Читать книгу Cadio - George Sand - Страница 8

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LA KORIGANE, (s'écriant.) Tiens, Cadio! (Cadio jette un regard indifférent sur elle et présente au comte une quenouille ornée de rubans roses.)

LE COMTE, surpris. Que me voulez-vous?

CADIO, (simplement.) Moi, monsieur? Rien! on m'a dit de vous donner cette chose-là, je vous la donne.

RABOISSON, (voulant prendre la quenouille.) Tu t'es trompé, mon ami, c'est pour ces dames!

CADIO, (défendant la quenouille.) Non pas, non pas! On m'a dit: «Donne la quenouille à ce monsieur;» je fais ce qu'on m'a commandé.

LE COMTE, (prenant la quenouille.) Qui vous a commandé cela?

CADIO, (montrant Sapience, qui s'est mis à la tête du groupe. Il est habillé en paysan.) Dame, c'est lui! je ne le connais pas plus que les autres.

LE COMTE, (à Sapience.) Approche donc, misérable, que je te brise ton présent sur la figure!

SAINT-GUELTAS, (le retenant et riant sous cape.) Arrêtez, monsieur, c'est notre...

SAPIENCE, (l'air inspiré et emphatique.) Inutile de le dire, M. le comte voit bien que je tends la joue!

LE COMTE, (le regardant avec surprise.) Un paysan... le fouet en bandoulière, le sac à farine sur l'épaule... J'y suis! c'est le signe de ralliement adopté par des hommes dont le ministère de paix et de charité s'accorde mal avec de pareilles provocations! Je respecte votre caractère, monsieur, et c'est à ceux qui emploient un personnage inviolable pour m'adresser le plus sanglant outrage que je renvoie le reproche de lâcheté. Est-ce vous, monsieur le marquis de la Roche-Brûlée?

SAINT-GUELTAS. Non, monsieur, je vous aurais présenté le défi moi-même. C'est le conseil de l'armée catholique qui, malgré moi, a chargé M. le... M. Sapience, nous l'appelons ainsi, de vous offrir, en cas de refus...

LE COMTE (montrant Cadio.) Et celui-ci... est-ce aussi un ministre?...

SAPIENCE. Non; c'est un pauvre idiot que nous avons ramassé sur les chemins et qui ne sait ce qu'il fait. Ne lui en veuillez pas. Aucun de nous ne se fût senti le courage d'infliger en personne un châtiment aussi cruel à un homme jusqu'ici respectable et pur; mais les ordres étaient formels, et je devais obéir à mon évêque.

LE COMTE. Quel évêque? Son nom!

SAPIENCE. Monseigneur l'évêque d'Agra.

RABOISSON, (bas, à Saint-Gueltas.) Qu'est-ce que c'est que ça? un évêque de ta façon?

SAINT-GUELTAS, (bas.) Ça fait très-bien. Silence! (Au comte qui tient toujours la quenouille.) Eh bien, vous la gardez, monsieur le comte? C'est trop d'héroïsme et de fierté!

LOUISE, (tremblant de colère.) Oh! oui, mon père, c'est trop!

LE COMTE, (vaincu par l'élan de sa fille.) Je devrais pousser jusque-là le respect de ma parole; mais ce serait rompre avec ma religion, et Dieu me délie! (Il place la quenouille dans une panoplie au-dessus de la cheminée et s'adresse à Louise.) Nous laisserons cela ici, ma fille, et, si Henri revient, il verra l'humiliation que j'ai subie avant de me décider à rompre vos fiançailles. Il sert la République, lui, et il la sert de bonne foi. Il apprendra qu'il n'y a plus d'accord possible entre les partis; on l'a dit ici tout à l'heure, il n'y a plus d'avenir, plus de repos, plus de liens de coeur, plus de famille! Ah! Louise! que vas-tu devenir, mon enfant!

LOUISE. Vous partez, mon père? (Montrant les insurgés.) Avec eux?

