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NOUVELLE VIII

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Un Génois, de piteuse mine, mais de grand savoir, demande au poète Dante comment il pourra se faire aimer d’une femme; Dante lui fait une plaisante réponse.


L y avait naguère dans la cité de Gênes un particulier instruit, expert en toutes sortes de connaissances, mais de petite taille et on ne peut plus décharné. Outre cela, il était fort amoureux d’une belle dame de Gênes, qui soit à cause de sa piteuse mine, soit parce qu’elle avait trop de vertu, ou pour tout autre motif, bien loin de l’aimer, ne pouvait seulement lever les yeux sur lui et le fuyait ou tournait la tête d’un autre côté. Il en résulta que notre homme, de désespoir, connaissant la grande réputation de Dante et sachant qu’il résidait à Ravenne, se disposa enfin à l’aller voir, à pénétrer dans sa familiarité, pour obtenir de lui aide ou conseil, et savoir comment s’y prendre pour se faire aimer de cette dame, ou tout au moins ne pas lui être odieux. Dans ce but, il se mit en route et parvint à Ravenne; il y fit tant qu’il se trouva être d’un repas auquel Dante assistait. Comme ils étaient à table, assez près l’un de l’autre, le Génois, saisissant l’occasion, dit: «O mes-sire Dante, j’ai fort entendu parler de votre génie et du renom que vous avez; pourrais-je obtenir de vous un conseil?–Oui,» répondit Dante; «pourvu que je sois capable de vous le donner.» Le Génois reprit alors:–«J’ai aimé, j’aime encore une dame de toute la ferveur dont Amour veut qu’on aime; or, bien loin de me rendre amour pour amour, jamais elle ne m’a seulement favorisé d’un regard.» Dante, en l’écoutant, examinait sa piteuse mine:–«Messire,» lui répondit-il, je suis tout à votre service; quant à ce que vous me demandez maintenant, je ne vois pas d’autre moyen que celui-ci. Vous savez que les femmes grosses ont toujours envie de choses bizarres; il faudrait donc que celle que vous aimez tant devînt grosse. Une fois enceinte, puisqu’elles ont si souvent les envies les plus singulières, possible qu’elle eût envie de vous, et de cette façon vous viendriez facilement à bout de ce que vous désirez; autrement, la chose ne me paraît pas faisable.» Le Génois, se sentant mordu, s’écria:– «Messire Dante, vous me conseillez deux choses plus difficiles que n’est la principale; d’abord, il serait malaisé que cette dame devînt enceinte, car elle n’a jamais eu d’enfant, et plus malaisé encore qu’étant grosse, entre toutes les envies qui peuvent venir aux fem-mes, ce fût une envie de moi qui la prît. Mais par Dieu, il n’y avait pas d’autre réponse à ma demande que celle que vous venez de me faire.» Le Génois comprit que Dante l’avait mieux connu tout de suite qu’il ne se connaissait lui-même, et qu’il était bâti de façon à faire fuir toutes les femmes. Dante fit encore plus ample connaissance avec lui, car le Génois resta chez lui plusieurs jours, et il l’admit dans son intimité tout le temps qu’ils furent ensemble.

Ce Génois était savant, mais il ne devait pas être philosophe, comme le sont aujourd’hui la plupart des gens instruits. La philosophie, en effet, est la connaissance de la nature des choses, et comment l’homme qui ne se connaît pas lui-même connaîtra-t-il ce qui est en dehors de lui? S’il s’était regardé, ou dans le miroir de sa conscience, ou seulement dans un miroir véritable, il se serait aperçu de sa figure, et il aurait considéré qu’une belle femme, honnête par-dessus le marché, désire que celui qui l’aime ait au moins forme d’homme, et non de chauve-souris. Mais il semble qu’à tout le monde s’applique le proverbe: On n’est jamais si bonne dupe que de soi-même.

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