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INFLUENCE DES ASSOCIATIONS SECRÈTES SUR LES ÉVÉNEMENTS POLITIQUES, DEPUIS 1804 JUSQU’EN 1814.

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J’ai montré les associations secrètes faisant aux souverains une guerre plus ou moins ouverte, mais continuelle: on va les voir dans cette seconde partie suivre une marche diamétralement opposée, et cependant toujours conforme à leurs intérêts et à leurs systèmes.

A peine Napoléon eut-il manifesté le dessein de substituer aux institutions républicaines les principes de la monarchie, et de concentrer dans ses mains toute l’autorité, que les illuminés, les idéalistes et tous les autres partisans des systèmes antimonarchiques le traitèrent en ennemi. Ils n’attendirent pas, pour se prononcer, qu’il eût posé sur sa tête la couronne impériale. Son système de concentration, quel que fût le titre sous lequel il prétendit l’établir, devait nécessairement changer les idées qui avaient prévalu chez nous, et conséquemment priver les associations de l’appui qu’elles attendaient de l’influence française.

Mais les résultats de la guerre de 1806 avec l’Autriche, la dissolution du corps germanique, l’établissement du système continental, qui menaçait évidemment tous les états de l’Allemagne du despotisme qui pesait sur la France, qu’ils avaient regardée jusqu’alors comme une alliée aussi fidèle que puissante; toutes ces circonstances achevèrent de révéler aux illuminés les dangers qui les menaçaient, et nous devînmes bientôt leurs plus redoutables ennemis. Persuadés que notre prépondérance dans le Nord serait, d’après les nouveaux principes du gouvernement, un obstacle insurmontable à l’exécution de leurs projets, ils tournèrent tous leurs efforts contre Bonaparte et contre la nation qu’il gouvernait, ne pouvant séparer l’un de l’autre.

Ce changement dans les intérêts de l’illuminisme en produisit nécessairement un dans la marche qu’il avait suivie jusqu’à cette époque. Aussi vit-on tout à coup les sectaires abandonner leurs projets de réforme, substituer à leurs prédications anarchiques un langage qui paraissait dicté par l’intérêt national, se montrer les plus zélés défenseurs des souverains dont ils avaient si longtemps conjuré la perte, et parler ouvertement de leur rendre l’indépendance qu’ils avaient perdue et d’affranchir l’Allemagne de la domination française.

Ce mouvement commença par la Prusse, où l’association était plus libre que dans les états voisins, parce que le gouvernement français y exerçait une influence beaucoup moins immédiate.

J’ai dit, dans la première partie de ce mémoire, que dès l’avénement de Frédéric-Guillaume III, les sectaires avaient déjà assez de crédit pour gêner la marche de l’administration. Depuis cette époque, ils gagnèrent rapidement un immense terrain; en peu d’années, ils attirèrent à eux tous les partisans des idées révolutionnaires, quelles que fussent les bannières sous lesquelles ils eussent marché jusqu’alors, et de cet amalgame il se forma un corps nombreux qui prit la dénomination de Ligue de la Vertu (Tugen-Bund), et qui eut pour grand-maître le prince Louis de Prusse. Dès cet instant la secte devint maîtresse absolue de l’opinion publique. Elle fut en état de soutenir ou renverser les ministres, de dicter pour ainsi dire les délibérations du cabinet, et la guerre de 180... fut un de ses triomphes.

Les funestes résultats de cette guerre, loin d’affaiblir l’esprit de secte qui l’avait provoquée, lui donnèrent une nouvelle ardeur; il semblait que la ferveur des sectaires se fût accrue de leurs désastres comme citoyens. Les yeux les moins exercés purent aisément en distinguer les effets, dans les provinces démembrées comme dans celles que la monarchie prussienne avait conservées, à l’étroite intelligence qui régnait entre les habitants, à l’aveuglement qui leur faisait nier pour ainsi dire des défaites si récentes et désirer de nouveaux combats, lors même que le cabinet de Berlin avouait publiquement son impuissance et manifestait l’intention de maintenir la paix de Tilsitt.