LE COMTE, (à Saint-Gueltas.) Oui, me voilà. Laissez-moi m'occuper d'un refuge pour ma famille.

LOUISE. Je vous suivrai, ma place est auprès de vous!

SAINT-GUELTAS, (avec un cri de joie.) Vive mademoiselle de Sauvières! (Tous crient en agitant leurs chapeaux. Cadio reste isolé et regarde Louise sans crier.)

MACHEBALLE, (le secouant.) Crie donc aussi, sauvage!

SAPIENCE, (à Mâcheballe.) Laissez-le donc, c'est un fou! (Ils vont au fond et parlent avec les autres.)

LA KORIGANE, (à Cadio, qui regarde toujours Louise.) Eh bien, Cadio? Cadio! est-ce que tu ne me reconnais pas?

CADIO. Toi? Si bien!

LA KORIGANE. Et voilà tout ce que tu me dis? Tu ne t'es donc pas fait prêtre?

CADIO, (sortant comme d'un rêve.) Ah! oui, bonjour! (Il s'en va.)

LA KORIGANE. Il a l'esprit tout à fait dérangé! Pauvre Cadio!

SAINT-GUELTAS, (aux fond, aux insurgés.) Allons, mes gars, gagnez les bois, je vous suis. (Montrant le comte et ses amis.) Nous vous suivons tous! Je vous l'avais bien dit, que personne ne resterait céans! Non, personne en Vendée ne se croisera plus les bras quand Dieu et le roi commandent.

TOUS, (criant.) Vive le roi et Saint-Gueltas!

SAINT-GUELTAS. Non, non: vive le roi et Sauvières!

TOUS, (sortent en criant.) Vive Sauvières et Saint-Gueltas! (Le chevalier, électrisé, sort avec eux. Stock fait de même.)

SAINT-GUELTAS, (à Mâcheballe resté le dernier.) Monte la tête aux gens de la paroisse! Il ne faut pas que Sauvières se ravise!

MACHEBALLE. N'ayez peur! on leur z'y chauffera le sang! (Il sort.)

SCÈNE VIII.--SAINT-GUELTAS, LE COMTE, LA TESSONNIÈRE, RABOISSON. (On entend encore au dehors les cris de «Vive Sauvières et Saint-Gueltas!»)

SAINT-GUELTAS, (à Louise.) Vous l'entendez, nos deux noms ne font plus qu'un seul cri de guerre. (Au comte.) Vous feriez bien, monsieur le comte, de vous montrer à notre campement. Vos cheveux blancs et la présence de mademoiselle de Sauvières enflammeraient l'ardeur de nos gens. C'est de l'enthousiasme, c'est du prestige qu'il faut à ces âmes simples!

LE COMTE. Monsieur le marquis, vous n'obtiendrez pas que je me porte avec vous à l'attaque de Puy-la-Guerche. C'est assez d'abandonner cette malheureuse ville, je ne vous la livrerai pas. Vous avez ma parole. Dites-moi en quel lieu et quel jour j'aurai à vous rejoindre après que vous aurez fait ce coup de main.

SAINT-GUELTAS. Ce ne sera pas long, nous ne gardons pas les pays conquis; nous portons la terreur et le châtiment de ville en ville. Ce soir, nous surprenons Puy-la-Guerche; demain, nous serons à Buzanays.

LE COMTE. J'y serai aussi.

SAINT-GUELTAS. Il faudrait vous mettre en route sur-le-champ... autrement, les républicains viendront s'opposer à votre départ.

LE COMTE, (tristement.) C'est-à-dire à ma fuite! Je fuirai, monsieur, et sans tarder!

SAINT-GUELTAS, (bas, à Louise.) Vous ne craignez pas que votre père ne revienne sur sa décision? Elle lui coûte beaucoup!

LOUISE. Vous avez sa parole... et la mienne! A demain, monsieur!

SAINT-GUELTAS, (tendrement.) A demain! (à part) ou à tout à l'heure!

LE COMTE, (le saluant.) Au revoir, monsieur le marquis!

