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LE PÉLERINAGE DE CHILDE HAROLD, POÈME CHEVALERESQUE
Chant Premier

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1. O toi, à qui l'Hellénie donnait une origine céleste! Muse! créée ou inventée au gré du ménestrel; depuis que des lyres modernes t'ont fait rougir, la mienne n'ose pas t'appeler de ta colline sacrée. Cependant j'ai erré sur les bords de ton ruisseau célèbre; oui, j'ai soupiré sur les autels de Delphes, depuis long-tems déserts6; où, excepté le faible murmure de ta source antique, tout est muet; mon humble voix n'éveillera point les neuf sœurs fatiguées, pour favoriser une histoire aussi simple, et des chants aussi obscurs que les miens.

2. Naguère dans l'île d'Albion habitait un jeune homme qui ne trouvait aucun charme dans les sentiers de la vertu; mais il consumait ses jours dans les excès les plus grossiers, et fatiguait de ses joies l'oreille assoupie de la nuit. Hélas! c'était enfin un être déhonté, livré tout entier à la bonne chère et aux plaisirs impies. Peu de choses terrestres lui étaient agréables, excepté des courtisanes, des convives sensuels et des flatteurs de hauts et de bas degrés.

3. Childe Harold était ce personnage. Mais il ne me convient pas de dire d'où il tirait son nom et sa noblesse; il suffit de savoir que peut-être, dans d'autres tems, ils furent renommés et pleins de gloire: mais un misérable vaurien souille à jamais un nom, quelque illustre qu'il ait été dans les vieux tems. Non, tout ce que la science du blason tire d'un cercueil étroit; la prose la plus fleurie, les mensonges flatteurs de la poésie ne peuvent ennoblir de mauvaises actions ou justifier un crime.

4. Childe Harold, comme un autre insecte, se jouait au soleil de son midi, sans prévoir qu'avant la fin de son jour éphémère, un orage glacé pouvait ruiner toutes ses espérances. Mais long-tems avant qu'il eût atteint le tiers de sa carrière, Childe Harold avait éprouvé quelque chose de pire que le malheur: c'était le dégoût de la satiété. Il se fatigua d'habiter sa terre natale, qui lui sembla plus triste que la cellule d'un ermite.

5. Il avait parcouru le vaste labyrinthe du vice, sans s'étonner de ses désordres. Il avait soupiré pour un grand nombre de beautés, mais il n'en aima qu'une; et cette femme seule qu'il aimait, hélas! ne put jamais être à lui. Ah! combien elle fut heureuse d'échapper à celui dont les baisers eussent souillé un être si chaste; à celui qui eût bientôt abandonné ses charmes pour des jouissances vulgaires, dépouillé ses féconds domaines pour couvrir ses profusions, et dédaigné de goûter les félicités de la paix intérieure!

6. Childe Harold avait le cœur entièrement desséché, et il voulait fuir ses compagnons de débauches. On dit que de tems en tems une larme soudaine était prête à s'échapper de ses yeux, mais l'orgueil l'y venait glacer aussitôt. Il promenait souvent ses tristes rêveries dans la solitude, et il résolut de quitter sa terre natale pour visiter, au-delà des mers, des climats brûlans. Rassasié du plaisir, il aspirait après le malheur, et pour changer de spectacle il serait même descendu dans le séjour des ombres.

7. Childe Harold abandonna le château de son père. C'était un vaste et vénérable édifice, si vieux qu'il semblait assez solide seulement pour ne pas tomber, malgré l'énorme appui de ses ailes massives. Monastique demeure, condamnée à de vils usages! Là où la superstition fit jadis son antre, les joyeuses nymphes de Paphos y venaient chanter et sourire: et les moines ont pu croire que leur tems était revenu; si les anciennes histoires disent vrai, et n'ont point fait tort à ces saints hommes.

8. Cependant souvent, dans ses ivresses les plus insensées, des angoisses étranges passaient sur le front d'Harold, comme si le souvenir de quelque lutte sanglante, ou d'une passion trompée, l'eût poursuivi sans cesse. Mais personne ne connaissait ce secret, et ne cherchait peut-être à le connaître; car il n'avait point cette ame ouverte et simple qui trouve du soulagement à confier ses peines, et il ne recherchait point les conseils ou les consolations d'un ami, quels que fussent les chagrins qu'il ne pouvait effacer de sa mémoire.

9. Et personne ne l'aimait, quoiqu'il rassemblât dans son château et ses domaines des débauchés venus de loin et de près. Il savait qu'ils étaient seulement les flatteurs de l'heure splendide de ses fêtes, et des parasites ingrats de ses festins. – Oui! personne ne l'aimait, pas même ses maîtresses chéries. – La pompe et le pouvoir seulement charment le cœur des femmes; et partout où brillent ces avantages, l'amour trouve un compagnon de plaisir. Les jeunes femmes, comme les papillons, se laissent prendre aux brillantes apparences, et Mammon réussit où des séraphins pourraient se désespérer.

10. Childe Harold avait une mère; il ne l'oublia point, quoiqu'au moment du départ il évita de la voir. Il avait une sœur qu'il aimait; mais il ne la vit pas non plus avant de commencer son long pélerinage. S'il avait des amis, il ne dit adieu à aucun; cependant ne concluez pas de là que son cœur était un cœur d'airain. Oui, ceux qui ont connu ce que c'est que d'aimer avec affection des objets chéris sentiront dans leur douleur que de semblables adieux brisent le cœur dont ils espéraient adoucir les regrets.

11. Son château, ses domaines variés et nombreux, les dames au doux sourire dans le sein desquelles il avait trouvé la volupté, et dont les grands yeux bleus, les cheveux noués avec grâce et les mains blanches comme la neige, auraient pu ébranler la sainteté d'un anachorète; ses coupes remplies d'un vin précieux, et tout ce qui pouvait inviter à la volupté; il abandonne tout sans regret pour traverser les mers, franchir les rivages musulmans et passer la ligne centrale de la terre.

12. Les voiles étaient enflées, et la brise légère soufflait agréablement, comme si elle eût été joyeuse de l'emporter loin de sa demeure paternelle. Les blancs rochers du rivage disparurent rapidement à ses regards, et furent bientôt perdus dans l'écume des flots qui les environnent. Alors, peut-être, il se repentit de son désir de pélerinage; mais la pensée silencieuse resta endormie dans son sein; il ne s'échappa de ses lèvres aucun murmure, tandis que les autres passagers étaient tristes, et pleuraient en adressant de lâches gémissemens aux brises insensibles à leurs plaintes.

13. Mais lorsque le soleil se fut plongé dans la mer, il saisit sa harpe dont il jouait de tems en tems, et dont il tirait une mélodie sans art, lorsqu'il croyait n'être pas entendu par une oreille étrangère. Maintenant il laisse errer ses doigts sur l'instrument docile, et il chante son adieu dans les ombres du crépuscule. Cependant le vaisseau fuit avec ses ailes blanches, et les bords flottans disparaissent à la vue. Harold adressa ainsi aux élémens son dernier Bon Soir.

I

Adieu, adieu! ma terre natale disparaît sur les ondes bleues; les vents de nuit soupirent, les vagues s'élèvent, et la sauvage mouette crie. Ce soleil qui se pose là-bas sur la mer, nous le suivons dans sa fuite; adieu, pour quelque tems, à lui, et à toi, ma terre natale, – Bon Soir.

II

Dans quelques heures, il se lèvera pour donner l'existence au matin, et je saluerai la mer et les cieux, mais non ma terre paternelle. Mon propre château est désert, son enceinte est désolée, des herbes sauvages croissent sur les murs, mon chien hurle au seuil de la porte.

III

Viens, viens ici, mon petit page. Pourquoi ces pleurs et ces gémissemens? Craindrais-tu la fureur des vagues? ou le vent te ferait-il trembler? Efface ces larmes qui tombent de tes yeux. Notre vaisseau est léger et fort: notre plus agile faucon à peine pourrait voler plus agilement que lui.

