurent-ils un accroissement sans limites? Telles sont les préoccupations de la pensée, à l’aspect de ces flots de peuple qui s’écoulent silencieux dans l’obscurité de ces longues rues, à l’aspect de ce prodigieux amas de maisons, de navires et de choses; et l’on, éprouve le besoin de se livrer à l’examen des hommes de toute classe et de leurs œuvres de toute espèce, afin de trouver une solution aux doutes dont l’esprit est agité.

A la première vue, l’étranger est frappé d’admiration pour la puissance de l’homme; puis il est comme accablé sous le poids de cette grandeur et se sent humilié de sa petitesse.–Ces innombrables vaisseaux, navires, bâtiments de toute grandeur, de toute dénomination qui, pendant de longues lieues, couvrent la surface du fleuve qu’ils réduisent à l’étroite largeur d’un canal;–le grandiose de ces arches, de ces ponts qu’on croirait jetés par des géants pour unir les deux rives du monde;–les docks, immenses entrepôts ou magasins qui occupent vingt-huit acres de terrain;– ces dômes, ces clochers, ces édifices auxquels les vapeurs donnent des formes bizarres; ces cheminées monumentales qui lancent au ciel leur noire fumée et annoncent l’existence des grandes usines;–l’apparence indécise des objets qui vous entourent: toute cette confusion d’images et de sensations trouble l’âme, –elle en est comme anéantie.–Mais c’est le soir surtout qu’il faut voir Londres! Londres, aux magiques clartés de millions de lampes qu’alimente le gaz, est resplendissant!–Ses rues larges, qui se prolongent à l’infini; ses boutiques, où des flots de lumière font briller de mille couleurs la multitude des chefs-d’œuvre que l’industrie humaine enfante; ce monde d’hommes et de femmes qui passent et repassent autour de vous: tout cela produit, la première fois, un effet enivrant!–Tandis que, le jour, la beauté des trottoirs, le nombre et l’élégance des squares, les grilles d’un style sévère, qui semblent isoler de la foule le foyer domestique, l’étendue immense des parcs, les courbes heureuses qui les dessinent, la beauté des arbres; la multitude d’équipages superbes, attelés de magnifiques chevaux, qui en parcourent les routes, toutes ces splendides réalisations ont quelque chose de féerie dont le jugement est ébloui: aussi il n’est point d’étranger qui ne soit fasciné en entrant dans la métropole britannique; mais, je me hâte de le dire, cette fascination s’évanouit comme la vision fantastique, comme le songe de la nuit; l’étranger revient bientôt de son enchantement: du monde idéal il tombe dans tout ce que l’égoïsme a de plus aride et l’existence de plus matériel.

Londres, centre des capitaux et des affaires de l’empire britannique, attire incessamment de nouveaux habitants; mais les avantages que, sous ce rapport, il offre à l’industrie sont balancés par les inconvénients qui résultent de l’énormité des distances: cette ville est la réunion de plusieurs villes, son étendue est devenue trop grande pour qu’on puisse se fréquenter ou se connaître. Comment entretenir des relations suivies avec son père, sa fille, sa sœur, ses amis, quand, pour aller leur faire une visite d’une heure, il faut en employer trois pour le trajet et dépenser huit ou dix francs de voiture?–Les fatigues extrêmes qu’on éprouve dans cette ville ne sauraient se concevoir que par ceux qui l’ont habitée, ayant des affaires ou tourmentés du désir de voir.