SAINT-GUELTAS. Au revoir, monsieur le comte! (Il le salue profondément, regarde Louise avec passion, baise le brassard et se retire en faisant signe à Raboisson, qui le suit.)

LE COMTE, (à Mézières.) Fais tout préparer pour le départ. Il faut que nous soyons hors d'ici dans une heure. (Mézières sort.)

LA TESSONNIÈRE. Dans une heure! vous n'aurez pas le temps d'emporter vos meubles. Songez donc que les républicains viendront piller ici dès qu'ils sauront la folie que nous faisons!

LE COMTE. Ils feront peut-être pis!--Ah! ma fille! dis adieu à ton berceau!

LOUISE. Je suis résignée à tout, mon père! J'ai tout prévu; et pardonnez-moi la fièvre de joie que je ressens. Enfin vous voilà rendu à vous-même! (Elle l'embrasse.) Nous ne ferons plus qu'une âme et un coeur...

LE COMTE. Et Henri!... tu ne songes pas à lui?

LOUISE. Votre exemple le décidera. En apprenant vos dangers, il accourra pour vous couvrir de son corps... S'il ne le faisait pas, je le mépriserais!... Ah! c'est Dieu qui le veut, allez! Partons, partons! je vais donner des ordres.

LA TESSONNIÈRE. Songez à une voiture... On me permettra bien de marcher avec les femmes... pour les défendre?

LOUISE. Je monterai à cheval, mon ami; vous, vous irez en voiture avec ma tante.

ROXANE, (entrant.) Où donc?

LOUISE. A la guerre! Réjouissez-vous, nous servons le roi! nous nous sommes déclarés, nous partons!

ROXANE. Ah! vive-Dieu! embrassez-moi, mon frère! Oui, oui! la guerre, le mouvement, la poudre, le danger, le triomphe! Vous serez généralissime en Vendée, et maréchal de France quand le roi sera proclamé.

LE COMTE. Tâchez de garder vos illusions, ma soeur, et de ne pas perdre la tête au premier revers!

ROXANE. Bah! le courage n'est pas nécessaire quand tant de braves gens en ont à notre place! La France entière va se lever. Toute l'Europe est avec nous. Dans un mois, dans six semaines peut-être, le jeune roi sera aux Tuileries,--et nous aussi.--Quand partons-nous?

LE COMTE. Sachons d'abord où vous irez. En Bretagne, on est redevenu tranquille...

LA TESSONNIÈRE. Ah! on est tranquille par là?

ROXANE. Mais je ne veux pas être tranquille, moi! Je veux me battre, je serai Jeanne d'Arc, et Saint-Gueltas sera mon Dunois, mon aide de camp.

LE COMTE. Prenez garde que Saint-Gueltas ne devienne trop votre général, ma soeur, et songez à gagner Guérande, où nous avons des parents.

ROXANE, (Mézières rentre.) Guérande? Soit! C'est une bonne ville, une place de guerre imprenable, où tout le monde pense bien. On se voit beaucoup; Louise, il faudra emporter de la toilette.

LE COMTE. N'emportez rien. Vos femmes vous rejoindront avec vos effets. Vous partez sans bruit dans cinq minutes.

ROXANE. Dans cinq minutes! faite comme me voilà!

LE COMTE. Croyez-vous aller à une partie de plaisir?

ROXANE. Mais...

LE COMTE. Il le faut, et je le veux!

ROXANE. Allons! pour le roi, je suis prête à tous les sacrifices. Je sortirai en robe d'indienne!

LE COMTE, (bas.) Prenez de l'argent. (A la Tessonnière, qui reste comme hébété.) Allons, préparez-vous, mon ami! (Roxane sort.)

LA TESSONNIÈRE. Oui, oui, certainement! mais... où coucherons-nous ce soir?

LE COMTE. Où vous pourrez. Vous gagnerez vite le pays insurgé. Mézières saura vous diriger.

LA TESSONNIÈRE. Mais souper! où soupera-t-on?

LE COMTE. Nulle part; vous achèterez du pain en courant.