IV

– Que les vents soufflent, que les vagues se soulèvent, je ne crains ni la vague ni le vent: cependant ne vous étonnez pas, sir Harold, si j'ai l'ame pleine de tristesse: car j'ai abandonné mon père, une mère que j'aime beaucoup, et je n'ai pas d'amis, excepté eux et vous, et celui qui est là-haut.

V

Mon père m'a béni avec ferveur, quoique sans me plaindre beaucoup; mais ma mère soupirera amèrement jusqu'à mon retour près d'elle. – Assez, assez, mon petit ami, des pleurs semblables conviennent à tes yeux; si j'avais ton cœur innocent, les miens ne seraient pas desséchés.

VI

Approche, mon fidèle serviteur: pourquoi me parais-tu si pâle? Craindrais-tu quelque ennemi français? ou la brise seulement te fait-elle trembler? – Pensez-vous que je tremble pour ma vie, sir Harold? Je ne suis pas si lâche; mais la pensée d'une épouse absente fait blanchir une joue fidèle.

VII

Ma femme et mes enfans habitent près de votre château, sur les bords du lac voisin. Lorsqu'ils demanderont leur père, que répondra leur mère? – Assez, assez, mon brave serviteur, que personne ne blâme ta tristesse. Mais moi, qui suis d'un naturel plus léger, je me réjouis de m'éloigner.

VIII

Car qui voudrait se fier aux soupirs simulés d'une femme ou d'une maîtresse? De nouveaux feux sécheront bientôt les yeux bleus et brillans que nous avons quittés baignés de pleurs. Je ne m'afflige point pour des plaisirs passés, ni pour les périls qui nous menacent. Mon plus grand chagrin est de ne rien laisser qui réclame de moi une larme.

IX

Et maintenant je suis seul dans le monde, sur la sauvage, la sauvage mer. Mais pourquoi soupirerais-je pour les autres, quand personne ne soupire pour moi? Peut-être mon dogue gémira-t-il en vain jusqu'à ce qu'il soit nourri par des mains étrangères; mais, dans peu, si je revenais à ma maison, il me déchirerait en l'approchant.

X

Avec toi, mon esquif, je veux voguer gaîment à travers les ondes écumeuses, sans m'inquiéter sur quel rivage tu vas me conduire, si tu ne me ramènes sur celui de ma patrie. Salut, salut, flots bleus et sombres! Et quand vous disparaîtrez à ma vue, salut, déserts et grottes sauvages! Ma terre natale, – Bon Soir!

14. Le vaisseau fuit, la terre a disparu, et les vents sont violens dans la baie orageuse de la Biscaye. Quatre jours sont passés; mais au cinquième, de nouveaux rivages découverts rendent tous les cœurs joyeux. La montagne de Cintra les salue sur leur passage, et le Tage se précipitant dans l'Océan, lui porte le tribut de ses flots d'or imaginaire. Des pilotes lusitaniens sautent à notre bord, et gouvernent à travers de fertiles rivages, où l'on voit seulement quelques laboureurs moissonner.

15. O Christ! c'est un spectacle charmant de voir ce que le ciel a fait pour cette délicieuse contrée! Que de fruits odoriférans mûrissent sur chaque arbre! que de fécondité se déploie sur les collines! Mais l'homme voudrait les ravager de ses mains impies! Quand le Tout-Puissant lévera son fouet redoutable contre ceux qui transgressent ses lois suprêmes, ses aiguillons brûlans imprégnés d'une triple vengeance poursuivront les hôtes gaulois, semblables aux sauterelles, et purgeront la terre de ses plus cruels ennemis.

16. Quelles sont les beautés qu'au premier aspect, nous offre Lisbonne? Son image flottant sur ce noble fleuve, auquel les poètes ont en vain donné un lit de sable d'or; mais sur lequel maintenant se balancent mille vaisseaux d'une force majestueuse, depuis qu'Albion s'est alliée à la Lusitanie, et lui a apporté les secours de sa puissance. Cette nation lusitaine est enflée d'ignorance et d'orgueil. Elle baise et déteste la main qui a tiré le glaive pour la sauver de la colère du chef impitoyable de la Gaule.

17. Mais lorsqu'il est entré dans cette ville qui, de loin, semble être une cité céleste, le voyageur éprouve de la désolation au milieu de choses les plus désagréables aux regards d'un étranger, et cela dans tous les degrés de l'échelle de la civilisation, car la hutte et le palais sont également repoussans d'aspect. Ses épais citoyens sont entassés dans la fange. De quelque rang que soit un individu, il s'inquiète peu de la propreté de ses vêtemens, quoique, dans la négligence des soins de sa personne, il soit affecté de la plaie de l'Égypte.

18. Pauvres et chétifs esclaves! vous êtes nés cependant sur la terre la plus noble. – Nature, pourquoi as-tu prodigué tes merveilles à de tels hommes? Regardez! L'Éden glorieux de Cintra apparaît dans son labyrinthe varié de monts et de vallées. Oh! quelle main pourrait guider le pinceau ou la plume pour suivre la moitié seulement de ce que l'œil découvre à travers ces perspectives plus éblouissantes pour le regard mortel, que les lieux décrits par le poète qui ouvrit les portes de l'Élysée au monde frappé d'admiration?

19. Les rochers affreux couronnés par un couvent qui semble penché; les blancs arbres de liége qui couvrent des précipices sombres; la mousse7 des monts rembrunie par des cieux dévorans; la vallée profonde dont les arbrisseaux gémissent de l'absence du soleil; le tendre azur du tranquille Océan; les teintes de l'orange qui dorent le vert rameau; les torrens qui tombent des rochers dans la vallée; la vigne sur le coteau, la branche du saule dans le fond du vallon; tous ces objets mêlés dans un tableau ravissant, offrent les beautés les plus variées.

20. Alors, gravissez lentement le sentier tortueux, et à mesure que vous montez, tournez-vous fréquemment, et arrêtez-vous à chaque sommité plus élevée pour admirer des scènes de plus en plus ravissantes. Reposez-vous un instant à la chapelle de Notre-Dame des Douleurs8; là des moines sobres montrent leurs petites reliques, et récitent au voyageur leurs diverses légendes. Là, des hommes impies ont été punis, et là, voyez! dans cette grotte profonde, Honorius habita long-tems, espérant mériter le ciel en faisant de la terre un enfer.

21. Remarquez à mesure que vous parvenez à la cime des rochers, des croix çà et là le long du chemin, grossièrement taillées. Cependant ne croyez pas que ce soient des offrandes de la dévotion; ce sont de frêles monumens d'une passion meurtrière, car partout où le sang d'une victime a coulé sous le poignard d'un assassin, quelque main pieuse élève une croix simple et grossière; les bosquets et les vallées en sont remplis sur cette terre sanglante où la loi ne protège point la vie de l'homme9.

22. Sur la pente des collines ou dans le sein des vallons, s'élèvent des châteaux où des rois autrefois fixèrent leur demeure; mais aujourd'hui les fleurs sauvages peuplent leurs alentours. Cependant une splendeur de ruines règne encore sur ces débris. Ces tours là-bas sont le beau palais du Prince. Et toi aussi, Wathek! le plus opulent des fils de l'Angleterre; là, tu te créas autrefois ton paradis, comme si tu avais oublié que, lorsque la richesse lascive a épuisé ses plus puissans efforts, la douce paix fuit toujours les appas trompeurs de la volupté.

23. C'est là que tu habitais, là que tu rêvais sans cesse à de nouveaux plaisirs sous l'abri toujours enchanteur de cette montagne; mais maintenant, comme si c'était un lieu maudit de l'homme, ta demeure enchantée est aussi abandonnée que toi! Là, des herbes gigantesques accordent à peine un passage jusqu'à tes appartemens déserts et aux larges portiques délaissés. Nouvelle leçon pour l'être pensant! Que les palais de la terre sont vains, quand le flot impitoyable du tems les a changés en ruines!

24. Regardez le palais où se sont rassemblés naguère les chefs militaires10. Oh! palais odieux aux regards d'un Anglais! Voyez ce démon qui porte le diadême de la folie, ce petit démon qui se moque sans cesse, qui est accoutré d'une robe de parchemin. À son côté est suspendu un sceau et un écusson à fond de sable où sont blasonnés des noms glorieux connus dans la chevalerie, et de nombreuses signatures ornent un traité que le drôle montre du doigt en riant de toute son ame.

