Читать книгу Correspondance de Chateaubriand avec la marquise de V - François-René vicomte de Chateaubriand - Страница 17

CHATEAUBRIAND. IX

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À M. de Chateaubriand

H., 19 janvier 1828.

Je me vantais que mon âme était toute empreinte de la vôtre. Ô mon maître, mon erreur était grande! Je confondais ma tendresse avec le reflet de vos vertus. Je suis encore si loin de vous que je ne vous devine même pas.

Parce que vous aviez attaqué M. de Villèle, je croyais que vous aviez renoncé à revenir au ministère. Mais vous étiez plus haut que cette hauteur moyenne où je vous plaçais. Vous avez attaqué M. de Villèle parce qu'il faisait le mal, vous lui succèderez parce que vous ferez le bien[13]. Tant que vous pourrez en faire encore, vous ne direz point: c'est assez. Mais si vous vous rendez à la France, qui vous appelle de tant de vœux, à la famille royale, qui est encore comme étrangère sur ses foyers si longtemps perdus, cette surcharge de travail à un travail déjà excessif, ce surcroît de sollicitude dans une vie qui n'est déjà que trop remplie, n'épuiseront-ils pas enfin vos forces? Au nom de ce que vous avez le plus aimé, je vous conjure d'arrêter vos réflexions sur cette question, et de vous souvenir qu'après tout vous n'êtes qu'un homme, quoique le plus excellent d'entre eux!

[Note 13: M. de Villèle avait donné sa démission, le 2 décembre 1827.]

Heureux le pays qui vous a vu naître! Heureuse la patrie que vous servez! Mais, pour moi, ô mon étoile! vous brillez dans une sphère bien au-dessus des grandeurs que les hommes peuvent vous offrir, ou vous retirer. Dans les forêts de l'Amérique, dans les landes de la Bretagne, dans les solitudes de la Grèce, dans les sables des Tuileries ou dans l'allée de votre chartreuse, je vous vois des mêmes yeux; et je vous suis avec le même cœur.

La lecture des Débats, en me faisant entrevoir la possibilité de votre retour aux affaires, m'avait fait concevoir pour vous la crainte que je viens de vous détailler: j'en avais aussi pour moi-même. J'étais abattue, découragée. Pour la seconde fois j'allais être effacée de votre souvenir. Mais celui qui me soutint la première fois est maintenant au-delà du tombeau, il y est avec ma meilleure mère, avec l'amie de mon enfance, avec le frère élu par mon cœur: je les avais tous alors. Que ferai-je maintenant? Je mesurais tristement la hauteur de mes montagnes: je me sentais exilée dans cette vallée chérie où il me suffisait autrefois d'ouvrir les yeux pour être charmée, de respirer pour être heureuse; je murmurais ces paroles de Jean-Jacques: «Que le jour me dure, passé loin de toi! Toute la nature n'est plus rien pour moi!» La résignation sortait de mon cœur, mon sort me semblait triste et dur, mes devoirs pénibles, et l'air pesant; et, durant ce temps, ô mon ami! oubliant le monde rempli de votre renommée, retiré dans le sanctuaire de vos vertus et de vos affections les plus intimes, vous m'écriviez, à loisir, une lettre si touchante qu'elle vous acquitte envers moi! Depuis que j'ai reçu cette lettre, tout est encore changé autour de moi. J'ai remarqué plusieurs fois l'étonnement du peu de personnes qui me parlent. C'est que la joie brille sur mon visage, quoique je n'aie aucun sujet connu de contentement. C'est que je regarde avec une profonde tendresse quelque objet inanimé que je ne vois point. Ah! je le sens, tout ce qu'il peut y avoir de plus honorable et de plus doux dans le sort d'une femme sur cette terre se trouve réuni pour elle dans le bonheur de dépendre d'une âme comme la vôtre!

