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ОглавлениеII.
DU CLIMAT.
«A Londres, il y a huit mois d’hiver et quatre mois de mauvais temps temps. Un Touriste.
Jamais un fruit mûr, cueilli dans un jardin anglais, n’a paru sur la table de son propriétaire
L’herbe des prairies se coupe verte, les blés se récoltent verts: point de moissons dorées, tout se dessèche après la coupe. Aucune plante, aucune graine n’arrive à son point de perfection, malgré les apparences de la plus belle végétation. Il faut renouveler, chaque année, les espèces, et tirer les graines du continent, si l’on veut éviter la dégénération. Le blé lui-même ne l’éviterait pas, si les fermiers ne prenaient leurs semences dans les blés de la Baltique. La Suède fournit la graine de navet; la Russie, celle du chanvre; la France, celle du sainfoin, de la luzerne, du trèfle, du haricot, du pois, de la feve, etc.; la Hollande et les Pays-Bas fournissent toutes les autres plantes potagères.
L’Angleterre vue à Londres et dans ses provinces, par le maréchal de camp PILLET.
Les vibrations sont proportionnées à la tension des cordes, à l’élasticité des corps sonores, et la vie, le mouvement à la chaleur, la sécheresse ou l’humidité; le froid ou le chaud transforme tous les êtres: que de différences morales s’expliquent par la diversité des climats!–Dans le Midi, la vivacité d’aperçus, le brillant éclat de l’ imagination; c’est une vie rapide, interrompue par de longs moments de rêverie ou de vague.
–Dans le Nord, les perceptions des sens n’arrivent qu’une à une à l’intelligence, l’investigation est calme, ne néglige rien, et l’action lente, monotone, a plus de constance;–mais, du nègre au Lapon, l’échelle est graduée: en allant vers le nord l’empire des besoins s’accroît, les peines et les récompenses corporelles deviennent presque les seuls mobiles de l’homme, tandis qu’au midi la nature prodigue laisse à l’âme la jouissance d’elle-même; aussi le sentiment des biens et des maux de ce monde est-il moins vif, et les peuples sont-ils plus accessibles que dans le nord à l’influence de la pensée religieuse.
Aux vapeurs de l’Océan, qui voilent constamment les îles Britanniques, se joint, dans les villes anglaises, l’atmosphère lourde, méphitique, de l’antre des cyclopes.–Les forêts n’alimentent plus le foyer domestique, c’est le combustible de l’enfer, arraché des entrailles de la terre, qui en tient lieu;–il brûle partout, nourrit d’innombrables fournaises, se substitue sur les chemins aux chevaux, et aux vents sur les rivières et les mers qui baignent cet empire.
A cette énorme masse de fumée surchargée de suie, qu’exhalent les milliers de cheminées de la ville monstre, se réunit un brouillard épais, et le nuage noir dont Londres est enveloppé ne laisse pénétrer qu’un jour terne et répand sur tous les objets comme un voile funèbre.
A Londres, on respire la tristesse; elle est dans l’air, elle entre par tous les pores.–Ah! rien de plus lugubre, de plus spasmodique, que l’aspect de cette ville par un jour de brouillard, de pluie ou de froid noir!–Quand on est atteint par cette influence, la tête est douloureuse et pesante, l’estomac a peine à fonctionner, la respiration devient difficile par défaut d’air pur, l’on éprouve une lassitude accablante;– alors on est saisi par ce que les Anglais appellent le spleen!–On ressent un désespoir profond! une douleur immense! sans pouvoir en dire la cause;–une haine acariâtre pour ceux qu’on aimait le mieux, enlin un dégoût pour tout et un désir irrésistible de se suicider.–Ces jours-là, Londres a une physionomie effrayante!–On s’imagine errer dans la nécropole du monde, on en respire l’air sépulcral, le jour est blafard, le froid humide; et ces longues files de maisons uniformes, aux petites croisées en guillotine, à la teinte sombre, entourées de grilles noires, paraissent deux rangées de tombeaux se prolongeant à l’infini, et au milieu desquelles se promènent des cadavres attendant l’heure de leur sépulture.
Dans ces jours néfastes, l’Anglais, sous l’influence de son climat, est brutal avec tous ceux qui l’approchent;–il est heurté et heurte sans recevoir ni donner d’excuse;–un pauvre vieillard tombe d’inanition dans la rue, il ne s’arrête pas pour le secourir;–il va à ses affaires, peu lui importe le reste;–il se hâte d’en finir avec sa tâche du jour, non pour se rendre dans son intérieur, où il n’aurait rien à dire à sa femme ou à ses enfants, mais afin d’aller à son club, où il dinera très-bien et tout seul, car parler est pour lui une fatigue;–puis il s’enivrera et oubliera, dans le sommeil de l’ivresse, le pesant ennui et les peines de la journée.–Beaucoup de femmes ont recours au même moyen.–Ce qui importe avant tout, c’est d’oublier qu’on existe; l’Anglais n’est pas plus ivrogne par nature que l’Espagnol, qui ne boit que de l’eau; mais le climat de Londres ferait de l’Espagnol le plus sobre un ivrogne.
L’été, à Londres, n’est guère plus agréable que l’hiver: la fréquence des pluies froides, la nature lourde d’une atmosphère surchargée d’électricité, cette continuelle variation de température provoque des rhumes, des coliques, des maux de tête, en sorte qu’il y a au moins autant de malades en été qu’en hiver.
Le climat de Londres a quelque chose de si irritant, qu’il est beaucoup d’Anglais qui ne peuvent s’y habituer; aussi est-ce le sujet permanent des plaintes et des malédictions.