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RAPPORT SUR LA SITUATION DES SOCIÉTÉS SECRÈTES AU MOMENT DE L’ASSASSINAT DE KOTZEBUE.

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Table des matières

La fin tragique de M. de Kotzebue est un évenement dont les suites sont peut-être incalculables, si on le considère sous le rapport de la situation politique et morale actuelle de l’Allemagne. Dans mon rapport, que j’ai eu l’honneur de soumettre à votre excellence, lors de mon retour de *** à Paris, j’ai déjà parlé des sociétés secrètes qui subsistent dans les universités de l’Allemagne; de leur but, de leurs sympathies et antipathies, et surtout de cette association générale ou teutonique qui était commune à toute l’Allemagne, sans égard aux différentes dominations auxquelles ce pays est sujet.

Depuis, comme dans toutes les sociétés secrètes qui ont agité l’Europe, des fausses interprétations, des calomnies, et l’exagération de l’esprit de caste et de parti ont affermi le lien qui unit la jeunesse allemande, au lieu de l’ébranler. Déjà, après la fête de la Wartbourg, les professeurs d’Iéna, qui en étaient les directeurs, proposèrent pour une association teutonique, aux étudiants qui avaient assisté à cette fête, des statuts qui devaient être communs à toutes les universités de l’Allemagne. Après plusieurs dispositions de discipline très-sages, parmi lesquelles l’on peut citer l’abolition des duels entre les membres associés, et l’institution d’un tribunal d’honneur pour vider les querelles et appliquer les étudiants à l’étude, ces statuts réunissaient les différentes associations partielles en une seule corporation régie par les mêmes lois, et une administration centrale. Les jeunes gens s’engagent formellement à courir sous les armes en cas que la liberté et l’indépendance de l’Allemagne soient menacées de nouveaux dangers; ils promettent d’être toujours prêts au premier appel et de fréquenter à cet effet, autant que possible, les salles d’armes. Le 18 octobre de chaque année, jour anniversaire de la bataille de Leipsick, une réunion générale doit avoir lieu.

Ces statuts ont été soumis à l’approbation du grand-duc de Weimar, sous la domination duquel Iéna se trouve; cette approbation a été donnée sans restriction: le grand-duc témoigne seulement le désir qu’on ne fasse plus de fête à la Wartbourg, parce qu’il en avait eu trop de désagréments. Pour se conformer à ce désir, la réunion générale eut lieu l’année dernière à Iéna, le 18 octobre; plus de deux mille députés des différentes universités, parmi lesquels on comptait aussi des étudiants de Riga, signèrent en leur nom et au nom de leurs commettants les statuts de l’association teutonique.

De retour dans leurs universités respectives, les députés reçurent le serment de leurs commettants pour les statuts qu’ils venaient de signer, et l’on comptait alors déjà plus de seize mille jeunes gens réunis dans une seule association et bien disposés à défendre la liberté et l’indépendance de l’Allemagne contre tout agresseur.

Dans ces entrefaites parut le fameux mémoire de M. de Stauren. On avait la certitude que ce mémoire avait été rédigé sur des données fournies par M. de Kotzebue. La jeunesse allemande sentit fort bien que le coup partait du point le plus dangereux pour l’indépendance de l’Allemagne, et qu’il était dirigé contre la seule institution nationale qui avait su se conserver dans la décadence générale de la nation allemande, et qui venait aussi de se régénérer, la première, après l’élan que cette nation avait repris, mais sans la coopération des gouvernements respectifs, et peut-être malgré eux. Il fut donc naturel que les esprits s’exaspérassent, que l’association teutonique prît une couleur toute politique, et qu’elle cherchât à se fortifier dans ses institutions et à s’étendre dans les autres classes de la société.

Il paraît que cette association n’a que trop bien réussi dans son entreprise; au moins est-il certain qu’elle a des ramifications parmi les jeunes militaires allemands, et qu’elle compte beaucoup sur eux en cas de besoin. Il paraît aussi qu’au commencement des vacances de Pâques de cette année, il s’est tenu une réunion des chefs dont l’événement déplorable qui a eu lieu à *** fut un résultat, ainsi que le cartel qui fut envoyé a M. Stauren.

Sand était à Iéna avant son voyage à Mannheim; il était connu pour un des chefs de l’association teutonique. Je pris des renseignements positifs sur sa personne: il avait fait d’excellentes études et passait pour une des meilleures têtes de l’Allemagne; son caractère était énergique, mais plutôt romanesque et doux que violent et sanguinaire; son amour de la liberté était nourri par une grande érudition dans les auteurs classiques et par une profonde connaissance de l’histoire. Il jouissait d’une considération générale parmi ses condisciples, et était l’arbitre dans leurs différends. On fondait de grandes espérances sur lui, et on le croyait appelé à de hautes destinées.

Avec ces dispositions, et dans la situation morale et politique actuelle de l’Allemagne, ce malheureux criminel ne pouvait-il pas se rappeler que Guillaume Tell avait fondé la liberté de la Suisse par l’assassinat de Gessler? que Charlotte Corday s’était vouée à la mort pour débarrasser la société de Marat? L’exagération que l’homme sensé trouverait sans doute dans ce rapprochement, ne faudrait-il pas l’attribuer à la jeunesse de l’assassin? n’appartiendrait-elle pas au temps où il vécut et aux hommes qui influaient sur lui.

Au rester l’action de Sand, d’après les circonstances que je viens d’exposer et dont je puis garantir l’authenticité, augmente de beaucoup l’intérêt que l’Allemagne présente depuis deux ans à l’observateur et à l’homme d’état. Sans vouloir empiéter sur les événements, j’ai cru de mon devoir de mettre sous les yeux de votre excellence les faits qui peuvent avoir tenu à cette action. Ami de la liberté et de ma patrie, je n’ai pas hésité d’en parler avec franchise et sans craindre les fausses interprétations d’un ministre éclairé qui doit être convaincu que les dangers qui menacent l’indépendance de l’Allemagne sont communs à la France, et que la force morale renaissant en Allemagne deviendra un boulevard inexpugnable contre ces dangers communs.

Léo Burckart

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