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III.
DU CARACTÈRE DES LONDONNIENS.

Table des matières

Il faut qu’il y ait un vice quelconque dans le caractère, dans l’organisation domestique, dans les habitudes des Anglais; car ils ne se trouvent bien nulle part: ils paraissent tourmentés par un besoin de locomotion qui les pousse de la ville à la campagne, de leur pays dans celui des autres, de l’intérieur des terres sur les bords de la mer. Peu leur importe comment ils y seront, pourvu que demain ils ne soient plus ou ils sont aujourd’hui. Cette variété, cette distraction que les autres peuples demandent à leur imagination, c’est dans un déplacement physique qu’ils les cherchent. Quand ils ne savent plus ou aller sur la terre, ils s’enferment dans les étroites parois d’un yacht, et les voilà s’exposant aux inconvénients, aux dangers de la mer, voguant sans but, sans terme fixe, sans perspective de jouissances présentes, sans rien qui promette des souvenirs, sans autre plaisir que la fin de celui qu’ils prétendent goûter. Cette manie n’est pas particulière à des individus; elle appartient a un grand nombre de familles de toutes classes, de toutes positions, de toutes fortunes.

La Grande-Bretagne en mil huit cent trente-trois,

par le baron D’HAUSSEZ.

Il existe une si grande différence entre le climat d’Angleterre, de Londres particulièrement, et celui des pays du continent situés sous les mêmes parallèles, que, désirant parler du caractère des Londonniens, j’ai dû remarquer les effets qui appartiennent en propre à leur climat.–Je n’ai point l’intention d’analyser les nombreuses et les diverses influences qui modifient l’individualité humaine, d’examiner le degré d’action que peuvent avoir le climat, l’éducation, la nourriture, les mœurs, la religion, le gouvernement, les professions, la richesse, la misère, les événements de la vie, qui font que tel peuple est grave, enflé d’héroïsme et d’orgueil, et tel autre bouffon, passionné pour les arts et les jouissances de la vie; qui rend les Parisiens gais, communicatifs, francs et braves, et les Londonniens sérieux, insociables, défiants et craintifs, fuyant comme des lièvres devant des policemen armés d’un petit bâton;–pourquoi tel opulent membre parlementaire est vénal, et tel poëte ou artiste non éligible est incorruptible;–pourquoi les riches sont si insolents et les pauvres si humbles, les uns si durs et les autres si compatissants.–Ce serait là une longue étude à laquelle la vie de plusieurs philosophes allemands ne suffirait pas.–Je me bornerai donc à esquisser à grands traits le caractère général des habitants de Londres, sans prétendre toutefois à l’universalité du type.–Nécessairement beaucoup doivent s’en écarter. –L’homme de génie est partout un être à part, qui tient plus de la nature de son organisation que des influences extérieures.–Je laisse donc un champ vaste aux exceptions, et je ne trace que cette physionomie banale que la ville monstre imprime comme son cachet sur ceux qui vivent dans son sein.

Le Londonnien est très-peu hospitalier.–La cherté de la vie, le ton cérémonieux qui règle toutes les relations, s’opposent ace qu’il le soit.–D’ailleurs il est trop occupé de ses affaires, il ne lui reste pas assez de temps pour fêter ses amis; il ne fait donc d’invitation, ne montre de politesse que par des motifs d’intérêt;– il est ponctuel dans ses relations d’affaires: l’extrême longueur des distances en impose la rigoureuse nécessité; le Londonnien se croirait perdu dans l’esprit public s’il arrivait deux minutes après l’heure fixée pour rendez-vous.–Il est lent à prendre une résolution, parce qu’il calcule les chances diverses qu’elle peut offrir, c est chez lui prudence et non hésitation; car, plus qu’aux Anglais des autres ports de mer, les grandes affaires lui plaisent; on peut même dire qu’il est un joueur en affaires.–Quand il s’est décidé, il se montre franc et ses procédés sont larges; on rencontre presque toujours plus de facilités et d’aide chez lui qu’il ne s’y était engagé.–Il pousse la constance dans ses entreprises jusqu’à l’entêtement;–il tient à cœur d’achever ce qu’il a commencé, et ni les pertes d’argent, de temps, ni aucun obstacle ne sauraient le rebuter.–Dans ses relations de famille, il est froid, cérémonieux, exige beaucoup d’égards, de respect et de considérations, et se fait un devoir de rendre ces mêmes égards, respects et considérations.–Avec ses amis il est très-circonspect, défiant même; toutefois il se gêne beaucoup pour leur être agréable; mais il porte rarement l’amitié jusqu’à les obliger de sa bourse.–Avec les étrangers il affiche une modestie qu’il n’a pas ou prend des airs superbes, ce qui est passablement ridicule.–Envers ses supérieurs il est souple, flatteur, et pousse l’adulation jusqu’à la bassesse envers ceux dont il espère.–Pour ses inférieurs il est brutal, insolent, dur, inhumain.