LA TESSONNIÈRE. Oh! mon Dieu, c'est le martyre, je le vois bien!

LOUISE. Allons, allons, du courage, mon ami!

LA TESSONNIÈRE, (sortant.) C'est le martyre, je vous dis que c'est le martyre! (Il sort.)

LE COMTE. Toi, Louise...

LOUISE. Moi, je ne vous quitte pas.

LE COMTE. Tu le veux! Aurais-je du courage en te voyant partager mes souffrances?

LOUISE. Je ne souffrirai de rien, pourvu que je ne vous quitte pas.

LE COMTE. Ah! si Henri était là!... Mais je ne puis te confier à ma soeur et à la Tessonnière; ce sont deux enfants!... (A Mézières, qui entre.) Tout est prêt?

MÉZIÈRES. Oui, monsieur le comte, mais je crains qu'aucun de nous ne soit libre d'aller où vous le souhaitez.

LE COMTE. Comment cela?

MÉZIÈRES. Vos paysans sont comme des septembriseurs! Ils veulent marcher à Puy-la-Guerche; ils disent que vous n'irez pas ailleurs aujourd'hui.

LE COMTE. En vérité? Ils sont fous! Mais qui vient là? (Il fait signe à Louise, qui rentre dans son appartement.)

SCÈNE IX.--Les Mêmes, le Moreau, entrant; MÉZIÈRES, sortant.

LE MOREAU. C'est moi, monsieur! D'où vient que, depuis une heure, nous sommes retenus prisonniers dans la cour de votre donjon?

LE COMTE. C'était pour votre sûreté, messieurs. Ignorez-vous ce qui se passe?

LE MOREAU. J'ignore ce qui s'est passé entre les brigands et vous; mais je sais que, quand ils sont entrés ils n'étaient qu'une vingtaine, et qu'avec vos gens vous pouviez les écraser. Vous les avez laissés se réunir chez vous, et ils en sont sortis en criant: «Vive Sauvières et Saint-Gueltas!»

LE COMTE, (blessé.) Que ne leur imposiez-vous silence, vous?

LE MOREAU. Entouré de gens à demi morts de peur, certain d'être trahi par vous, que pouvais-je faire?

LE COMTE. Trahi? Vous ai-je livré?

LE MOREAU. Alors, expliquez-vous, monsieur; je ne me contenterai pas de réponses évasives.

LE COMTE. Vous le prenez bien haut, monsieur; vous oubliez...

LE MOREAU. Je n'oublie pas que je suis chez vous, et que vous pouvez me faire jeter par les fenêtres comme faisaient vos bons aïeux quand les petits gens de ma sorte se permettaient de raisonner. Ce n'est pas Rebec et ses pareils qui me défendraient, ils sont cachés sous les bottes de paille de vos greniers; mais, quoi qu'il arrive, je ferai mon devoir; il me faut la vérité, et je vous somme de me la dire.

LE COMTE, (irrité.) Vous me sommez... (Devant la courageuse attitude de Le Moreau, il se trouble et il se tord les mains en silence.)

LE MOREAU. Eh bien, monsieur?

LE COMTE. Eh bien!... il est vrai, je me sépare de vous.

LE MOREAU. Au moment du danger?

LE COMTE. Le danger est égal de part et d'autre, et, d'ailleurs...

LE MOREAU. Ne répliquez pas, monsieur, la vérité vous écrase. Ah! la noblesse! voilà comme toujours la récompense de nos alliances avec elle, de notre confiance dans ses protestations de civisme, de notre engouement imbécile pour ses détestables séductions! C'est ainsi que, spéculant sur notre candeur, elle nous berne et nous crache au visage! Ah! bourgeois, pauvres dupes, pauvres sots que nous sommes! nous méritons bien ce qui nous arrive. Ceci servira de leçon à quelques-uns, j'espère; mais ceux de nous qui vous eussent épargnés vont devenir atroces d'indignation et de vengeance: ce sera vous qui l'aurez voulu, messieurs les traîtres! Malheur à vous! nous accepterons le règne de la terreur plutôt que votre amitié perfide. Pour ma part, je sors d'ici en secouant la poussière de mes pieds, comme d'un lieu maudit où le canon républicain fera bien de ne pas laisser pierre sur pierre. (Il sort.)

