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OBSERVATIONS SUR LE MÉMOIRE RELATIF AUX SOCIÉTÉS SECRÈTES D’ALLEMAGNE.

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5 avril 1819.

La société secrète des illuminés qui avait pris naissance en Bavière était principalement dirigée contre l’influence des moines qui, dans ce pays, étaient tout-puissants sous le règne de Charles-Théodore. Weishaupt en était l’instituteur; Zivak, M. de Leiden et un nommé Dellingt furent les principaux chefs. Cette société n’a pu se soutenir que jusqu’en 1786 où Charles-Théodore fit fermer les loges et saisir les papiers. Les chefs et quelques membres peu protégés parmi lesquels on comptait alors M. de Montgelès, furent exilés. Les autres étaient obligés de se rétracter, de faire pénitence et de prêter serment qu’ils n’appartenaient plus à aucune société secrète.

Si l’auteur du mémoire sur les sociétés secrètes de l’Allemagne avait connu les papiers saisis sur les illuminés et publiés par ordre du gouvernement bavarois, il aurait eu une tout autre idée de cette secte. Elle a été entièrement extirpée, et il serait impossible à qui que ce fût d’indiquer une seule réunion d’illuminés ou une seule trace positive de leur existence depuis la suppression de l’ordre. En Allemagne, comme dans tous les pays civilisés, il y a eu et il y a encore des amis chauds de la liberté et des institutions libérales. En tous temps les partisans du despotisme les ont accusés de menées clandestines, de projets révolutionnaires et meurtriers; mais aussi, dans aucun pays, la police la plus active n’a jamais pu découvrir le moindre indice d’une réunion prohibée par la loi et tendant à la subversion de l’ordre existant, dont les vrais amis de la liberté auraient été les auteurs. Ce furent les décrets rendus, les principes proclamés par les premières assemblées législatives en France; ce fut la conduite généreuse et héroïque des armées républicaines qui a fourni aux généraux français des amis parmi les libéraux de l’Allemagne. Il n’existait d’autre liaison que celle que la conformité des principes et des sentiments établit naturellement parmi les hommes bien pensants de toutes les nations qui s’intéressent aux progrès de la chose publique. Ce qui se passa à la cour de Berlin, sous le règne de Frédéric-Guillaume, n’était autre chose qu’une intrigue des courtisans pour amuser un roi dépravé et pour abuser de son autorité.

Ce que l’auteur du mémoire rapporte sur les idéalistes ne mérite aucune attention. Cette dénomination, qui n’est pas même connue en Allemagne, ne peut être donnée qu’à quelques savants systématiques qui adoptent sur des matières abstraites certaines doctrines. Mais comme société secrète, ou seulement comme secte, les idéalistes ne sont qu’un rêve ou un fantôme des satellites du despotisme qui voudraient rendre suspects jusqu’aux progrès des sciences métaphysiques.

L’auteur du mémoire commet une erreur toute aussi grande quand il prétend que les libéraux en Allemagne, qu’il veut bien honorer du titre d’illuminés, avaient tourné toute leur haine contre Napoléon lors de son avènement au pouvoir. Après la paix de Lunéville toutes les espérances se fondèrent au contraire sur lui, et il n’avait d’autres ennemis en Allemagne que les privilégiés qui venaient de perdre leurs plus belles prérogatives par la sécularisation des principaux, des ecclésiastiques et des chapitres nobles. Ce furent les privilégiés qui influèrent sur le cabinet de Berlin, lors de la guerre de la troisième coalition, et qui forcèrent, d’une certaine manière, le roi de Prusse à armer. Ce furent aussi eux qui provoquèrent enfin la guerre de 1806.

Mais les libéraux se virent bientôt trompés dans leurs espérances. Au lieu de la régénération de la liberté germanique, l’arbitraire monta sur le trône, et Napoléon, sans s’occuper de la situation intérieure de l’Allemagne, ne devint que le chef militaire de ses armées. Alors les ressentiments des privilégiés s’alliaient au mécontentement des armées de la liberté ; l’indépendance nationale devint le prétexte pour les mouvements des uns, et la bannière pour le ralliement des autres.

