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Préface
ОглавлениеParmi les premiers Maîtres Kadampas, le grand Bodhisattva, Guéshé Tchékawa, fut l’un des plus admirables.
Il naquit dans un village appelé Loro en 1102, année du serpent de fer. Il était le fils d’une famille Nyingma et montra, dès la petite enfance, les signes caractéristiques d’un grand saint. Très jeune, il avait déjà acquis la maîtrise des pratiques religieuses de la tradition paternelle. Toutefois, cela ne le satisfit pas et il se mit à rechercher activement un Maître spirituel.
Il rencontra Retchoungpa, le principal disciple de Milarepa et pendant un certain temps, il reçut de lui tous les enseignements transmis par Milarepa à propos du nouveau système de Tantra.
A l’âge de 21 ans, il reçut l’ordination monastique du Maître Tsiworpa et prit le nom de Yéshé Dordjé. Il rendit visite à de nombreux Maîtres et grands traducteurs de son époque, tels que Ngok Lotsawa qu’il rencontra personnellement. Il éprouvait un intérêt particulier pour les systèmes philosophiques bouddhistes qu’il souhaitait vivement étudier. Avec beaucoup d’ardeur, il se consacra à leur étude approfondie sous la conduite de Maîtres tels que les Guéshés Tchène et Tcha Yulwa. Il en acquit une totale maîtrise et apprit par cœur près de cent grands textes.
Mais cela ne le satisfaisait toujours pas. Il pensait qu’il devait exister une méthode particulière qui permît d’atteindre l’éveil. Il reçut de Guéshé Gnang Chak des instructions sur les Huit Versets de l’entraînement de l’esprit, texte composé par le Maître Langri Thangpa. Une autre fois, il reçut de Guéshé Nèsourpa des enseignements sur le Lam Rim (La Voie progressive vers l’éveil), sur les Annales bleues, ainsi que la transmission de nombreuses autres instructions propres à la tradition Kadampa.
Il se sentait particulièrement attiré par les Huit Versets de l’entraînement de l’esprit et se rendit à Lhassa pour y rencontrer le Guéshé Langri Thangpa qui, malheureusement, était mort entre temps. Il se mit alors à chercher qui pourrait avoir atteint les plus hautes réalisations des enseignements de ce Maître et rencontra le Maître Sharawa dans la région de Cho. Il était alors âgé de 30 ans.
Lorsqu’il arriva, le Maître Sharawa était en plein milieu d’un enseignement sur le Shravaka Boumi du Maître Asanga. Ecoutant ces enseignements, il les trouva plutôt compliqués et n’y vit aucune référence aux pratiques d’entraînement de l’esprit. Durant une pause, tandis que le Maître Sharawa faisait des circumambulations autour d’un stoupa, Tchékawa étendit sa cape sur le sol devant le Maître, le priant de se reposer quelques instants parce qu’il avait un conseil à lui demander. Le Maître Sharawa répondit qu’il avait déjà donné des conseils alors qu’il siégeait sur le trône durant l’enseignement et qu’il n’en avait pas d’autre à donner. Tchékawa reprit alors, disant qu’il avait découvert dans les Huit Versets de l’entraînement de l’esprit un passage énonçant :
Puissè-je prendre sur moi la défaite et la perte et offrir aux autres profit et victoire,
et qu’il tirait de cette instruction un grand bénéfice moral, surtout lorsqu’il ne savait pas où loger ou que ses amis l’avaient déçu. «J’aimerais savoir, ajouta-t-il, si le sens de ce verset est celui d’un Dharma profond».
Le Guéshé Sharawa répondit : «O moine, mon frère, que vous en tiriez ou non un bienfait spirituel, sachez qu’à condition de ne point aspirer à l’éveil, ce verset peut être ignoré. Mais celui qui veut atteindre l’éveil ne saurait en aucun cas s’en passer».
A cette réponse, le Guéshé Tchékawa demanda à recevoir la transmission de ce verset. Le Guéshé Sharawa poursuivit alors : «Il n’y a personne qui ne voie en Nagarjouna un Maître parfait ; or celui-ci déclara dans le texte intitulé Ratnavali :
Toutes les actions négatives des êtres puissent-elles accomplir en moi leur maturation et la maturation de toutes mes actions vertueuses puisse-t-elle
s’accomplir en eux».