LE COMTE. Insolent!... non, honnête homme! O mon Dieu! qu'ai-je fait? et où m'entraîne le point d'honneur? (On entend des cris et le tocsin.) Que se passe-t-il? le tocsin, sans mon ordre? (Un coup de fusil très près. Louise entre, venant de l'intérieur. Elle est en costume d'amazone.) Louise, qu'est-ce que cela?

LOUISE. Je ne sais pas. (Elle va à la fenêtre.)

LE COMTE, (l'en retirant convulsivement). Ne reste pas là, va-t'en! (Il va pour sortir.--Le Moreau, sanglant, blessé à la figure, paraît au fond de la seconde salle; il élève son chapeau en l'air et crie: «Vive la nation!» et «Vive la République!» Un second coup de fusil, partant de l'escalier, l'atteint en pleine poitrine. Il tombe mort sur le seuil. On entend crier sur l'escalier: «A bas le municipal!»)

LE COMTE. Ah! les misérables! (Il s'élance, l'épée à la main, sur ses paysans qui paraissent au fond, armés de fusils et de faux. Mézières se précipite à sa rencontre et le force à reculer en le couvrant de son corps.)

MÉZIÈRES. Arrêtez! ils sont furieux, ils ne se connaissent plus! (Louise aussi s'est élancée au-devant des paysans, qui s'arrêtent devant elle.)

LOUISE, (aux paysans, montrant le cadavre de Le Moreau.) Malheureux que vous êtes! Cent contre un! c'est odieux! c'est lâche!

LE COMTE, (exaspéré.) Assassins! vous êtes des assassins! (Les paysans s'arrêtent consternés, quelques-uns emportent Le Moreau.) Ah! ma fille, voilà ce que c'est que la guerre civile! et tu la désirais! (Il tombe sur un siége, suffoqué.)

LOUISE. Mon père, il faut s'y jeter pour contenir ceux qui déshonorent la cause! C'est le devoir, vous le voyez bien!

LE COMTE, (se relevant avec énergie.) Oui, contenir et châtier! (Aux paysans.) Qui a fait cela? qui a assassiné chez moi?

PLUSIEURS PAYSANS. C'est pas moi!--Ni moi!--Ni moi!

LE COMTE, (à Tirefeuille qui paraît, le fusil à la main.) Est-ce toi, coquin?

TIREFEUILLE, (farouche.) Oui, c'est moi! Après?

LE COMTE. Et qui encore?

TIREFEUILLE, (montrant un camarade.) Y a lui, La Mouche; on a tiré chacun son fusil. On n'est pas dans les maladroits.

LE COMTE, (le prenant au collet avec vigueur.) A moi, vous autres! Honnêtes gens, qui n'avez pu empêcher cette infamie, prenez-moi ces deux brutes et jetez-les au cachot. Je les abandonne à la vengeance de nos ennemis! (Les paysans font un mouvement pour obéir et s'arrêtent. Mézières tient Tirefeuille en respect.)

UN PAYSAN. Oui... mais... dites donc, monsieur le comte, faut pourtant savoir si vous êtes pour ou contre nous!

LE COMTE. Je suis votre capitaine et je vous mène à la guerre pour le roi et la religion.

TOUS. Vive notre capitaine, et en route!

TIREFEUILLE et LA MOUCHE. Oui, oui, en route, et tout de suite!

LE COMTE, (les montrant aux autres paysans.) Ces deux hommes au cachot d'abord, ou, devant vous, je me brûle la cervelle!

LES PAYSANS. Oh!... pourquoi ça?

UN PAYSAN. Oui, pourquoi, monsieur le comte?