Dans cette situation des choses, M. de Stein, homme essentiellement féodal, fit le projet de la ligue de la Vertu. Son prétexte était de relever le caractère national, de rétablir les mœurs et la religion, mais le but caché était dans l’intérêt de l’aristocratie. Cette ligue devait s’étendre sur toute l’Allemagne avec des formes comme elles ont été usitées de tout temps dans les sociétés secrètes. Le projet fut communiqué à plusieurs personnes et bientôt connu dans la grande masse des mécontents en Allemagne. Le roi de Prusse et la famille royale promirent d’y accéder.

Napoléon eut bientôt connaissance de ces. menées. M. de Stein fut exilé et le projet de la Ligue de la Vertu n’eut jamais d’exécution, de sorte que cette ligue n’a pas existé matériellement. Ni rassemblement des membres, ni chefs secrets et ostensibles ne furent jamais connus; mais le seul projet avait électrisé les esprits. L’oppression militaire ainsi que les persécutions de la police de Savari et du prince d’Ekmülh, dirigées contre cette ligue imaginaire, et provoquées sans doute par de faux rapports, montèrent les esprits jusqu’à l’exaltation. Une union morale pour l’indépendance nationale se forma sans ligue visible, et ce fut cette union qui produisit les merveilles qu’on voudrait attribuer aux faibles intrigues d’une société secrète, aux menées d’une faction révolutionnaire. Napoléon connaissait la vraie situation des choses eu égard à la Ligue de la Vertu, sans cependant connaître la force morale qui s’était réveillée en Allemagne. Il traita toujours cette ligue en chimère et n’en parla qu’avec mépris.

Aussi n’a-t-on plus entendu parler d’elle après le départ des armées françaises du sol de l’Allemagne. Rien n’annonçait la marche d’une faction puissante dans les ténèbres, et son influence dans les transactions multipliées qui eurent lieu en France et à Vienne; seulement quelque temps après la réunion de la diète germanique à Francfort, où l’on commençait à s’apercevoir que les espérances pour l’unité nationale, pour la restauration de la liberté germanique, seraient déçues, l’esprit qui avait présidé à l’affranchissement de l’Allemagne se réveilla sur la Wartbourg, se consolida après par la ligue teutonique, et prit un caractère révolutionnaire.

Je finirai ces observations par une réflexion puisée dans le caractère national des Allemands et dans leur histoire. Jamais les sociétés secrètes en Allemagne ne revêtirent un caractère politique que contre l’oppression; elles quittèrent ce caractère toutes les fois que le règne de la loi et de la liberté fut rétabli. Lors de l’oppression féodale dans le treizième et dans le quatorzième siècle, époque où les nobles exerçaient le droit du poing ou du plus fort, où leurs châteaux étaient des repaires de brigands, où le bourgeois et le paysan étaient sans cesse exposés au meurtre et au pillage, les tribunaux secrets rendirent une justice sévère et prompte contre les malfaiteurs qu’ils purent atteindre, justice qu’il fut alors impossible d’obtenir du gouvernement. Mais lorsque l’empereur Maximilien eut puni quelques grands coupables, qu’il eut détruit leurs châteaux et publié le fameux édit de la paix publique (Landfrieden), les tribunaux secrets disparurent à jamais. De même l’illuminisme était dirigé contre l’oppression monacale. Après la suppression des couvents il ne fut plus question de lui. La Ligue de la Vertu, quoiqu’elle n’ait existé que moralement, combattit l’oppression étrangère. Après sa fin il eût été naturel qu’on n’eût plus entendu parler de cette ligue, mais des espérances déçues l’ont fait revivre dans la ligue teutonique

Léo Burckart

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