Au reste les malheurs de la Prusse tournèrent encore au profit de l’illuminisme. Les sectaires firent entendre aisément à ceux de leurs compatriotes qui étaient entrés dans la Ligue de la Vertu par un pur mouvement de patriotisme, que le souverain était incapable de défendre l’état et d’assurer la prospérité. Ils tirèrent habilement parti de l’hésitation que le cabinet avait manifestée aux époques précédentes, de l’influence que l’opinion publique avait eue sur ses délibérations, et n’imputant, pour soulager l’amour-propre national, les funestes résultats de la guerre qu’aux fautes des ministres et des généraux qui ne faisaient point partie de l’association, ils conclurent que les gouvernements monarchiques, lorsqu’ils n’étaient pas assez fortement constitués pour opprimer une nation, étaient trop faibles pour la défendre contre une invasion étrangère; et, par une conséquence toute naturelle, qu’il fallait recourir à une autre forme de gouvernement.

A l’exemple des illuminés de Prusse, les sectaires des états voisins travaillèrent avec ardeur à propager cet esprit de haine contre la France et contre l’homme qui la gouvernait; il gagna rapidement une partie de la Saxe et de l’Autriche, pendant que l’on enflammait le patriotisme des peuples et des armées par des écrits de toute espèce. La Ligue de la Vertu, qui reconnaissait alors pour chef un ancien ministre de Prusse que l’influence française avait fait éloigner des affaires, se hâtait de former de nouveaux établissements dans tous les états voisins.

Ce ministre, retiré d’abord en Bohême, d’où il dirigeait les grandes manœuvres de la Ligue de la Vertu, en porta lui-même l’institution dans la monarchie autrichienne, et c’est de cette époque seulement que paraît dater l’influence de l’illuminisme dans ce pays.

Jusqu’alors les sectaires avaient montré dans toute leur conduite beaucoup d’incertitude et de timidité ; leur crédit sur l’opinion publique était pour ainsi dire nul; mais dès que les Amis de la Vertu, que le ministre réfugié avait appelés de Prusse, eurent associé leurs efforts à ceux des illuminés autrichiens, on vit se former un esprit public, l’orgueil national se réveiller et toutes les classes sortir de l’apathie où elles étaient plongées.

Les grands qui tenaient à l’association, mais qui n’avaient pas encore osé se prononcer ouvertement, n’hésitèrent plus à le faire en affectant cependant de paraître obéir a l’impulsion de la masse; leur exemple acheva d’entraîner tout ce qui conservait un peu de modération. Comme en Saxe et en Prusse, les provinces, les grandes villes surtout, pullulèrent bientôt de petites sociétés dont le cri de ralliement était: Guerre à Napoléon et à la France. L’enthousiasme gagna même les femmes; il se forma dans la ville de Prague une association uniquement composée de dames du premier rang, qui adopta la dénomination de Dames romaines.

L’effet de toutes ces combinaisons ne fut ni moins prompt ni moins général qu’en Prusse, et le cabinet de Vienne en se décidant à la guerre de 180... eut l’air de céder à la volonté de la nation.

Cette époque fut marquée par plusieurs circonstances que je crois devoir rappeler, parce qu’elles contribueront à faire apprécier le degré de puissance que l’illuminisme avait acquis à cette époque.

Il paraît démontré que ce fut l’association qui suscita le colonel Schil et le duc de Brunswick-Oëls, qui leur fournit des intelligences et de l’argent.

Les insurrections tentées avec plus ou moins de succès dans le Tyrol, la Souabe, le pays de Bareuth, la Poméranie, etc., etc., furent aussi son ouvrage: l’on connaît plusieurs émissaires qui furent envoyés dans ces divers pays.