Les courses ordinaires sont d’une lieue et demie à deux lieues;–ainsi, pour peu d’affaires qu’ait une personne, elle est exposée à faire cinq à six lieues par jour; le temps qu’elle perd peut facilement s’imaginer: en terme moyen, la moitié de la journée se passe à arpenter les rues de Londres.–Si un exercice modéré est salutaire, rien ne tue l’imagination, ne paralyse l’esprit et le cœur comme une fatigue extrême et permanente. Le Londonnien, rentré chez lui le soir, épuisé de lassitude par les courses de la journée, ne saurait être gai, spirituel, ni disposé à se livrer aux plaisirs de la conversation, de la musique ou de la danse.–Les facultés intellectuelles, dont nous sommes doués, s’anéantissent par les fatigues corporelles, portées à l’excès, de même que la surexcitation de ces facultés frappe d’atonie les forces physiques: c’est ainsi que nous voyons l’homme des champs, rendu chez lui, après douze heures d’un pénible labeur, n’éprouver que le besoin de manger et dormir pour réparer ses forces, et son intelligence demeurer inerte, quelque puissants qu’en soient les ressorts: tel est le destin des habitants de la ville monstre! toujours accablés de fatigue, leur physionomie en a pris l’empreinte, leur caractère s’en est aigri.

Londres a trois divisions bien distinctes: la cité, le west end et les faubourgs.–La cité est l’ancienne ville, qui, malgré l’incendie arrivé sous le règne de Charles II, a conservé grand nombre de petites rues étroites, mal alignées, mal bâties, et les abords de la Tamise obstrués par des maisons dont la rivière baigne les fondements. On retrouve donc, indépendamment de ses splendeurs nouvelles, quantité de vestiges des temps antérieurs à la restauration, et le règne de Guillaume III s’y lit en entier. On y voit une multitude d’églises et de chapelles appartenant à toutes les religions, à toutes les sectes.

Les habitants de cette division sont considérés, par ceux du west end, comme des John Bull pur sang; ce sont, pour la plupart, de braves marchands qui se méprennent rarement sur les intérêts de leur commerce et que rien n’affecte, excepté ces mêmes intérêts. –Les boutiques, où beaucoup d’entre eux ont fait de grandes fortunes, sont si sombres, si froides, si humides, que l’aristocratie du west end dédaignerait de semblables salles pour loger ses chevaux.–Le costume, les mœurs, le langage de la cite se font remarquer par des formes, des nuances, des usages, des locutions que les fashionables du west end taxent de vulgarity.

Le west end est habité par la cour, la haute aristocratie, le commerce élégant, les artistes, la noblesse de province et les étrangers de tous pays;–cette partie de la ville est superbe;–les maisons sont bien construites, les rues bien alignées, mais extrêmement monotones; c’est là que l’on rencontre les brillants équipages, les dames magnifiquement parées, les dandys caracolant sur des chevaux de la plus grande beauté, et une foule de valets couverts de riches livrées et armés de longues cannes à pommes d’or ou d’argent.

Les faubourgs, en raison du bon marché des loyers, renferment les ouvriers, les filles publiques et cette tourbe d’hommes sans aveu que le manque d’ouvrage et les vices de toutes sortes livrent au vagabondage, ou que la misère et la faim forcent à devenir mendiants, voleurs, assassins.–Le contraste que présentent les trois divisions de cette ville est celui que la civilisation offre dans toutes les grandes capitales; mais il est plus heurté à Londres que nulle autre part.– On passe, de cette active population de la cité qui a pour unique mobile le désir du gain, à cette aristocratie hautaine, méprisante, qui vient à Londres, chaque année, pour échapper à son ennui et faire étalage d’un luxe effréné, ou pour y jouir du sentiment de sa grandeur par le spectacle de la misère du peuple!....–Enfin, dans les faubourgs, c’est cette masse d’ouvriers si maigres, si pâles et dont les enfants ont des mines si piteuses;–puis des essaims des prostituées à la démarche éhontée, aux regards lubriques,–et ces brigades d’hommes voleurs de profession;–ces troupes d’enfants qui, comme des oiseaux de proie, sortent, chaque soir, de leurs tanières pour s’élancer sur la ville, où ils pillent sans crainte, se livrent au crime, assurés de se dérober aux poursuites de la police, qui est insuffisante pour les atteindre dans cette immense étendue.

Promenades dans Londres

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