25. La Convention est le nom de ce démon qui s'est joué des chevaliers réunis dans le palais Marialva. Il les priva de leurs cervelles (s'ils avaient des cervelles), et changea en tristesse la joie légère d'une nation. Là, la folie impérieuse foula par terre le panache du vainqueur, et la politique reconquit ce qu'avaient perdu les armes. Pour des chefs tels que les nôtres, que les lauriers fleurissent en vain! Malheur au vainqueur, et non à l'ennemi vaincu, depuis que la palme du triomphe dédaignée se flétrit sur les côtes de la Lusitanie!

26. Depuis la réunion de ce synode martial, ô Cintra! l'Angleterre pâlit à ton nom; ceux qui occupent le rang de ministres frémissent, et ils seraient contraints de rougir, s'ils pouvaient encore rougir de honte. Comment la postérité nommera-t-elle cet acte avilissant? Notre nation même et les nations nos alliées, ne verront-elles pas avec mépris ces champions dépouillés de leur renommée par des ennemis vaincus au combat, et vainqueurs, là où les railleries des nations s'exerceront pendant nombre d'années encore!

27. Ainsi pensait Harold, tandis qu'il promenait sur les montagnes sa solitaire pensée. Le spectacle de cette nature l'enchante; cependant il songe déjà à s'éloigner, entraîné par une inquiétude plus mobile que l'hirondelle dans les airs. Toutefois il a appris à réfléchir moralement, car la méditation fixait de tems en tems son esprit, et la raison lui a inspiré de mépriser sa première jeunesse, consumée dans des fantaisies insensées; mais comme il contemplait l'entière vérité, ses yeux troublés par elle s'obscurcirent aussitôt.

28. À cheval! à cheval! il quitte pour toujours, il quitte des scènes de paix, qui eussent calmé son ame. Il repousse de nouveau ses accès de rêverie, mais il ne recherche plus maintenant les plaisirs de la débauche et de la table. Il fuit, sans savoir encore où il se reposera de son pélerinage. Mille scènes changeantes se dérouleront à ses regards, avant que sa soif de voyage puisse s'apaiser, que son ame se calme, ou que, par l'expérience, il apprenne à devenir sage.

29. Cependant Mafra l'arrêtera un instant11 dans ce lieu qu'habita jadis la malheureuse reine des Lusitaniens, où se confondaient l'Église et la Cour, où la messe et les parties de débauche se succédaient alternativement; refuge des courtisans et des moines; mélange hétérogène, j'en conviens! Mais ici la prostituée de Babylone a bâti un palais, où elle a déployé tant de pompe, que les hommes oublient le sang qu'elle a versé, et fléchissent le genou pour admirer une magnificence qui sert à déguiser le crime.

30. Childe Harold s'égare à travers des vallées abondantes, des collines romantiques, où ses regards aimaient à s'arrêter avec délices. Oh! que de semblables collines ne nourrissent-elles une race d'hommes libres! Que ceux qui sont abandonnés à la mollesse appellent les voyages une errante folie, et s'étonnent que des hommes puissent quitter les douceurs d'un moëlleux fauteuil pour s'exposer à toutes les fatigues d'une course longue et pénible; oh! il y a dans l'air des montagnes une fraîcheur, une vie que la mollesse bouffie ne peut jamais espérer de connaître.

31. Les collines plus noires à la vue se retirent dans le lointain; et des vallées moins abondantes, plus unies, se déploient; des plaines immenses, qui ne sont bornées que par un vaste horizon, leur succèdent. Aussi loin que l'œil peut s'étendre dans un espace sans fin, apparaissent les royaumes d'Espagne, où les bergers dirigent ces troupeaux dont la riche toison est si bien connue des négocians européens. – Maintenant le bras du pasteur doit défendre ses agneaux, car l'Espagne est envahie par des ennemis inflexibles. Tous les Espagnols doivent se mettre en défense, ou subir les malheurs de la conquête.

32. Aux lieux où la Lusitanie et sa sœur se rencontrent, quelles limites pensez-vous qui séparent les deux peuples rivaux? Le Tage vient-il interposer ses flots majestueux entre les deux nations jalouses? La Sierra-Morena y élève-t-elle ses crêtes orgueilleuses? Est-ce une œuvre de l'art comme la vaste muraille de la Chine? – Non, ce n'est point une barrière construite par des hommes, ni un fleuve profond et large, ni des rochers horribles, ni des montagnes sombres et élevées comme celles qui séparent l'Ibérie de la Gaule;

33. Mais: c'est un ruisseau à l'onde limpide et calme, qu'un nom distingue à peine, quoique deux royaumes rivaux pressent ses bords verdoyans. Là, le berger oisif se penche sur son bâton noueux, et contemple les flots paisibles qui coulent entre des ennemis acharnés, car, aussi fier que le plus noble Duc, chaque paysan espagnol connaît bien la différence qu'il y a entre lui et l'esclave lusitain, le plus bas des esclaves12.

34. Mais, non loin de cette limite des deux peuples, la sauvage Guadiana roule dans sa course puissante ses vagues bruyantes et sombres, si souvent célébrées dans les anciennes ballades. Jadis, sur ses rives, des légions de Maures et de chevaliers revêtus d'armures brillantes, se rencontrèrent. Ici le guerrier agile fut frappé avec toute sa postérité; ici tombèrent le fort et le brave; les turbans musulmans et les casques chrétiens se mêlèrent dans les flots teints de sang et couverts des cadavres flottans des ennemis.

35. O belle Espagne, terre glorieuse et romantique! où est cet étendard que déploya Pélage quand le père perfide de La Cava appela pour la première fois les bandes d'Africains qui teignirent du sang de Goths les ruisseaux de tes montagnes13? Où sont ces sanglantes bannières qui guidèrent jadis tes enfans à la victoire, et chassèrent enfin ces Maures de tes rivages dévastés? La croix se couronna d'une auréole de feu et le croissant pâlit, tandis que les échos africains répétèrent les gémissemens des femmes de la Mauritanie.

36. Les pages de l'histoire et les romances nationales ne redisent-elles pas ces actions glorieuses? Ainsi voilà donc, hélas! le destin le plus beau du héros! Quand le marbre tombe en poussière, quand manquent les récits, les complaintes du peuple éternisent sa renommée fragile. Orgueil! abaisse ton regard du ciel sur toi-même; vois si l'homme illustre n'est pas immortalisé dans un chant populaire. Crois-tu que des livres, des colonnes, des monumens pourront sauver ta grandeur de l'oubli? ou crois-tu te confier au simple langage de la tradition, quand la flatterie dormira à tes côtés dans la tombe, et que l'histoire aura flétri ton nom?

37. Réveillez-vous, enfans de l'Espagne! réveillez-vous! accourez! Voilà la Chevalerie, votre ancienne déesse, qui vous appelle; mais elle ne brandit plus, comme autrefois, sa redoutable lance; elle n'agite plus dans les airs son rouge panache; elle vole sur la fumée des boulets enflammés, et sa voix se fait entendre par la voix de vos foudres qui tonnent; dans chaque explosion elle vous dit: «Réveillez-vous! aux armes!» Dites, sa voix serait-elle plus faible que jadis, lorsque son chant de guerre retentissait dans les plaines de l'Andalousie?

38. Silence! – N'entendez-vous pas le bruit menaçant de pas précipités? n'est-ce pas le cliquetis de la mêlée sur la bruyère? Ne voyez-vous pas ceux qu'a frappés la lame fumante du sabre? Ne sauverez-vous pas vos frères avant qu'ils soient tombés sous des tyrans et sous des esclaves de tyrans? – Les feux de la mort, les bombes enflammées ont brillé dans les airs, sur les hauteurs. – Chaque détonnation, retentissant de rochers en rochers, vous dit que des milliers de guerriers ne sont plus. La mort s'élève sur des vapeurs de soufre. La bataille sanglante frappe du pied la terre, et les nations en ont été ébranlées!