Si toutes ces tentatives échouèrent, c’est que les peuples allemands n’étaient point encore assez mûrs pour prendre part à cette lutte. Deux ans plus tard toute la population de l’Allemagne aurait sans doute épousé la cause de l’Autriche.

La paix de Vienne, l’alliance entre la France et l’Autriche, le départ forcé pour la Russie du ministre prussien fixé à Prague; la dissolution, par ordre de l’empereur François, de toutes les sociétés secrètes formées en Autriche, le caractère de bonne intelligence que prenaient les relations politiques entre la France et la Prusse, l’accroissement de puissance que Napoléon semblait avoir acquis par le traité de Vienne, tout semblait se réunir pour comprimer les illuminés. Mais le mouvement imprimé à la masse de la population n’en fut point ralenti, et tandis que les cabinets de Vienne, de Dresde, de Berlin étaient avec nous dans les termes de la plus étroite amitié, les peuples manifestaient la haine la plus violente contre tout ce qui était français.

Cette force de l’opinion sur laquelle n’avaient pas osé compter les chefs de l’illuminisme, les tira de l’espèce d’engourdissement où ils étaient depuis le traité de 180...

En se réfugiant en Russie le ministre prussien, dont j’ai déjà parlé, avait laissé des chefs secondaires pour diriger la Ligue de la Vertu: aussitôt que les sous-ordres se virent soutenus, ils groupèrent autour d’eux une foule d’agents qui se répandaient ensuite dans tous les états de l’ouest et du midi de l’Allemagne pour activer les foyers, en former de nouveaux et propager dans ces contrées l’esprit de résistance qui s’était développé à l’ouest et au nord.

Un littérateur saxon qui rédigeait une gazette alla même jusqu’à publier dans son journal une partie des statuts de la Ligue de la Vertu, et faire entrevoir le grand but de l’association. Cet article, répété par un journaliste de Berlin, valut à son auteur une détention de quelques mois, et au journaliste berlinois sa destitution. Mais ces deux hommes furent regardés comme des martyrs de la cause allemande; et les mesures de rigueur dont ils furent l’objet n’eurent d’autre effet que de donner plus d’intérêt à leurs publications.

Au reste, tous les foyers que la ligue de la vertu et l’illuminisme formèrent à cette époque n’eurent pas la même dénomination, très-probablement afin de dissimuler la force des sectaires. Il y eut, outre la ligue de la vertu, des chevaliers du poignard, des frères noirs, des chevaliers de saint Jean de Jérusalem, des chevaliers de l’arquebuse.

L’on regarderait peut-être comme très-hasardé ce que je viens de dire de cette agitation générale et des nombreux agents mis en action après le traité de Vienne, contre le vœu bien prononcé de tous les cabinets allemands, si je n’appuyais cette assertion de quelques preuves. Je vais donc rapporter succinctement plusieurs faits dont l’exactitude peut être aisément vérifiée.

Plusieurs agents de la Ligue de la Vertu furent arrêtés à Berlin dans le cours de 1811; entre autres les sieurs P...m, H..., F... etc. Cette mesure avait été provoquée par le gouvernement français, qui avait acquis des preuves matérielles de leurs manœuvres; mais comme le cabinet de Berlin était plus que jamais sous la dépendance de l’association, les papiers saisis et tous les documents qui pouvaient en résulter furent détournés et soustraits à l’autorité supérieure; et les prisonniers, élargis peu de temps après, reprirent avec plus de sécurité, et conséquemment plus de hardiesse, le cours de leurs travaux.