Telle fut la transmission. Comme le Guéshé Tchékawa lui demandait d’autres enseignements à ce propos, le Maître Sharawa répliqua : «O frère, soyez patient. Je vous donnerai les enseignements petit à petit.» C’est ainsi que le Maître Sharawa l’instruisit douze années durant, guidant son disciple qui mettait en pratique, étape par étape, les instructions reçues.
Le Guéshé Tchékawa parvint de cette manière à faire naître en lui l’esprit d’éveil et à couper tout ce qui enchaîne à l’égoïsme, au «chérissement» de soi-même. C’est ce qui l’amena à dire : «Grâce au réveil d’une accoutumance karmique de mes vies passées, parce qu’elles étaient l’objet de mes ardentes aspirations et que j’ai supporté les souffrances et les critiques, j’ai reçu les instructions qui m’ont permis de dominer la saisie du soi. Maintenant, même si je meurs, je n’éprouverai aucun regret.»
Bien que le Maître Sharawa ait donné de nombreux enseignements sur les grands textes tels que les Cinq Dharmas du Bouddha Maitreya, il ne transmit les instructions sur l’entraînement de l’esprit qu’en secret, à un nombre restreint de disciples aptes à les recevoir, tels que le Guéshé Tchékawa qui déclara : «Jusqu’à ce que je rencontre le Maître Sharawa, à chaque enseignement du Dharma que j’entendais, j’avait le sentiment qu’il devait exister une autre méthode pour atteindre l’éveil. Après l’avoir rencontré, j’ai acquis la conviction qu’il ne peut exister de méthode supérieure à celle-ci et mon esprit est en paix. Je n’envie personne et je ne souhaite pas écouter autre chose.»
S’étant consacré à la pratique intensive des instructions de son Maître Sharawa, le Guéshé Tchékawa devint lui-même maître des instructions essentielles du Grand Véhicule. Après la mort du Maître Sharawa, il donna aux disciples des enseignements dans tous les domaines du Dharma. Il vécut encore 34 ans, séjournant la plupart du temps en des lieux retirés. Il avait pour principales pratiques les deux aspects de l’esprit d’éveil. Tous ceux qui l’approchaient pour recevoir des enseignements du Dharma voyaient leurs vœux comblés. Toutefois, les instructions concernant l’entraînement de l’esprit, il ne les transmettait qu’en secret à des disciples qui se consacraient à une pratique intensive.
Plus tard, en un lieu appelé Drepou, il s’exprima ainsi : «Ce Dharma de l’entraînement de l’esprit n’est pas de ceux qui doivent être exposés en public et ne se donne qu’en secret. Cependant, il est difficile de dire qui pourra en tirer profit et qui ne le pourra pas.
C’est pourquoi je l’ai mis par écrit en sept points :
– Le premier traite des pratiques préliminaires ;
– Le deuxième inclut l’entraînement
aux deux aspects de Bodhicitta ;
– Le troisième expose la manière de transformer
les conditions adverses en chemin conduisant
à l’état de Bouddha ;
– Le quatrième décrit brièvement la manière
dont cet entraînement s’inscrit dans la pratique
de toute une vie ;
– Le cinquième décrit les signes d’un esprit
dûment exercé ;
– Le sixième énonce les préceptes et engagements
relatifs à l’entraînement de l’esprit ;
– Le septième donne les instructions nécessaires
à l’accomplissement de cette pratique.»
Il demanda alors à son assistant d’organiser une cérémonie au cours de laquelle un nom serait donné à l’ensemble de ces instructions. Chaque participant reçut une offrande de beurre et de sucre de canne. C’est ainsi que fut instaurée la tradition d’enseigner publiquement L’Entraînement de l’esprit en sept points.