39. Regardez ce géant debout sur la montagne; sa chevelure rougie de sang se déploie au soleil; les flèches de la mort brillent dans ses mains ardentes, et son œil dévore tout ce qu'il rencontre; cet œil roule incessamment dans son orbite, et lance au loin de sanglans éclairs. À ses pieds d'airain rampe la destruction pour compter ses exploits; car c'est aujourd'hui, dès l'aurore, que trois puissantes nations vont se mesurer sur le champ de bataille pour verser sur les autels de cette divinité le sang, qui est sa plus agréable offrande.

40. Par le ciel! c'est un magnifique spectacle (pour celui qui n'a point là de frères ni d'amis) de voir les bannières rivales couvertes de broderies étincelantes, les armes variées qui éclatent dans les airs! Ne dirait-on pas des chiens de chasse qui sortent de leur tanière en grinçant leurs dents, croyant déjà tenir leur proie? Tous ces soldats vont suivre une chasse périlleuse, mais peu d'entre eux se partageront la dépouille. La tombe emportera la plus noble prise; et le carnage, dans sa joie, peut à peine compter le nombre de ses victimes.

41. Trois armées ennemies se réunissent pour offrir le sanglant sacrifice. Des prières étranges sont proférées dans trois langues différentes. Trois joyeux étendards flottent sous les cieux bleus et pâles; les cris de guerre sont: France, Espagne, Albion, Victoire! L'ennemi, la victime et le puissant allié qui tour à tour combat pour toutes les nations, mais jamais en vain, sont venus en présence, – comme s'ils n'avaient pu mourir sous leur toit paternel. – Ils vont nourrir les vautours dans la plaine de Talavéra, et fertiliser les champs qu'ils prétendent tous conquérir.

42. C'est là qu'ils deviendront la pâture des vers, ces dupes insensées de l'honneur et de l'ambition! Oui, l'honneur décore le gazon qui couvre leur poussière. – Vain sophisme! Je vois dans ces soldats les instrumens dociles que les tyrans sacrifient par milliers quand ils osent paver de cadavres humains la route qui les mène – où? – à un vain songe! Les despotes peuvent-ils faire aimer leur domination quelque part! peuvent-ils posséder avec confiance un seul coin de terre, excepté celui où ils iront enfin porter leurs ossemens poudreux près d'autres ossemens déjà réduits en poussière!

43. O Albuféra! champ de gloire et de douleur! quand Harold te parcourait à franc étrier, qui aurait pu prévoir que, dans si peu de jours, tu serais un théâtre où des ennemis viendraient se mêler et se défier dans une lutte sanglante! Paix à ceux qui ne sont plus! Puissent la récompense du guerrier et les pleurs du triomphe prolonger le prix du courage! jusqu'à ce que d'autres soldats aillent succomber où d'autres chefs les conduiront, ton nom, ô Albuféra! circulera dans la foule émerveillée, et il brillera dans des chants périssables et indignes de toi.

44. C'est assez des favoris de la guerre! Qu'ils jouent leur vie à ce jeu éblouissant, et l'échangent contre un peu de renommée. La renommée ne ranimera pas leur poussière éteinte, quoique des milliers d'individus succombent pour l'illustration d'un seul. En somme, il serait triste de détruire le noble but de ces heureux mercenaires qui pensent combattre et mourir pour leur patrie; eux qui, s'ils avaient vécu, auraient pu en devenir la honte! et auraient péri peut-être dans quelques obscures insurrections, ou dans une sphère encore plus étroite, en exerçant le vol sur les grands chemins.

45. Harold poursuit sa route solitaire, et arrive aux lieux où l'orgueilleuse Séville triomphe de n'être pas soumise. Elle est encore libre, cette proie si désirée de l'ennemi! Bientôt, bientôt la conquête posera sur elle son pied de feu, et imprimera sur ses beaux palais ses traces noires et dévorantes. Heure inévitable! – C'est en vain que l'on veut lutter contre la destinée, là où la destruction convoque sa troupe affamée14. Autrement, Ilion et Tyr seraient encore debout; et la vertu triompherait de tous les obstacles, et le meurtre cesserait de poursuivre ses prospérités.

46. Mais les habitans de Séville, ignorant le sort qui les menace, s'abandonnent aux fêtes, aux chants de joie et à la débauche. D'étranges modes de divertissement consument les heures fugitives; le cœur des patriotes ne saigne point des blessures de la patrie. Là ne retentissent point les clairons de la guerre, mais les sons de la guitare efféminée. La folie y rassemble encore ses esclaves; le libertinage aux yeux vifs et pleins du feu de la jeunesse, y fait encore ses rondes nocturnes; et, environné des crimes secrets qui se commettent dans toutes les capitales, le vice aimable règne jusqu'à la fin dans les murs chancelans de Séville.

47. Bien différent est l'habitant des campagnes. – Il n'ose, avec sa compagne tremblante, porter trop loin ses regards affligés, craignant de voir leurs vignes ravagées par le souffle noir et dévorant de la guerre; ils ne dansent plus le fandango en agitant leurs joyeuses castagnettes, à la clarté de l'étoile complice du soir. Ah! monarques! si vous pouviez goûter les joies que vous corrompez, vous n'iriez pas consumer vos jours à la poursuite de la gloire; le tambour rauque et sourd sommeillerait en paix, et l'homme pourrait connaître le bonheur.

48. Quels sont aujourd'hui les chants du robuste muletier? L'amour, la dévotion sont-ils les sujets de sa romance, pour égayer la longueur du chemin, au bruit sauvage des clochettes de sa mule? Non! il ne chante que ces mots sans cesse répétés: Viva el rey15! et il interrompt ce chant pour maudire Gaudoy, le roi Charles, le jour où la reine d'Espagne vit pour la première fois le garde aux yeux noirs, et la trahison hideuse qui naquit de son amour adultère.

49. Sur cette longue plaine unie, couronnée au loin par des rochers, où des tours moresques sont encore debout, la terre est sillonnée en tous sens par le pied des chevaux; et l'herbe noircie et brûlée par la flamme, dit que l'ennemi a été l'hôte de l'Andalousie. Ici étaient le camp, les feux de la garde et les postes avancés. Ici le hardi paysan enleva le nid du dragon; il montre encore ce lieu avec un orgueil triomphant, en indiquant ces rochers élevés qui furent souvent pris et repris dans la même journée.

50. Tous ceux que vous rencontrez sur le long des chemins portent sur leur tête la cocarde rouge, qui vous fait connaître ceux que vous devez fuir et ceux que vous pouvez aborder16. Malheur à celui qui voyage sans ce signe certain de loyauté; le poignard est aiguisé, et le coup est soudain; l'ennemi maudirait bientôt sa conquête, si les poignards subtils, cachés sous le manteau, pouvaient émousser le tranchant du sabre et braver la fumée des canons.

51. Les sombres hauteurs de la Moréna présentent à chaque défilé de lourdes batteries; et aussi loin que l'œil mortel peut atteindre, il aperçoit l'énorme obusier, les chemins coupés, la palissade hérissée, les fossés inondés, les postes stationnés, la sentinelle attentive, les magasins creusés dans la fente des rochers, les chevaux tout harnachés sous un abri de chaume, les boulets entassés en pyramides et la mèche toujours allumée17.

52. Présages sinistres d'événemens prochains; – mais celui dont un signe de tête a renversé de leurs trônes ébranlés de faibles despotes, s'est reposé un instant avant de lever sa verge de destruction; il daigne retarder d'un moment le combat fatal; bientôt ses légions s'ouvriront un passage à travers ces crêtes menaçantes: l'Occident deviendra le butin de ce fléau du monde. O Espagne, qu'il sera triste ce jour où le vautour des Gaules déploiera ses ailes dans son vol menaçant, et où tu verras tes enfans précipités en foule dans les ombres de la mort!