Une arrestation plus importante eut lieu en Bohême, par ordre du gouvernement autrichien, et toujours sur la réquisition de Bonaparte, ce fut celle d’un conseiller prussien à qui le chef principal de la Ligue de la Vertu avait confié, en partant pour la Russie, la direction des affaires de la société dans cette partie de l’Autriche, en Saxe, en Prusse et dans les provinces limitrophes du royaume de Westphalie. L’on saisit avec lui une partie de ses archives; mais ses papiers furent encore détournés en grande partie. Cependant on eut connaissance 1° du chiffre dont il se servait pour correspondre avec ses agents immédiats; 2° de la liste de ces mêmes agents, qui étaient au nombre de vingt-huit, et parmi lesquels se trouvait le fils d’un médecin allemand, jeune homme de vingt-deux à vingt-quatre ans sorti depuis un an ou deux de l’université de Iéna; comme il résidait dans une province occupée par les troupes françaises, il fut arrêté, et l’on trouva dans ses papiers, indépendamment d’un grand nombre d’écrits relatifs à l’association, une correspondance avec plusieurs agents, portés, comme lui, sur la liste trouvée en Bohême chez le conseiller prussien.

Je vais donner l’extrait de quelques unes de ces lettres, dont les plus anciennes remontaient vers le milieu de 1810.

Août 1811. — «Je voyage pour les affaires de famille en

«question (c’est-à-dire pour les affaires de la société); de-

«puis ton départ j’y ai introduit deux hommes très-inté-

«ressants.

«Tu auras sans doute reçu un paquet renfermant des pa-

«piers qui doivent être cachés aux yeux du monde; tu me

«tireras d’un grand embarras si tu veux m’en instruire.

«Dieu veuille que bientôt commence le premier ou le der-

«nier acte de la tragédie dans laquelle j’ai pris un rôle.»

Septembre 1811. — «Le tribunal paraît chanceler forte-

«ment parce qu’il se dirige vers l’Orient; j’espère qu’il va

«prendre une direction plus fixe au Nord .»

«Il règne ici une grande agitation dans les discussions sur

«l’Histoire naturelle (dans les travaux de l’association), mais

«il nous manque toujours le nervus rerum agendarum

«(l’argent).»

«Ne pourrais-tu pas m’envoyer une liste des amis et des

«ennemis de l’Histoire naturelle dans ton canton? j’en au-

«rais grand besoin.»

«En général les sciences sont portées en Prusse au plus

«haut degré de perfection. Tout est prêt; nous n’attendons

«plus que le roi nous appelle en nous disant: Venez à la

«noce.»

Novembre 1811. — «Je n’ai pas encore eu la visite du «voyageur du Rhin.

Août 1812. — «T....t a sans doute parlé de ton surnom;

«je désire fort qu’il soit oublié pour le moment.»

Je pourrais citer d’autres preuves, mais je crois pouvoir m’en dispenser; elles ne serviraient qu’à grossir ce mémoire.

Ces intrigues étaient déjà en pleine activité dès le milieu de 1810. Des écrits répandus avec profusion par des émissaires qui parcouraient l’Allemagne dans tous les sens, achevaient ce que leurs déclamations avaient commencé. Les intérêts privés n’étaient pas oubliés. Toutes les classes qui se trouvaient froissées par le nouvel ordre de choses étaient travaillées dans un sens conforme à leur situation; par exemple l’on montrait dans la chute de la domination française:

A la noblesse, le rétablissement des priviléges qu’elle avait perdus;

A la classe des marchands, la liberté du commerce avec l’Angleterre;

Aux cultivateurs, un état de paix qui garantirait leurs propriétés si longtemps ravagées.

Les universités furent pratiquées avec la même ardeur; ceux des étudiants qui n’étaient encore affiliés à aucune secte ne furent pas insensibles aux mots patrie, intérêt national, et ils se montrèrent bientôt aussi enthousiastes que les sectaires eux-mêmes.

C’est ainsi que se forma, dans un très-court espace de temps, un lien moral qui unit très-fortement tous les états d’Allemagne, même ceux que des intérêts politiques et des haines nationales avaient jusqu’alors divisés.

