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NOUVELLE XXVIII

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Ser Tinaccio, curé de Castello, met coucher avec sa fille un jeune homme, croyant que c’est une femme, et le beau jeu qui en résulte.


E mes propres jours vivait curé d’une église de Castello, bourg du territoire de Florence, un nommé Ser Tinaccio, alors déjà vieux, qui, dans le temps passé, s’était donné ou pour amie ou pour ennemie une belle jeunesse de Borgo Ognissanti; il en avait eu une fille qui, à l’époque dont je parle, était fort belle et bonne à marier: le bruit courait partout que la nièce du curé était une merveille. Non loin d’elle restait un jeune gars, dont je veux taire le nom et la famille qui, ayant vu plus d’une fois cette fillette et en étant amoureux, imagina une bonne malice pour se trouver avec elle et la mit à exécution. Un soir, par un temps pluvieux, tout à fait sur le tard, il s’habilla à la mode des campagnardes, et, bien encapuchonné, se rembourra par devant de bouchons de paille et de linges, faisant mine d’avoir le ventre au menton, puis se rendit à l’église demander la confession, comme font les femmes quand elles sont près d’accoucher. A son arrivée à l’église, une heure de la nuit allait sonner; il frappa à la porte et le clerc vint ouvrir; il demanda le curé. Le clerc lui dit: «Il est allé tout à l’heure porter la communion à quelqu’un et reviendra bientôt. «Là-dessus, la femme grosse de s’écrier: «Holà! malheureuse! je n’en puis plus de fatigue;» et s’essuyant souvent avec un mouchoir, plutôt pour n’être pas reconnue que pour la sueur qu’elle aurait eue sur la figure, elle s’assit, comme tombant d’épuisc3. ment en disant: «Je vais l’attendre; » rapport à ma grossesse, je ne pour-» rais pas revenir. Quand Dieu devrait » me rappeler à lui, je ne voudrais pas » m’en aller.–Restez-donc, et que » Dieu vous bénisse,» dit le clerc. Elle attendit un peu et le prêtre revint à une heure. Sa cure était considérable, et il avait beaucoup de paroissiens qu’il ne connaissait pas. Lorsqu’il l’aperçut dans la demi-obscurité, la prétendue femme, à grand’peine, et s’essuyant toujours le visage, lui conta qu’elle l’avait attendu, l’accident qui l’amenait et toute l’histoire. Le prêtre se mit à la confesser. Le gars en jupons fit sa confession bien longue pour que la nuit arrivât tout à fait. La confession achevée, il se met à soupirer en disant: «Malheureuse! où aller ce soir, à l’heure qu’il est?–Ce serait de la folie,» s’écria Ser Tinaccio; «la nuit est noire et pluvieuse, et il semble qu’il va tomber de l’eau encore davantage; restez ce soir avec ma fillette, et demain, à votre aise, vous partirez.» A cette proposition, la fausse campagnarde pensa bien être en bon chemin de ce qu’elle souhaitait, et toute émoustillée par les paroles du prêtre, lui dit:–«Mon père, je ferai ce que vous me conseillez, car je suis si fatiguée de la route, que je ne crois pas pouvoir faire cent pas sans grand danger; le temps est mauvais, voici la nuit, je ferai comme vous voudrez. Mais, je vous en prie, si mon mari disait quelque chose, prenez ma défense.–Laissez-moi faire,» répondit le prêtre.

Entrée dans la cuisine, sur l’invitation du curé, elle soupa avec la nièce, tout en manœuvrant souvent le mouchoir. pour se cacher la figure. Le souper fini, elles se mirent au lit en une chambre séparée de celle de Ser Tinaccio par une simple cloison au milieu. La fillette était dans son premier sommeil, elle avait déjà dormi un bout de temps, quand le gars s’enhardit à lui caresser les tetons; on entendait le curé ronfler bruyamment. La prétendue femme grosse se rapprocha, la fillette qui la sentait se redresser tout contre elle se mit à appeler Ser Tinaccio en criant: «C’est un garçon!» Elle l’appela plus de trois fois avant qu’il se réveillât; au quatrième «Ser Tinaccio, c’est un garçon,» Ser Tinaccio tout endormi lui demande: «Qu’est-ce que tu dis?–Je dis que c’est un garçon.» Ser Tinaccio croit que la bonne femme accouche et répond:– «Aide, aide, ma fille.–Ser Tinaccio, Ser Tinaccio,» répétait la pauvrette, «je vous dis que c’est un garçon!–Aide, aide, ma fille,» répliquait Ser Tinaccio, «Dieu te bénira;» et fatigué qu’il était, tombant de sommeil, Ser Tinaccio se rendormit. La fillette, fatiguée aussi de lutter et contre le jeune homme et contre le sommeil, convaincue de plus que le curé l’engageait d’aider à l’opération, cette nuit se passa le mieux qu’il soit possible. A la pointe du jour, le jeune homme ayant pris autant de plaisir qu’il voulait, lui découvrit qui il était, comment il s’était métamorphosé en femme par amour pour elle, rien que pour coucher avec elle, car il l’aimait plus que tout au monde. Il lui donna pour arrhes, en se levant et au moment de partir, l’argent qu’il avait sur lui, jurant que tout ce qu’il possédait était à elle; il arrangea enfin les moyens de se revoir souvent à l’avenir, et cela fait, après beaucoup de baisers et d’embrassades, il prit congé d’elle en lui disant: «Quand Ser Tinaccio te demandera ce qu’est devenue la femme enceinte, tu lui répondras: Elle est accouchée cette nuit d’un garçon, quand je vous ai appelé, et ce matin de bonne heure, à la grace de Dieu, elle s’en est allée avec son enfant.» La femme grosse partie, laissant dans la paillasse de Ser Tinaccio la paille dont elle s’était rembourré le ventre, Ser Tinaccio, aussitôt levé, entra dans la chambre de la fille et s’écria: «Que diable est-il donc arrivé cette nuit, que tu ne m’as pas laissé dormir? Toute la nuit: Ser Tinaccio, Ser Tinaccio! Eh bien! qu’y a-t-il?–Cette femme a fait un beau garçon,» répondit la fillette.–«Où est-il?–Ce matin, dès le petit jour, elle s’en est allée avec son enfant, plus par honte, je crois, que pour toute autre chose.–Eh!» reprit Ser Tinaccio, «envoie-la au diable. Ces femmes attendent au dernier moment, si bien qu’après elles s’en vont pisser leurs enfants n’importe où. Si je peux la retrouver ou savoir qui est son mari, qui doit être quelque mauvais sujet, je lui dirai quelque sottise.–Vous ferez bien,» repartit la donzelle; «moi non plus, elle ne m’a pas laissé dormir de la nuit.» Ainsi finit l’histoire.

A partir de ce moment-là, il n’y eut pas besoin de grande alchimie pour opérer la conjonction des planètes; les deux amoureux se rencontrèrent assez souvent, à l’occasion, et le curé eut sa charge de cette denrée que ses confrères donnent si bien aux autres. Qu’il leur en arrive autant à tous, et puisqu’on ne peut se venger sur leurs femmes, qu’on se venge sur leurs nièces ou sur leurs filles, comme celle-ci l’était, à l’aide d’un bon tour semblable à celui-ci, certainement l’un des meilleurs et des plus relevés qu’on ait jamais ouïs. Pour moi, je crois que le jeune homme ne commit qu’un péché véniel en attrapant un de ceux qui, sous le couvert de la religion, du matin au soir, ne font que chasser sur les terres d’autrui.


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