53. Sont-ils donc condamnés à succomber dans la lutte? Faut-il que ta fière et brave jeunesse soit sacrifiée pour satisfaire l'orgueil et l'ambition d'un chef sanguinaire? Il n'y a donc point de milieu entre l'esclavage et la tombe? entre les malheurs du pillage et la chute de l'Espagne? Le pouvoir que l'homme adore a-t-il ordonné sa ruine, et n'écoutera-t-il point son appel suppliant? Toutes les actions héroïques de la valeur désespérée seront donc vaines! et les conseils du sage, et le zèle du patriote, la prudence des vieillards, le feu de la jeunesse, et le cœur d'airain de l'âge mûr: tout sera donc vain?..

54. Est-ce aussi vainement que la vierge espagnole se sera levée, aura suspendu aux branches du saule son harmonieuse guitare, et, abjurant son sexe, épousé la hache d'armes, chanté le chant de guerre, et osé partager ses dangers? Celle que naguère l'apparence d'une blessure faisait pâlir, et que les cris du hibou glaçaient de frayeur, voit maintenant l'éclat des baïonnettes en colonnes mouvantes, l'éclair des sabres; et, foulant aux pieds les cadavres expirans, elle s'avance, comme Minerve, où Mars lui-même eût redouté de passer.

55. Vous qui serez saisis d'étonnement en apprenant son histoire, oh! si vous l'aviez connue dans des heures plus heureuses; si vous aviez admiré son œil noir, qui eût défié la noirceur de son voile; si vous aviez entendu ses accens si vifs et si légers dans les bosquets de l'amour; si vous aviez vu ses longs cheveux qui échappent au pouvoir du peintre; sa forme aérienne, avec une grâce au-dessus de son sexe; auriez-vous pu penser que la tour de Saragosse la verrait sourire un jour en face du danger le plus menaçant, éclaircir les rangs épais, et conduire la chasse redoutable de la gloire?

56. Son amant tombe; – elle ne répand point de larmes inutiles; son chef est tué; elle le remplace à son poste fatal; ses compagnons d'armes fuient; – elle s'oppose à leur lâche retraite. L'ennemi recule; – elle est en tête des vainqueurs: qui pourrait apaiser comme elle l'ombre d'un amant? Qui pourrait venger aussi bien la mort d'un chef? Quelle femme retrouverait l'espérance quand celle de l'homme s'est évanouie? Qui s'acharnerait si fièrement sur l'ennemi que la main d'une femme a mis en fuite devant des murs abattus par le feu des batteries18?

57. Les filles d'Espagne ne sont pas cependant d'une race d'amazones; mais elles sont formées pour tous les arts magiques de l'amour. Quoiqu'elles rivalisent de courage avec leurs frères dans les batailles, et qu'elles ne craignent pas de se mêler dans leurs redoutables phalanges, cette ardeur belliqueuse n'est que la tendre fureur de la colombe perçant de son bec la main qui menace de lui ravir son époux. Bien supérieure par sa douceur et par son courage aux femmes des autres contrées, renommées pour leurs frivolités verbeuses, l'Espagnole a une ame plus noble, plus sûre, et ses charmes sont peut-être aussi séduisans.

58. Cette fossette que le doigt arrondi de l'amour a imprimée sur son menton annonce toute la délicatesse de sa beauté19; ses lèvres, d'où les baisers sont prêts à s'envoler, rendent le jeune homme vaillant avant qu'il les mérite. Que son regard est fier et beau! Comme Phœbus, en caressant sa joue, a tenté vainement de lui faire perdre sa fraîcheur! Cette joue brille avec plus d'éclat en échappant de ses rayons amoureux. Qui voudrait lui préférer les pâles beautés du Nord? Que leurs formes semblent chétives, et qu'elles sont frêles et languissantes!

59. Dites-moi, vous, climats que les poètes aiment à chanter; dites-moi, vous, harems de cette contrée où j'élève maintenant la voix pour célébrer de loin des beautés qu'un cynique même serait forcé d'admirer; dites-moi si vous oseriez comparer vos houris à qui vous permettez à peine de respirer l'air pur des cieux, de crainte que l'amour ne vole sur les ailes du vent, avec les filles de l'Espagne aux yeux éblouissans et noirs? – Daignez donc reconnaître que nous trouvons dans leur patrie le paradis de votre sage prophète, ses vierges célestes aux yeux noirs et leur douceur angélique.

60. O toi, Parnasse20, que je découvre en ce moment, non dans le délire d'un rêve fantastique, non dans les régions fabuleuses d'un poème, mais élevant dans ton ciel natal ton front couronné de neige et de vapeurs, dans la pompe sauvage d'une majesté de montagne sublime! qui s'étonnera si j'essaie de te chanter? Le plus humble de tes pélerins passant près de toi voudrait-il ne pas réjouir tes échos de ses chants, quoique aucune muse aujourd'hui ne plane sur tes hauteurs?

61 Que de fois j'ai rêvé de toi, ô Parnasse! Qui ne connaît pas ton nom glorieux, ne connaît pas ce qu'il y a de plus divin dans la science de l'homme! Et maintenant que je te contemple, je rougis, hélas! de t'honorer avec de si faibles accens. Quand je pense à tes adorateurs du passé, je tremble, et je ne puis que fléchir le genou devant toi. Je n'ose élever ma voix, ni prendre un vain essor; mais j'admire ton dais de nuage, et je me réjouis en silence de penser qu'au moins je te contemple en réalité.

62. Plus heureux en cela que tant de grands génies, dont le sort fut confiné dans leurs contrées lointaines, verrai-je, sans être ému, ces lieux sacrés que d'autres s'évertuent à chanter sans les avoir jamais vus? Quoique Apollon ne fréquente plus sa grotte, et que toi, le séjour des muses, tu sois maintenant leur tombeau, quelque aimable génie pénètre encore ces lieux, soupire dans l'air, repose en silence dans la grotte, et glisse d'un pied transparent sur ces flots mélodieux.

63. À toi, plus tard. – Je me suis même écarté au milieu de mes chants pour te rendre mon hommage, oubliant l'Espagne, ses vierges, ses enfans, sa destinée chère à toute ame libre, et je t'ai salué, non peut-être sans verser une larme. Maintenant, à mon sujet. – Mais permets-moi d'emporter de ton séjour sacré quelque gage de souvenir; accorde-moi une feuille de la plante impérissable de Daphné, et ne souffre pas que l'espérance de celui qui t'est dévoué soit considérée comme une puérile vanité.

64. Mais, ô la plus belle des montagnes! jamais, quand la Grèce était jeune, tu n'as vu autour de ta base gigantesque un chœur si brillant; jamais quand sa prêtresse, embrasée d'un feu qui n'était point mortel, entonnait l'hymne pythien, jamais Delphes ne vit une troupe de jeunes vierges plus propres à inspirer les chants de l'amour que les vierges de l'Andalousie, élevées dans le sein brûlant du tendre désir. Oh! que ne leur est-il donné de paisibles ombrages, comme la Grèce peut encore en offrir, quoique la gloire ait abandonné son asile!

65. L'orgueilleuse Séville est belle; sa nation peut vanter sa force, sa richesse et sa haute antiquité21; mais Cadix, qui apparaît sur la côte lointaine, demande de plus flatteuses, mais de moins nobles louanges. O vice! que tes sentiers voluptueux sont séduisans! Quand le sang de la jeunesse agite les cœurs, qui peut se soustraire à la fascination de ton regard magique? Tu glisses autour de nous sous la forme d'un serpent à tête de chérubin, et tu sais varier pour tous les goûts ton aspect séduisant et trompeur.

66. Quand Paphos tomba, détruite par le tems, – tems maudit! la reine qui soumet tout à sa puissance, dut te céder aussi! – Les plaisirs prirent la fuite; mais ils cherchèrent un climat aussi doux; et Vénus, fidèle seulement à la mer, son berceau, daigna se réfugier en ces lieux, et établir ses autels dans la cité aux blanches murailles. Elle n'a pas circonscrit son culte dans un seul temple; mais, voués à ses cérémonies, mille autels lui sont consacrés, où brûle jour et nuit l'encens des sacrifices.