Les premiers bruits de guerre avec la Russie donnèrent un nouveau degré d’activité à cette exaltation, parce que l’on entrevoyait dans cette guerre l’occasion d’anéantir tout d’un coup la puissance de Napoléon par une levée soudaine de tous les peuples allemands lorsqu’il serait enfoncé dans les déserts de la Russie. Enfin lorsque les hostilités commencèrent, Bonaparte se trouva dans une situation non moins extraordinaire que le projet gigantesque qu’il allait tenter. Tous les peuples qu’il entraînait à cette guerre avaient en horreur sa personne et sa domination. Les armées alliées partageaient ce sentiment, et l’esprit de haine semblait se prononcer plus fortement chez les peuples dont les souverains paraissaient liés plus étroitement à sa cause .

Ce qui sauva Bonaparte à l’époque dont je parle, ce fut l’excès même de ses revers en Russie. Je m’explique:

Comme il entrait daus le plan des sectaires d’exagérer toujours ses pertes, ils publièrent que toute son armée avait été taillée en pièces, gelée ou prise sur la route de Moscou à Wilna. Les bulletins russes et anglais, répandus avec profusion, étaient de nature à confirmer cette nouvelle; enfin les journaux russes, les bulletins officiels et particuliers, annoncèrent que le signalement de Napoléon avait été distribué aux cosaques. Dès lors on ne douta plus qu’il ne fût en effet sans armée; il cessa de paraître redoutable. On ne vit plus en lui qu’un chef de partisans entouré de quelques soldats découragés, sans moyens pour se recruter, éloigné de quatre à cinq cents lieues de ses frontières, ne pouvant manquer de tomber entre les mains des troupes ennemies qui le cernaient de tous côtés; l’insurrection à laquelle tous les peuples allemands avaient pris part était sans objet, et l’on cessa de s’en occuper.

Il est à présumer que les principaux chefs, mieux informés que les sous-ordres, n’ignoraient pas qu’il restait à Bonaparte, seulement dans le Nord, assez de force pour prolonger encore la lutte où il était engagé ; mais ils ne purent arrêter le mouvement qu’ils avaient imprimé à l’opinion. Ce ne fut guère qu’après la réunion des débris de l’armée française sur la ligne de l’Elbe, et à la vue des renforts qui se dirigeaient du Rhin vers la Saxe, qu’ils parvinrent à faire entendre à la multitude que Bonaparte était encore un ennemi redoutable, et alors la présence d’une force imposante dans le centre de l’Allemagne comprimait l’élan des plus hardis.

Tel était l’état des choses lorsque les armées russes franchirent la Vistule et s’avancèrent vers la Silésie.

Alors reparut sur la scène politique l’ex-ministre prussien que l’influence française avait forcé de chercher un asile en Russie, et que la Ligue de la Vertu reconnaissait pour principal directeur. Personne ne pouvait mieux apprécier que lui la puissance des innombrables leviers que les chefs secondaires avaient préparés pendant son absence, ni les faire agir avec l’ensemble nécessaire pour opérer l’ébranlement projeté. Aussi dès son arrivée à Breslau, vers le mois de février ou de mars 1813, appela-t-il près de lui tous les chefs principaux qui étaient en Prusse et dans les états voisins. Les uns furent immédiatement renvoyés dans les foyers dont la direction leur était confiée, d’autres furent expédiés en Autriche dans tous les états de la confédération du Rhin, dans les provinces de la Baltique, etc., etc., pour faire connaître aux adeptes de toutes les classes, de toutes les communions, que le moment de l’explosion était arrivé.

Je n’ai pas la ridicule prétention de lire dans les secrets des cabinets; mais il me paraît démontré que l’influence des associations secrètes eut cent fois plus de part que la politique dans ce concert de défections, dans cet élan universel qui signala cette époque, et surtout dans les efforts vraiment prodigieux que firent tant de peuples épuisés par dix années de guerres et de spoliations.

Si l’on pouvait conserver des doutes à cet égard, je rappellerais quelques événements qui suivirent les conférences de Breslau, ou qui, plus exactement, en furent les résultats.