Le Londonnien n’a pas d’opinion à lui, pas de goût qui lui soit propre: ses opinions sont celles de la majorité fashionable; ses goûts, ceux établis par la mode.

Cette servile observation de la mode est générale parmi la nation; il n’est point de peuple en Europe où la mode, l’étiquette et les préjugés de toute nature, se fassent obéir avec autant de tyrannie. La vie, en Angleterre, s’encadre dans mille règles puériles, absurdes, comme celles des monastères, et gênantes à l’excès; s’il vous arrive de les enfreindre, tous en masse se tiennent pour offensés!–le téméraire est banni de la société, excommunié à jamais!–Cette violente animosité, contre quiconque veut conserver les traits de son individualité, doit faire supposer que l’envie, cette mauvaise passion du cœur humain, est portée plus loin en Angleterre que nulle autre part.–La très-grande majorité est partout bien au-dessous du médiocre:–elle hait ceux qui la priment, qui lui donnent conscience de sa nullité;–aussi irrite-t-on la susceptibilité anglaise pour peu qu’on s’écarte de la ligne tracée.–L’empreinte prise par le daguerréotype d’un public de Regent-street, de Hyde-Park, serait remarquable par ces expressions factices, cet esclavage de maintien que représentent grossièrement les peintures chinoises.

Le Londonnien professe le plus grand respect pour la chose établie, et se montre religieux observateur des règles que l’usage a consacrées; il obéit aussi à toutes les exigences des préjugés de société et de secte, et, quoiqu’il arrive souvent que sa raison se révolte, il se soumet en silence et se laisse garrotter par des liens qu’il n’a pas assez de force morale pour rompre.

Ses sentiments de haine contre les étrangers, particulièrement contre les Français, fomentés avec tant de soin dans les masses par l’aristocratie, s’effacent, chaque jour, en dépit des efforts du torysme pour les y maintenir.–Il est aussi du bon ton, parmi les Londonniens, d’en paraître exempt, sous peine d’être pris pour un John Bull de la cité; cependant, soit rivalité commerciale ou envie, ils sont jaloux des Français.– Leur haine se décèle à chaque parole avec une intensité qu’augmentent, encore les soins qu’ils prennent de la dissimuler.

La passion dominante du Londonnien, c’est le luxe: être bien vêtu, bien logé, avoir un train de maison, qui le mette sur un pied respectable, est le rêve de toute sa vie, le but de son ambition.–A côté de cette passion, il s’en rencontre une autre dont les proportions sont gigantesques: c’est l’orgueil!–à laquelle il sacrifie tout, affection, fortune, avenir.

Le Londonnien ne vit guère de la vie du cœur;– chez lui l’ orgueil, la vanité, l’ostentation tiennent trop de place.–Habituellement, il est triste, silencieux et s’ennuie beaucoup;–les affaires n’excitent son intérêt que par la grandeur des risques et des résultats; il cherche continuellement à se distraire, ne ménage rien, et rarement y réussit.–Lorsque sa profession et sa position de fortune n y opposent point un insurmontable obstacle, il voyage sans cesse, traînant toujours à sa suite cet ennui profond qui laisse si rarement pénétrer un rayon de soleil dans son âme.–Cependant il arrive quelquefois que cet être, qu’on suppose uniquement destiné à constater les ennuis de la race humaine, «to be the recorder of human distresses,» sort de sa taciturnite; alors il passe a l’extrême opposé; ce sont de bruyants éclats de rire, des cris sauvages, des chants burlesques, et c’est par des bonds et des sauts que se manifeste cette gaieté accidentelle. Ce contraste produit une impression pénible.

A voir le comfort élégant dont le Londonnien riche jouit, on pourrait croire qu’il est heureux; mais, si l’on veut se donner la peine d’étudier l’expression de sa physionomie, on reconnaît à ses traits, qui portent l’empreinte de l’ennui et de la lassitude, à ses yeux, où la vie de l’âme est éteinte et la souffrance du corps manifeste, que non-seulement il n est point heureux, mais qu’il est placé dans des conditions qui lui interdisent d’aspirer au bonheur.

Promenades dans Londres

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