Plus tard, il fonda le monastère de Tchéka en un lieu appelé Meldro où il vécut durant onze autres années. Ce monastère abrita jusqu’à 900 moines. Il prophétisa que son principal disciple Tchilboupa instaurerait un nouveau monastère de Tchéka par ces mots : «Quand les oiseaux avancent en âge, il vont au loin passer le reste de leur vie.» Conformément à ces paroles, il se retira à Thapou pour demeurer dans la solitude jusqu’à la fin de sa vie où il s’exprima en ces termes : «Ayant laissé derrière tout désir pour la nourriture et les vêtements, je me suis comporté à la manière d’un cerf blessé. J’ai renoncé à toute exigence pour moi-même et mis en pratique les instructions des Maîtres en accord avec le Dharma. Si je meurs à présent, je n’éprouverai nul regret. De tous les sons de ce monde, ceux de l’entraînement de l’esprit sont les plus chers à mon cœur.»
Il demanda alors à son frère cadet qui s’était mis à son service de lui réciter les mots de l’entraînement de l’esprit. Peu après, il lui dit : «Fais des offrandes au Bouddha car il me semble bien que mon souhait le plus ardent ne sera pas accompli. J’aspirais à renaître dans les enfers pour pouvoir venir en aide aux êtres qui s’y trouvent mais déjà j’aperçois la Terre Pure de Soukhavati.»
Il mourut ainsi à l’âge de 75 ans, tout en récitant les versets de l’entraînement de l’esprit. C’était en l’an du mouton de bois, en 1176.
A l’intention des générations futures, il composa de nombreux textes commentant les enseignements du Maître Atisha et de Drom, fondateurs de la tradition Kadampa, parmi lesquels cet Entraînement de l’esprit en sept points qui constitue un recueil de conseils majeurs que suivra tout authentique pratiquant du Dharma.
L’enseignement spécial contenu dans cet ouvrage fut expliqué par notre précieux Maître, le Vénérable Guéshé Rabten Rimpoché. Il avait non seulement appris cet enseignement, mais encore le vivait et l’accomplissait par sa pratique. Guéshé Rabten Rimpoché était l’un des rares Maîtres Kadampas de notre temps qui suivait exactement le mode de vie des anciens Kadampas tels que le Guéshé Tchékawa. Sa vie est relatée plus en détail dans sa biographie Vie et Enseignement de Guéshé Rabten, The Life of a Tibetan Monk et Mönch aus Tibet.
A son habitude, Guéshé Rabten Rimpoché, par sa capacité extraordinaire habituelle à rendre chaque point du Dharma si clair et si compréhensible, a mis cet ancien enseignement complètement d’actualité et l’a fait pertinent aussi bien qu’accessible à notre pratique quotidienne.
Je suis enchanté et très reconnaissant envers Marie-Thérèse Guettab, une amie qui m’est chère et une étudiante de longue date du Vénérable Guéshé Rabten, pour sa traduction française, et envers tous les amis de l’Edition Rabten, pour avoir rendu cet enseignement disponible dans ce magnifique livret.
Bien souvent, ceux qui écoutent les enseignements du Dharma n’y manifestent qu’un intérêt superficiel dont découle une pratique similairement superficielle. Ce faisant, l’esprit développe en réalité une résistance aux véritables effets du Dharma, tout comme on devient résistant aux effets des antibiotiques en ne les utilisant pas à bon escient. C’est pourquoi les grands Maîtres Kadampas étaient si réticents à donner de tels enseignements en public. Ils voulaient ainsi préserver les disciples de toute éventuelle résistance à ces enseignements aux effets très puissants.
Si on les applique à son propre esprit, ces instructions seront infiniment bénéfiques. Nous faisons tous, à tout moment, des expériences difficiles, mais, à leur racine, il n’y a rien d’autre que l’égoïsme, que le «chérissement» de soi-même. De tous les remèdes, ces instructions sont le plus efficace pour extirper ce qui constitue la racine de tous nos problèmes et c’est précisément pour cela qu’elles sont données. Puissions-nous, grâce à cette méthode, parvenir à vaincre l’égoïsme.
Gonsar Tulkou
Directeur spirituel
Rabten Choeling
Le Mont-Pèlerin, avril 2003