A peine les chefs de Berlin furent-ils de retour dans leur résidence, que les offres d’argent, de chevaux, d’effets d’habillement, etc., se multiplièrent dans toutes les classes de la société ; des corps de volontaires se formèrent pour ainsi dire dans chaque quartier. Les étudiants se firent remarquer par leur empressement à s’enrôler, et par leur exaltation; plusieurs établissements d’éducation, notamment ceux qui étaient dirigés par des sectaires, s’enrôlèrent presque en entier et eurent pour premiers capitaines les directeurs et les chefs de ces établissements, quoiqu’ils fussent généralement aussi étrangers que leurs élèves aux habitudes de la guerre.

Au reste, en cherchant à mettre en évidence la part que les associations secrètes ont eue dans cette levée des peuples allemands, mon intention n’est pas d’établir une vérité de fait, qu’il est toujours bon de connaître, mais aussi de prévenir une erreur où doivent nécessairement tomber tous ceux qui n’ont pas été à portée de connaître les instruments cachés mis en jeu par tant d’intérêts divers. Je veux parler de l’opinion qui attribue cet élan des peuples d’Allemagne aux sentiments d’honneur national, et au désir de mettre fin à une guerre qui menaçait leur pays d’une entière dévastation.

Je suis loin de méconnaître l’influence de ces sentiments, mais comme ils ne tiennent que le second rang dans l’ordre des choses qui ont produit de si grands résultats, il me semble important d’insister sur ce point de fait, persuadé que l’opinion contraire pourrait être d’un effet dangereux, en ce qu’elle tendrait à faire méconnaître la puissance réelle des associations.

Il est très-probable que les chefs de l’illuminisme s’efforcèrent à accréditer l’erreur que je combats dans le but de détourner l’attention des cabinets. L’orgueil national seconda puissamment cette ruse, et la mauvaise police des états allemands contribua aussi à maintenir le gouvernement dans une fâcheuse sécurité.

Sans doute ce mouvement, si les cabinets ne l’avaient pas favorisé, eût été moins rapide, moins général, il eût offert moins d’ensemble; mais leur action s’est bornée pour ainsi dire à le régulariser.

Ils ont rappelé au commandement des armées, aux emplois civils, les sectaires que leurs principes avaient fait éloigner, ou qui étaient démis de leur place par esprit d’opposition à des époques antérieures. Ils ont mis à leur disposition les moyens pécuniaires ( ou de toute autre nature) dont ils pouvaient avoir besoin pour produire de très-grands effets dans un très-court espace de temps. Mais là se sont bornés, je le répète, leurs efforts. Les éléments qui ont agi pendant cette lutte politique étaient par leur nature tellement indépendants des cabinets, que sans leur participation, et même contre la volonté la plus fortement prononcée, ils se seraient mis d’eux-mêmes en action. Je rappellerai ce qui eut lieu en Prusse au commencement de 1812: L’association se sentait si forte que plusieurs fonctionnaires civils et officiers supérieurs osèrent se prononcer ouvertement contre les dispositions du cabinet pour une alliance avec la France, et donner avec éclat leur démission aussitôt que cette alliance fut conclue.

Mais quelles seront les suites inévitables de cet accord momentané entre les cabinets et les sectaires? Je réponds qu’il doit nécessairement en résulter un accroissement énorme de puissance physique et morale pour ces derniers, et pour tous les peuples allemands, la conscience de leurs propres forces.

Or, si les cabinets étaient déjà trop faibles avant cette crise pour comprimer l’esprit factieux des sectaires et résister à leur influence, si dès lors ils étaient forcés d’obéir aux impulsions que les sectaires jugeaient convenable de donner au corps politique; comment pourraient-ils résister à leurs attaques, aujourd’hui que les forces de l’association ont fait des progrès incalculables?

Léo Burckart

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