LE COMTE, (exalté.) Parce que, si je ne suis pas obéi, je vais faire avec vous une guerre de démons, et non une guerre de chrétiens! J'aime mieux mourir que de vous conduire à la damnation éternelle!

LE PAYSAN. Il a raison... oui, oui... c'est vrai, ça!

TOUS. Oui, oui, vive Sauvières!

LE PAYSAN. Vive la religion! au cachot les assassins!

TOUS, (s'emparant de Tirefeuille et de La Mouche.) Au cachot! Vive Sauvières et la religion! (Ils sortent.)

MÉZIÈRES. Tout est prêt, monsieur le comte; il faut monter à cheval. Je vais vous habiller.

LE COMTE, (à Louise, qui s'est jetée dans ses bras.) Ah! Louise, quel commencement et quel présage! Le seuil de ma maison est souillé du sang innocent; j'ai mérité de le franchir pour la dernière fois! (Il sort par l'intérieur, Mézières le suit.)

SCÈNE X.--LOUISE, MARIE, entrant.

LOUISE, (se jetant dans ses bras.) Ah! où étais-tu? Chère Marie, je suis brisée!

MARIE. Je sais tout, je me suis hâtée de faire vos préparatifs et les miens.

LOUISE. Les tiens? Tu retournes dans ta famille?

MARIE. Quand vous avez besoin de moi? A quoi songez-vous, Louise?

LOUISE. Vraiment? Ah! brave fille!... Mais c'est impossible, tu n'es royaliste ni par situation ni par croyance. Tu ne peux pas renier tes parents, ton milieu, ton opinion pour venir partager nos périls, nos revers peut-être!

MARIE. Ma famille, qui se réduit à une vieille tante et à un frère infirme, a vécu du travail que votre amitié m'a procuré chez vous. Une petite pension vient de leur être accordée à la considération d'un cousin que nous avons sous les drapeaux et qui sert bien la République. Moi, je suis libre, je n'ai besoin de rien, et je vous servirai mieux qu'une femme de chambre, si dévouée qu'elle soit.

LOUISE. Toi, me servir?...

MARIE. Oui, moi, car ce ne sont plus seulement des soins matériels qu'il vous faut; c'est une amitié à l'épreuve de tout, c'est du courage pour soutenir le vôtre, c'est en un mot ce que l'on ne peut ni exiger ni obtenir pour de l'argent, mais ce qu'on doit accepter d'un coeur reconnaissant, sous peine de l'offenser en doutant de lui!

LOUISE. Ah! chère amie, viens, alors! oui, avec toi je serai capable de tout supporter! Ah! que j'ai besoin de toi! Mon âme est déjà éperdue, je tremble d'avoir mal conseillé mon père;... mais il est trop tard, il faut partir ou l'abandonner à la vengeance des républicains. (A la Korigane, qui entre.) Eh bien, ma tante? est-elle prête?

LA KORIGANE. Elle est déjà en voiture avec le vieux monsieur, et votre cheval est en bas, qui s'impatiente.

LOUISE, (regardant à la fenêtre.) Mais ce n'est pas là mon cheval.

LA KORIGANE. Celui qui le tient vous en a trouvé un meilleur.

LOUISE. Celui qui le tient? qui donc?

LA KORIGANE. C'est Saint-Gueltas, pardi! ne faites donc pas semblant...

MARIE, (à Louise, bas.) Ne répondez pas à cette folle. Je monterai votre cheval. Acceptez celui qu'on vous offre, puisqu'il est meilleur.

LOUISE, (à la Korigane.) Dites à mon père que je l'attends en bas. (Elle sort avec Marie.)

LA KORIGANE. Oui, oui, marche! Où le cheval ira, il faudra que tu ailles, et où Saint-Gueltas te conduit, il faudra bien que ton père te suive! Il a gagné son pari, Saint-Gueltas! La fille lui plaît. Et moi... il ne m'a pas seulement regardée!... Qu'est-ce que je vais devenir à présent? Voyons, si je peux retrouver Cadio! (Elle sort.)


Cadio

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