67. Du matin jusqu'à la nuit, et de la nuit jusqu'au matin, qui s'éveille en éclairant de ses rayons jaunissans la troupe joyeuse des plaisirs nocturnes, on entend des chants d'amour, on voit tresser des guirlandes de fleurs, inventer des jeux bizarres, des folies nouvelles. Celui qui vient se fixer à Cadix dit un long adieu aux jours paisibles. Rien n'interrompt les orgies bruyantes, quoique, au lieu de la véritable dévotion, l'encens monacal brûle seul sur les autels; l'amour et la prière s'unissent, ou se partagent les heures tour à tour.

68. Le jour du dimanche arrive; c'est le jour heureux du repos. Comment le sanctifie-t-on sur ce rivage chrétien? Regardez! il est consacré à une fête solennelle. Silence! – N'entendez-vous pas le mugissement du roi des forêts? Il brise les lances et se repaît du sang jaillissant des chevaux et des cavaliers renversés par ses cornes terribles. L'arène populeuse retentit d'appels à un nouveau combat. La foule insensée applaudit en voyant les entrailles fumantes; la beauté n'a pas détourné ses regards; elle n'a pas même affecté d'être émue.

69. C'est le septième jour, le jubilé de l'homme: Londres, tu connais bien ce jour de la prière. Alors ton bourgeois élégant, ton artisan, et ton apprenti, parés de leurs habits de fêtes, se hâtent d'aller respirer l'air de toute leur semaine; ton coche de Hackney, tes whiskys, tes cabriolets roulent rapidement à travers tes nombreux faubourgs; ils vont à Hampstead; à Brentford, à Harrow, jusqu'à ce que la haridelle épuisée de fatigue oublie de traîner la voiture, provoquant l'envieuse raillerie de chaque rustre qui passe à pied près d'elle.

70. Quelques-uns promènent sur ta Tamise tes beautés ornées de rubans; d'autres préfèrent la route royale, plus sûre; quelques-uns gravissent la colline de Richemont; d'autres se rendent à Ware: un grand nombre se hâtent d'aller au coteau de Highgate. Me demanderez-vous pourquoi, ombres de la Béotie22? C'est pour rendre un culte à la corne solennelle tenue par la main sacrée du mystère23. Les jeunes gens et les jeunes filles jurent par son nom redouté, et consacrent leur serment en buvant et en dansant jusqu'au matin.

71. Toutes les nations ont leurs folies; les tiennes ne ressemblent à aucune autre, belle Cadix, toi qui t'élèves majestueusement sur la mer sombre et bleue! Aussitôt que la cloche du matin à sonné neuf heures, tes dévots commencent à réciter leur rosaire; ils prient instamment la Vierge (la seule, je crois, qui soit vierge en ces lieux) de les purifier de crimes, aussi nombreux qu'elle a d'adorateurs; ensuite ils se portent à l'assemblée populeuse du Cirque. Le jeune homme, le vieillard, le riche et le pauvre aiment à se donner le même divertissement.

72. La lice est ouverte; l'arène spacieuse est devenue libre: des milliers de spectateurs sont entassés à l'entour. Bien long-tems avant que le premier son de la trompette sonore se soit fait entendre, il n'y a déjà plus de place pour ceux qui sont en retard. Là abondent les dons, les grandesses24, et surtout les dames habiles dans les manœuvres d'un œil fripon25, quoique toujours portées à guérir les blessures qu'elles ont faites; aucun amant n'est condamné à mourir de leur froid dédain, victime des traits de l'amour, comme s'en plaignent des bardes lunatiques.

73. Les bruyans murmures sont apaisés; – montés sur de beaux coursiers, portant sur la tête un blanc panache, aux pieds des éperons d'or, quatre cavaliers se préparent à d'aventureux exploits, et s'inclinent galamment en entrant dans la lice. Riches sont leurs écharpes brodées, et leurs montures se cabrent avec grâce. S'ils se distinguent aujourd'hui dans ce jeu périlleux, les bruyans applaudissemens de la foule et l'aimable sourire des dames seront leur récompense, comme pour de nobles actions; et tout ce que les rois et les chefs de guerre peuvent obtenir de plus glorieux, leurs jeux sanglans le leur procurent.

74. Revêtu d'habits brillans et d'un riche manteau, mais à pied, au milieu de l'arène, l'agile matador est impatient d'attaquer le roi des troupeaux mugissans. Mais avant de s'engager dans la lutte, il a traversé le cirque d'un pas prudent, de crainte que quelque chose d'inaperçu ne vienne arrêter sa course rapide. Son arme est un dard, et il combat de loin. L'homme ne peut davantage sans le fidèle coursier, hélas! souvent condamné à recevoir pour lui des blessures mortelles.

75. Trois fois a retenti le clairon; voyez! le signal est donné. L'antre sauvage s'ouvre, et l'attente muette veille attentivement dans les rangs pressés du cirque silencieux. L'animal puissant bondit au premier coup d'aiguillon, et, regardant d'une manière sauvage autour de lui, il frappe l'arène d'un pied retentissant, et il ne s'élance pas aveuglément sur son ennemi. Il porte de côté et d'autre son front menaçant, pour essayer sa première attaque; il bat ses flancs de sa queue irritée, et ses yeux enflammés roulent dans leur orbite agrandie.

76. Il s'arrête tout à coup; son regard est fixe. Loin, loin, jeune homme imprudent! Prépare ta lance: voici le moment de périr, ou de déployer cette adresse habile qui peut encore l'arrêter dans sa carrière sanglante. Les coursiers légers savent, par des bonds agiles, se détourner adroitement. Le taureau écume de rage; mais il n'échappe pas aux blessures. Un sang noir s'échappe par torrens de ses flancs; il fuit, se roule, s'agite furieux des traits qu'il porte enfoncés; les dards suivent les dards, les coups de lance se succèdent avec rapidité: il annonce ses souffrances par de profonds mugissemens.

77. Il revient; ni les dards, ni les lances ne peuvent l'arrêter, ni même les bonds impétueux des coursiers aux abois. Quoique l'homme l'attaque avec ses armes puissantes, les lances et la valeur sont vaines. Un cheval superbe, cadavre déchiré, est étendu sur l'arène; un autre, spectacle hideux! paraît ouvert, et son poitrail sanglant découvre les sources palpitantes de la vie; quoique blessé à mort, il traîne encore ses membres affaiblis, et chancelant, mais surmontant tous les obstacles, il sauve son maître du danger.

78. Vaincu, sanglant, haletant, furieux jusqu'à la fin, le taureau reste debout au centre de l'arène, exposé aux blessures des dards et des lances brisées qui pleuvent sur lui. Ses ennemis sont hors de combat. C'est l'instant où les matadors se pressent autour de lui, en agitant leur manteau rouge, et en balançant leur javelot léger. Une fois encore il s'ouvre un terrible passage. Vaine fureur! Le manteau quitte la main perfide, enveloppe ses yeux terribles. – C'en est fait! – il roule étendu sur l'arène.

79. À l'endroit où sa vaste encolure se joint à l'épine vertébrale le fer terrible du javelot reste enfoncé comme dans son fourreau. Il s'arrête; il frémit, – dédaignant de reculer; il tombe lentement, au milieu des cris de triomphe, et il meurt sans pousser un gémissement et sans convulsions. Le char décoré s'avance; – on y entasse son corps, – doux spectacle pour les regards du vulgaire. – Quatre chevaux, que peuvent à peine retenir les rênes, entraînent la lourde et noire masse, qui passe au milieu de la foule, presque inaperçue.

80. Tel est le divertissement cruel qui rassemble souvent les jeunes Espagnoles, et réjouit le berger, nourri dès sa jeunesse dans l'habitude des jeux sanguinaires. Son cœur se délecte dans la vengeance, et il regarde avec plaisir les peines des autres. Que de querelles domestiques ensanglantent les villages effrayés! Quoique des phalanges nombreuses se soient réunies contre l'ennemi, hélas! il reste encore assez d'Espagnols dans les chaumières pour méditer contre des amis de secrètes blessures, excités par des ressentimens légers qui doivent faire couler des flots de sang.

