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PRÉFACE

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A en croire certains philosophes, l’œuvre d’art serait l’œuvre de tout le monde, excepté de l’artiste lui-même. Les causes générales, milieu physique, milieu social, n’expliquent jamais que ce qu’il y a de commun dans l’art d’un peuple ou d’une école. Léonard de Vinci et Michel-Ange ont respiré le même air, contemplé le même ciel, coudoyé les mêmes hommes dans les rues de Florence: mais des images qui leur venaient des choses et des idées qu’ils recevaient des hommes, l’un et l’autre ont créé le monde qui convenait à leur génie. La technique d’un grand artiste nous intéresse et nous émeut par ce qu’elle ajoute d’imprévu au langage traditionnel, elle est l’expression de ce qu’il y a d’unique dans sa sensibilité et dans son imagination. Présent à son œuvre l’homme s’y révèle.

Nul plus que Carrière ne nous montre cette intime pénétration de l’art et de la vie. La peinture n’est pour lui ni un jeu, ni un métier, elle est son langage, son mode de recherche et d’expression, la manière que lui a imposée la nature d’aller à la découverte de lui-même et du monde. Cette découverte l’enchante, il la poursuit dans la joie et dans l’enthousiasme. Il ouvre sur ce qui l’entoure un regard ingénu. Il travaille naïvement, simplement, toujours en effort, toujours en progrès. D’une marche lente et sûre, guidé par un instinct, auquel il n’obéit qu’en y appliquant sa réflexion, il s’élève vers la beauté qui répond à son âme profonde et passionnée. Sa vie est un cercle qui, du même centre, toujours s’amplifie. Aussi bien que la science, l’art est un point de vue sur l’univers. Interrogeant la nature, attentif à ses réponses, dans ce perpétuel entretien, comme dans une expérience immédiate, il éprouve qu’une même pensée se réalise dans les formes sensibles et prend conscience d’elle-même dans l’esprit de l’homme. Il est en communion avec ses semblables, avec la nature entière, et dans le sentiment de cette solidarité il trouve une force invincible. Son amour de la beauté s’achève en héroïsme.

Admirer une œuvre, c’est toujours en un sens la refaire, la recréer en ressuscitant en soi les émotions qui lui ont donné naissance. L’admiration est sympathie. Notre curiosité s’éveille de l’homme, dont le génie suscite en nous les idées et les sentiments qui semblent nous élever au-dessus de nous-mêmes.

En restituant cette belle vie dans son rapport à l’œuvre qui tout à la fois en sort et l’enrichit, mon ambition serait d’abord de faire entrer plus avant dans l’intimité d’Eugène Carrière les amis inconnus que ses œuvres ne peuvent manquer de lui faire dans l’avenir.

J’ajoute qu’une vie bien vécue est pour tous un exemple et un réconfort: le problème qu’elle nous montre résolu est celui même que chacun de nous doit résoudre. Nulle vie n’est plus digne d’être recueillie que cette vie sans événements extraordinaires, où rien n’est laissé au hasard, où le développement même de la nature semble une conquête de la volonté ; harmonie souple, mobile, sans cesse élargie, qui ramène sous ses lois les éléments contraires, les fait concourir à l’expression d’une même pensée, et d’un suprême élan monte, s’élève, s’amplifie jusqu’à comprendre dans ses accords héroïques la douleur et la mort.

Eugène Carrière, essai de biographie psychologique

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