Et ce bonheur deviendra-t-il un jour mon partage? M'aimerez-vous? Hélas! laissez-moi les craintes, à moi, qui ne suis pas même une voix pour vous! Si vous relisiez mes lettres à M. Hyde de Neuville, vous verriez l'empire que ces craintes ont eu sur moi. Je voudrais que vous parlassiez de moi à cet excellent homme: il sait comment je vous ai toujours chéri, il vous le dirait. Ses expressions simples et inattentives me peindraient à vous telle que je suis; mais aussi, elles désespéreraient la belle chimère qui vous conduit à moi. Il ne m'a pas écrit depuis son élection, je comprends qu'il n'a pas le temps. Ne vous souvenez-vous plus de ces belles paroles que vous lui adressâtes il y a deux ans, au sujet d'une femme généreuse, disiez-vous, que vous le chargiez de remercier? Si j'ai souffert des hommes… qui n'en a pas souffert?… Cette femme, c'était moi. Pardonnez-moi ces fréquents retours vers le passé: j'ai besoin de vous prouver qu'il s'agit ici d'un sentiment digne de vous.

Les quelques années de différence qu'il y a entre nous vous causent une sorte d'inquiétude à laquelle je refuserais de croire si vous-même ne m'en faisiez pas l'aveu avec la sincérité d'une âme demeurée jeune et pure. Ô mon aimable ami, ne soyez pas ingrat envers ces année qui semblent, en votre faveur, ne poursuivre leur cours que pour ajouter à votre gloire et à vos vertus, sans pour cela vous priver d'aucun des avantages qui vous ont été prodigués! Je n'avais jamais songé à vous créer dans ma pensée un extérieur qui pût vous représenter à moi et, lorsque je pensais à vous, je ne voyais qu'un nom, le hasard ne m'ayant jamais offert aucun de vos portraits. Je ne faisais point de questions sur vous. Depuis l'époque malheureuse où je ne pus vous voir après vous avoir cherché, je ne voulais plus vous trouver que dans mon cœur. Je vous fuyais partout, même dans vos ouvrages; j'ai passé plusieurs années sans pouvoir lire René, et surtout l'Itinéraire. Dernièrement encore, ils m'ont fait mal: c'est à leur lecture que j'attribue l'abattement où j'étais tombée à la seule pensée que le torrent des affaires vous ferait perdre mon souvenir. Dès votre première et votre seconde lettre, vous parûtes très préoccupé de cette différence d'âge: cela me fit naître le désir d'avoir une idée de vous, car je n'en avais point du tout, quoique je connusse bien le fond de votre âme. J'écrivis à une femme de ma connaissance qui vous a vu cet automne. Je ne sais comment il se fit que je n'osais guère lui faire de questions: cependant, sa réponse, toute incomplète qu'elle est, suffira, de reste, à vous rassurer, «M. de Chateaubriand est d'une taille moyenne, il a l'air noble et très distingué; il est d'une belle figure; il parle peu; il est cependant fort aimable.» Savez-vous l'effet que ce portrait produisit sur moi? Je demeurai troublée et confuse de vous tant aimer. J'ai ajouté beaucoup de choses à ce portrait; je sens que je ne me trompe sur aucune: vous me le direz?

L'âme d'un ange, le caractère d'un héros, peut-être le cœur d'une femme… et quelquefois la gaîté franche et naïve d'un enfant. La puissance de votre regard est irrésistible comme le charme de votre sourire: vos manières sont nobles et charmantes. Votre invincible fermeté ajoute en vous son attrait à l'attrait de vos malheurs, et votre modestie sincère fait aimer votre gloire. Ami! vous n'êtes que trop bien doué pour plaire, et celui de nous deux qui doit trembler, ce n'est pas vous.

Mais pour vous punir de votre coquetterie avec moi, je dois vous apprendre qu'il ne faut pas tant d'agréments pour me plaire. Il y a à Paris un homme que nos connaissances communes appellent mon chevalier, qu'on m'accuse de préférer à tous les autres hommes, et qu'en effet j'aime comme mes yeux. C'est un des députés de la Côte-d'Or, le chevalier de Berbis. Si vous le connaissiez, vous seriez de mon goût, et tomberiez à mes genoux pour obtenir votre pardon de l'affront que vous faites à ma solidité.

Dites-moi, je vous prie, dans quel quartier est votre hospice, afin que je le cherche sur la carte; ce sera un plaisir pour moi. Je n'ai pas oublié la folle joie que j'éprouvai, il y a dix ans, lorsque je vis mon nom tracé de votre main sur une de vos cartes.

Adieu, mon maître aimé! Vous savez que vos lettres font le bonheur de ma vie. N'en aurai-je pas bientôt une autre? ou du moins me pardonnerez-vous de l'avoir demandée?

Correspondance de Chateaubriand avec la marquise de V

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