Читать книгу " A qui lira ": Littérature, livre et librairie en France au XVIIe siècle - Группа авторов - Страница 67
Structures et genres des pièces imprimées
ОглавлениеLa majorité des pièces de théâtre publiées entre 1609 et 1615 le sont individuellement (46 notices sur 68 répertoriées) et ces ouvrages ont de fait un fonctionnement livresque différent de celui des ouvrages du farceur qui rassemblent plusieurs prologues. Lorsque les pièces de théâtre sont imprimées en recueils, et s’avèrent ainsi plus proches des éditions du farceur, nous observons des configurations multiples : recueils anonymes, collectifs ou personnels. À l’aune de l’échantillon proposé, le théâtre imprimé trouve visiblement sa place, dans les premières années du XVIIᵉ siècle, grâce au rassemblement auctorial qui détermine le système de l’imprimé. En d’autres termes, une partie des pièces imprimées le sont parce qu’elles viennent compléter les travaux d’auteurs qui ne publient pas seulement du théâtre, à l’image de l’édition des Œuvres poétiques de François Ménard parues en 1613 qui comprennent notamment une pastorale de cet auteur1. Les livres de Bruscambille relèvent de ces divers systèmes de recueils puisque ses prologues sont parfois publiés avec d’autres écrits (chansons, histoires facétieuses) dont il n’est probablement pas l’auteur2, mais ce sont chez lui les recueils personnels qui dominent. Avec ses 16 éditions entre 1609 et 16153, et des éditions qui se dotent rapidement, dès 1612, du nom unificateur de « Bruscambille », ces ouvrages représentent un cas assez marginal d’un point de vue éditorial. En effet, à la même période en France, il n’y a pas d’auteur dramatique qui connaisse un succès imprimé similaire et, à titre de comparaison, nous ne comptons dans les mêmes années que 6 éditions des pièces de Robert Garnier ou 5 éditions de Pierre de Larivey. Dans ce cadre, nous pouvons faire l’hypothèse que l’impression massive des recueils de Bruscambille, qui gardent des liens avec le théâtre même s’ils s’en détachent en partie matériellement, participe à l’essor de la publication imprimée de ce genre tout en faisant émerger une figure de comédien-auteur.
Il reste pourtant difficile d’assimiler totalement Bruscambille aux auteurs dramatiques de son temps, notamment parce qu’il ne semble pas considéré comme tel par les troupes de comédiens. La différence de traitement est flagrante entre les publications imprimées de Bruscambille et celles d’Alexandre Hardy par exemple, alors même que les deux hommes ont appartenu à la même troupe, celle de Valleran Le Conte, dans les années 16104. Ainsi, nous ne trouvons pas trace de restrictions concernant la production du farceur tandis qu’un auteur prolifique comme Hardy ne peut imprimer ses pièces que difficilement et tardivement, les compagnies étant momentanément propriétaires des pièces5. Cet écart peut s’expliquer de plusieurs manières non exclusives les unes des autres : soit les discours du farceur sont trop attachés à sa performance personnelle pour être repris par d’autres, soit ils occupent une place moindre dans le déroulement de la séance et cela ne met pas en péril la poursuite du travail de la troupe, soit ils ne sont déjà plus considérés comme du théâtre lorsqu’ils sont imprimés et les lecteurs en ont des usages différents.
Concernant ces usages, nous remarquons que les ouvrages de Bruscambille, qui se présentent comme des suites de brefs discours, se prêtent volontiers à une lecture discontinue et à voix haute. Cela devait faciliter leur circulation, par exemple en offrant la possibilité à d’autres comédiens de reprendre ces prologues pour d’autres spectacles que ceux auxquels ils étaient initialement destinés, mais il ne reste aucune trace de ces réemplois. Dans le domaine écrit, un seul exemple d’une pièce dramatique imprimée précédée d’un prologue du farceur nous est parvenu. Il s’agit du « Prologue de rien », placé en tête de La Melize, pastorale comique du Sieur du Rocher en 16396. Ce prologue est utilisé comme ornement paratextuel, il est épuré pour l’occasion en étant abrégé, privé de ses références politico-historiques et littéraires ainsi que d’une plaisanterie scatologique. Nulle mention de son auteur n’apparaît et ce préambule devient visiblement un argument de vente pour la réédition de la pièce en 1639, d’où une mention de cet ajout dès la page de titre. Compte tenu de la rareté des sources à cette période, ce cas unique est peut-être un signe du fait que les recueils de Bruscambille sont employés comme des catalogues de prologues par des éditeurs ou auteurs désireux d’introduire les pièces qu’ils font imprimer. Si le théâtre imprimé n’est que très exceptionnellement un co-texte pour les prologues de Bruscambille qui sont plus facilement alliés à des chansons ou des histoires licencieuses qu’à des pièces de théâtre, il reste un contexte éditorial qui nous permet de mieux comprendre la position marginale qu’il y occupe et qui apparaît bien à travers la question générique.
Un autre élément de distinction essentiel entre les recueils de prologues et le théâtre imprimé rejoint des considérations génériques. Le graphique suivant rend compte du genre des pièces imprimées en France entre 1609 et 1615 :
Ce diagramme illustre la part écrasante de la tragédie dans les pièces alors mises sous presse et témoigne du caractère opérationnel de la hiérarchie des genres dans le champ de l’imprimé. Pourtant, cette domination n’est pas équivalente sur la scène française et le cas d’Alexandre Hardy peut encore nous servir de référent afin de mettre en valeur cet écart. Comme l’a montré A. Howe, il existe une forte disproportion entre les pièces, majoritairement tragiques, que ce dramaturge faisait imprimer et la variété générique des pièces qui pouvaient être interprétées sur scène7. C’est le phénomène inverse qui caractérise les recueils de Bruscambille : des discours comiques à tendance farcesque sont édités massivement alors que cette forme s’imprimait très peu à l’époque8. Cet intervalle fait apparaître une distorsion entre les imprimés dramatiques et ces prologues : si les recueils du farceur sont des publications théâtrales, elles se présentent comme des éditions à contre-courant et c’est peut-être en partie pour cette raison qu’elles sont plus volontiers associées au domaine de la « facétie » et que leur catégorisation reste flottante.