81. Mais la jalousie a fui de ces rivages: les barreaux, les verroux, la sentinelle au teint jaune, sage et vénérable duègne! et tout ce qui fait révolter une ame généreuse comme les moyens qu'employait un farouche et vieil époux en se croyant permis de renfermer l'objet de ses terreurs, ont disparu dans l'ombre du passé avec le dernier siècle. Quelles femmes sont plus libres qu'étaient les jeunes Espagnoles avant que la guerre, comme un volcan furieux, eût déployé sa rage, lorsqu'on les voyait, les cheveux tombant en tresses légères, jouer sur le vert gazon, tandis que la reine des nuits éclairait de ses rayons protecteurs la danse folâtre et animée de l'amour?

82. Oh! que de fois Harold avait aimé, ou rêvé qu'il aimait, puisque les plus vifs ravissemens de l'amour ne sont qu'un rêve! mais maintenant son cœur chagrin n'était plus ému. Il n'avait cependant pas encore bu de l'onde du Léthé, et il avait appris depuis peu à croire véritablement que l'amour n'avait rien de plus précieux pour lui que ses ailes; quelque beau, quelque jeune, quelque aimable qu'il paraisse, il s'échappe toujours des sources délicieuses du plaisir quelque chose d'amer qui répand son venin sur les fleurs les plus ravissantes26.

83. Cependant il n'était point aveugle aux attraits séduisans de la beauté, mais ces attraits n'avaient pas sur lui plus d'empire que sur le sage. Non que la philosophie eût jamais daigné faire descendre sur une ame comme la sienne, ses chastes et sévères inspirations; mais dans son délire, la passion finit par se calmer ou s'éteindre. Et le vice, qui creuse lui-même sa tombe de voluptés, avait depuis longtems enseveli pour jamais toutes ses espérances. Pâle victime du plaisir! les noirs souvenirs d'une vie abhorrée avaient empreint sur son front livide la malédiction qui poursuivait incessamment Caïn.

84. Spectateur étrange du monde, il ne se mêlait point avec la foule; mais il n'avait point pour elle une haine misanthropique. Peut-être qu'il eût encore aimé parfois à prendre part à la danse et aux chants de la joie; mais peut-il sourire, celui qui succombe sous le poids de sa destinée? Rien de tout ce qu'il voyait ne pouvait dissiper sa tristesse. Un jour pourtant, il lutta contre l'empire de son mauvais génie; et comme il était livré à la méditation dans le boudoir d'une beauté, il laissa échapper de sa lyre ce chant improvisé, qui célébrait des charmes aussi séduisans que ceux qu'il avait admirés dans des jours plus heureux.

À INÈS.

I.

Non, ne souris point à mon front soucieux, car, hélas! je ne puis te rendre ton sourire; que le ciel te préserve de jamais verser des larmes, et de jamais pleurer en vain!

II.

Tu me demandes quelle secrète douleur dévore ma joie et ma jeunesse? Veux-tu vainement chercher à connaître une tristesse que tu échouerais à calmer?

III.

Ce n'est point l'amour, ce n'est point la haine, ni les honneurs perdus de la basse ambition, qui me font maudire ma destinée présente, et fuir loin de tout ce que j'avais de plus cher.

IV.

C'est cette lassitude qui naît pour moi de tout ce que je vois, de tout ce que j'entends. La beauté ne m'inspire même aucun plaisir; tes yeux ont à peine un charme pour moi.

V.

C'est cette sombre, intime et continuelle tristesse que portait en lui cet Hébreu fugitif. Je ne veux point regarder au-delà de la tombe: il ne me reste aucune espérance avant que d'y descendre.

VI.

Quel exilé peut se fuir lui-même? Sous les zones les plus éloignées, partout où je porte mes pas, je suis poursuivi par l'orage de ma vie, par un démon, – ma pensée!

VII.

Que d'autres croient se livrer au plaisir, et goûtent de tout ce que j'abandonne; ah! qu'ils rêvent à jamais cet enchantement, et que leur réveil ne ressemble pas au mien!

VIII.

Ma destinée est d'errer dans mille contrées diverses; emportant avec moi des souvenirs maudits, toute ma consolation est de savoir, quel que soit le malheur qui me frappe, que j'ai déjà connu le plus amer.

IX.

Quel est-il? oh! ne me le demande pas! Par pitié, crains de m'interroger: continue de sourire. – Ne cherche point à dévoiler le cœur de l'homme, et à découvrir l'enfer qui s'y trouve!

85. Adieu, belle Cadix! oui, adieu pour longtems! Qui peut oublier ta courageuse résistance? Quand tout, autour de toi, changeait de maître, toi seule tu restas fidèle. Tu fus la première à conquérir ta liberté, et la dernière à être vaincue; et si, au milieu de ces scènes si fortes, de ce choc si rude, le sang de quelques-uns de tes citoyens a coulé dans tes rues, un traître seul tomba sous le poignard27: là, tous furent nobles, excepté la noblesse elle-même; nul ne baisa le char du conquérant, excepté la Chevalerie dégénérée.

86. Tels sont les enfans de l'Espagne; que leur destinée est étrange! Eux qui ne furent jamais libres combattent pour la liberté; peuple sans roi, qui meurt pour un état sans vigueur; quand les grands fuient, les vassaux combattent, fidèles aux plus lâches esclaves de la trahison, en chérissant une patrie qui ne leur donna rien que la vie. L'orgueil leur montre le chemin qui les mène à la liberté. Repoussés, dans les batailles, vaincus dans toutes les luttes, «la guerre! la guerre! s'écrient-ils encore; la guerre, même au couteau!28»

87. Vous, qui voulez connaître l'Espagne et les Espagnols, allez lire leur histoire gravée partout en traits de sang. Tout ce que la vengeance la plus cruelle, animée contre un ennemi étranger, peut accomplir, est là employé contre la vie de l'homme. Depuis l'étincelant cimeterre jusqu'au poignard caché, la guerre se sert de toutes ces armes pour ses terribles luttes. – Puisse-t-elle sauver la sœur et l'épouse, et verser ainsi le sang de tous les oppresseurs! puissent tous les conquérans éprouver partout une pareille résistance!

88. Ne s'échappe-t-il point des yeux une larme de pitié pour ceux qui ne sont plus? Voyez le ravage de ces plaines encore fumantes; voyez les mains des femmes rougies du sang de l'ennemi; qu'on livre aux chiens les cadavres inensevelis, ou que chaque corps serve de pâture au vautour. Quoique indignes de l'oiseau de proie, que leurs ossemens blanchis et la trace ineffaçable du sang marquent à jamais le champ de bataille de vestiges hideux; c'est ainsi seulement que nos enfans pourront croire aux scènes dont nous avons été témoins!

89. Et pourtant, hélas! l'œuvre terrible n'est point encore achevé. De nouvelles légions débordent des Pyrénées; à peine a commencé la marche grandissante des invasions, et nul œil mortel n'en peut considérer la fin. Les nations abattues contemplent l'Espagne; si elle s'affranchit, elle affranchira plus de bras que Pizarre autrefois n'en avait enchaîné: étrange loi du sort! La félicité de la Colombie répare les injustices que subirent les enfans de Quito, tandis que sur la mère-patrie le meurtre avide de carnage est déchaîné.

90. Ni tout le sang versé à Talavéra, ni les merveilles de la bataille de Bassora, ni Albuféra où la mort fut prodigue de victimes, n'ont pu conquérir à l'Espagne ses droits sacrés. Quand l'olivier fleurira-t-il dans ses champs? Quand respirera-t-elle de ses sanglans travaux? Combien de jours d'alarmes s'évanouiront-ils dans la nuit, avant que le ravisseur français abandonne sa dépouille, et que l'arbre étranger de la liberté soit naturalisé dans ses campagnes!

91. Et toi, mon ami29! puisqu'une vaine douleur s'échappe de mon ame, et vient se mêler à mes chants, si du moins l'épée t'avait fait succomber avec les braves, l'orgueil pourrait empêcher l'amitié de se plaindre. Mais descendre ainsi sans laurier dans la tombe, oublié de tous, excepté de ce cœur solitaire, et te mêler sans blessures avec les ombres de ceux qui sont morts glorieusement, tandis que la renommée célèbre tant d'êtres si indignes! Qu'as-tu fait pour descendre si paisiblement dans la tombe?

92. O le plus ancien et le plus estimé de mes amis! toi qui fus toujours aimé d'un cœur à qui on avait enlevé toutes ses affections; quoique tu sois à jamais perdu pour mes jours sans espoir, ne te refuse pas à venir me visiter dans mes songes! La tristesse renouvellera en secret les larmes de la conscience se réveillant à ses douleurs, et mon imagination planera sur ton cercueil inanimé, jusqu'à ce que mon corps fragile retourne à la poussière dont il a été formé, et que l'ami regretté et celui qui le pleure se réunissent dans le séjour du repos.

93. Voilà un chant du pélerinage d'Harold; vous qui voulez chercher à le connaître davantage, vous en aurez des nouvelles dans quelques pages futures, si celui qui a rimé celles-ci ose encore écrire. Sévère critique, ne dis pas: C'est déjà trop! Patience! et vous entendrez le récit de ce que vit notre pélerin dans d'autres contrées où il fut condamné à errer; contrées qui renfermaient les monumens de l'antiquité avant que la Grèce et les arts grecs eussent été asservis par des mains barbares.

6

Le petit village de Castri occupe, en partie l'ancienne situation de Delphes. On trouve le long de la montagne, en revenant de Chryssa, les restes de sépulcres creusés dans le roc, ou construits avec des blocs de rochers. «Un de ces tombeaux, me dit mon guide, est celui d'un roi qui se cassa le cou en chassant.» Sa Majesté avait certainement choisi le lieu le plus convenable pour une telle mort.

Un peu au-dessus de Castri, il y a un antre que l'on suppose être celui de la Pythie; il est d'une immense profondeur. Sa partie supérieure est pavée, et sert maintenant d'écurie.

Sur l'autre côté de Castri, est bâti un monastère grec; quelques pas au-dessus duquel on voit une ouverture dans le rocher, avec un rang de cavernes d'un accès difficile, qui paraissent conduire dans l'intérieur de la montagne, probablement jusqu'à la caverne Corycienne mentionnée par Pausanias. C'est de cet endroit que descend la fontaine ou les «sources de Castalie.»

7

Mountain-moss. M.A.P. a traduit: la tourbe des montagnes. Avis aux géologues, qui ne connaissaient probablement jusqu'ici que la tourbe des marais.

8

Le couvent de Notre-Dame-du-Châtiment (Nossa Senhora da Penha223), situé sur le sommet du rocher. Au bas, à quelque distance, est le Couvent du Liège, où saint Honorius creusa sa grotte, au-dessus de laquelle on voit son épitaphe. Du haut de ces collines, la mer ajoute à la beauté de la perspective.

9

C'est un fait bien connu que, dans l'année 1809, des assassinats commis par les Portugais dans les rues de Lisbonne et dans les environs n'étaient pas seulement bornés à leurs concitoyens: des Anglais étaient journellement égorgés, et, au lieu de pouvoir obtenir la répression de ces délits, il nous fut recommandé de ne point intervenir dans les rixes de nos compatriotes avec leurs alliés. Je fus attaqué une fois dans la rue en allant au théâtre, à huit heures du soir, heure à laquelle les rues sont ordinairement plus remplies de monde qu'à toute autre heure de la journée; c'était devant une boutique ouverte, et j'étais en voiture avec un ami: si malheureusement nous n'avions pas été armés, nous aurions, sans aucun doute, fourni une anecdote, au lieu de la raconter nous-mêmes. Le crime de l'assassinat ne se borne pas au Portugal: en Sicile et à Malte, on nous assomme, nous autres Anglais, pendant la nuit; et on ne voit jamais punir un Sicilien ou un Maltais.

10

La convention de Cintra fut signée dans le palais du marquis de Marialva. Les derniers exploits de lord Wellington ont effacé les folies de Cintra. Il a fait des merveilles: il a peut-être changé le caractère d'une nation, réconcilié des superstitions rivales, et battu un ennemi qui n'avait jamais reculé devant ses prédécesseurs.

11

L'étendue de Mafra est prodigieuse; il contient un palais, un couvent et une superbe église. Les six orgues sont les plus belles que j'aie jamais vues pour la décoration. Nous ne les entendîmes point; mais on nous dit que leurs sons répondaient à leur splendeur. On nomme Mafra l'Escurial du Portugal.

12

Comme j'ai trouvé les Portugais, je les ai caractérisés. Qu'ils aient gagné depuis, au moins en courage, cela est évident.

13

La fille du comte Julien, l'Hélène de l'Espagne. Pélage conserva son indépendance dans les gorges des Asturies, et les descendans de ses compagnons, quelques siècles après, complétèrent leurs succès par la conquête de la Grenade.

14

Famished brood. M.A.P. traduit: son engeance famélique.

15

«Viva el rey Fernando!» Vive le roi Ferdinand! c'est le refrain de la plupart des chansons patriotiques des Espagnols; elles sont principalement dirigées contre le vieux roi Charles, la reine et le prince de la Paix. J'en ai entendu plusieurs d'entre elles; quelques-uns des airs sont fort beaux. Godoy, le prince de la Paix, est né à Badajoz, sur les frontières du Portugal. Il fut primitivement dans les gardes espagnoles jusqu'à ce qu'il eut attiré les regards de la reine, et qu'elle l'eut élevé au duché d'Alcudia, etc., etc. C'est à cet homme que les Espagnols imputent universellement la ruine de leur patrie.

16

La cocarde rouge avec le nom de Ferdinand au milieu.

17

Tous ceux qui ont vu une batterie se rappelleront la forme pyramidale dans laquelle sont entassés les bombes et les boulets. La Sierra Morena était fortifiée dans tous les défilés par où je passai pour aller à Séville.

18

Tels furent les exploits de la fille de Saragosse. Quand l'auteur était à Séville, elle se promenait journellement au Prado, portant les décorations et les médailles que la junte lui avait données.

19

Sigilla in mento impressa amonis digitulo Vestigio demonstrant mollitudinem.

(Aul. Gell.)

20

Ces stances furent écrites à Castri (Delphes), au pied du Parnasse, appelé maintenant Λιαχυρα, Liakura.

21

Séville était l'Hispalis des Romains.

22

Ceci fut écrit à Thèbes, et par conséquent dans la meilleure situation possible pour demander une réponse à cette question, non pas comme la patrie de Pindare, mais comme la capitale de la Béotie, où la première énigme fut proposée et résolue.

23

Fête de la corne emblématique, redoutée des maris.

24

Titres que prennent les nobles en Espagne.

25

Roguish eye.

26

Medio de fonte leporum

Surgit amari aliquid quod in ipsis floribus angat.


(Lucr.)

27

Allusion à la conduite et à la mort de Solano, gouverneur de Cadix.

28

«La guerre au couteau!» réponse de Palafox à un général français au siége de Saragosse.

29

L'honorable J. W., officier aux gardes, qui mourut de la fièvre à Coïmbre. Je l'ai connu dix ans, la meilleure partie de sa vie, et la plus heureuse de la mienne.

Dans le court espace d'un mois, j'ai perdu celle qui m'avait donné l'existence, et la plupart de ceux qui me l'avaient rendue tolérable. Les vers suivans de Yung ne sont point pour moi une fiction.

Insatiable archer! Un ne te suffisait-il pas? Ta flèche part trois fois, et trois fois me perce le cœur; trois fois, avant que la lune eût rempli trois fois son croissant.

J'aurais dû consacrer quelques vers à la mémoire de Charles Skinner Matthews, agrégé du collége Downig à Cambridge, s'il n'avait pas été trop au-dessus de mes louanges. Les facultés de son esprit se sont montrées dans l'obtention des plus grands honneurs, contre de très-habiles candidats de Cambridge. Ces honneurs ont établi sa réputation où ils furent acquis; tandis que ses douces qualités vivent dans le souvenir de ses amis, qui l'aimaient trop pour lui envier sa supériorité.

Œuvres complètes de lord Byron, Tome 3

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