Читать книгу Rodin à l'hotel de Biron et à Meudon - Gustave Coquiot - Страница 10

L’HISTOIRE D’UNE IDÉE.—LE MUSÉE RODIN.

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En l’année 1911, le 5 septembre précisément, j’eus la chance de publier, dans un journal de Paris, l’article suivant, dont quelques parties sont restées inédites. Voici l’article en son entier:

«On ne s’est pas encore mis d’accord sur l’utilisation complète de l’hôtel Biron. Que va-t-on en faire, exactement?

«Cette question, qui revient au jour de l’actualité, combien de fois déjà se l’est-on posée, depuis que les dames du Sacré-Cœur sont parties, résignées et douces. Oui, que ferait-on bien de cette noble, grave et admirable «maison», que la verdure envahit peu à peu, sous l’œil figé mais souriant des jolies clés de voûte: têtes de faunes et de nymphes qui ont pas mal de philosophie,—et il y paraît!—tellement elles en ont vu ici des événements, des hivers et des printemps, rudes ou radieux!... Oui, que doit-on faire de l’hôtel Biron?...

«Vendre tout l’hôtel avec ses dépendances à des marchands de terrains, on y a déjà renoncé. Certes, le profit en serait rare; mais on redoute les grincements de dents des Parisiens, des habitants au moins de ce quartier des Invalides, qui respirent mieux à cause du vaste jardin, en train de devenir un parc sauvage, tout hérissé d’insectes et de plantes.

«D’un autre côté, garder l’hôtel et vendre seulement les dépendances, c’est-à-dire les bâtiments des cours, les galeries et l’église, ce serait une plus mauvaise solution que de conserver ces laides bâtisses du règne de Louis-Philippe; car celles-ci seraient immédiatement remplacées par de plus laides choses encore: des maisons à loyers. Il ne faut donc pas, sous quelque prétexte que ce soit, s’arrêter à cette idée. Examinons s’il n’y en a point une autre préférable.

«D’abord, il y a la question du quartier, dont nous parlions tout à l’heure. Eh bien, un moyen la satisfait pleinement. Oui, qu’on ouvre dès maintenant le vaste jardin, tout grand. Ce serait un magnifique don. Et quel noble voisinage pour le dôme rayonnant de l’hôtel des Invalides! Il est là, tout proche, et sa grandeur ne souffrirait pas du contact des laides maisons d’aujourd’hui. Que le conseiller municipal, intéressé, nous entende donc! Il a beau jeu, cet édile, pour défendre qu’on lotisse ce parc. Au nom de la beauté de la Ville et au nom de l’hygiène publique, il peut faire triompher d’abondantes et irrésistibles raisons. Que messieurs les architectes, pour une fois, gardent en leurs cartons leurs plans tout faits, taxés comme n’importe quelle autre marchandise. Nous préférons, nous, les arbres et les fleurs. Et alors on songera à l’hôtel lui-même, pour lequel il me paraît qu’une solution s’impose avec une éclatante force: c’est qu’il faut faire de l’hôtel Biron un musée Rodin.

«Tous les vrais artistes, d’ailleurs, ont déjà pensé peut-être à cette si simple chose. Car, le maître incontesté de la statuaire contemporaine et de beaucoup d’autres temps, n’a pas attendu notre proposition pour installer dans l’hôtel de nombreux chefs-d’œuvre. Déjà, dans de hautes et vastes salles qu’il loue, il déploie encore les frénétiques mouvements de la vie expressive. Regardez. Dans les salles du rez-de-chaussée, des marbres, les uns à peine ébauchés dans la gangue du bloc, les autres terminés, émerveillent. Dans les salles du premier étage, voici les rares dessins qui chantent au long des murs les nobles harmonies de la Beauté! N’est-ce point là l’acheminement précis vers le musée Rodin?

«A vrai dire, la chose est depuis longtemps moralement entendue. Elle vient naturellement après le musée de la dernière Exposition Universelle et après le musée de la villa des Brillants. Nous avons vu, en effet, en 1900, quel metteur en scène est l’illustre maître; à Meudon, il a fait mieux encore: il a dépassé son propre génie. Allez à sa villa des champs, et vous en reviendrez éperdu d’enthousiasme et de joie profonde. Ce n’est pas un sanctuaire, comme on le répète, sans esprit, c’est une magnifique floraison d’incomparables œuvres. Craignez de voir un jour tout ce splendide labeur dispersé aux enchères; et, prévoyants amoureux des statues superbes, demandez plutôt sans tarder qu’on transporte beaucoup des œuvres du musée de Meudon dans l’hôtel Biron.

«D’ailleurs, il n’y a nulle audace à réclamer cela. Qui protesterait, en effet, contre un acte de si haute justice artistique?... Il nous semble, présentement, que des siècles se sont écoulés depuis la malencontreuse «affaire» de la statue de Balzac. Oui, qui s’en souvient, si ce n’est pour rire, une fois de plus, de la sottise des juges? Or, à ce moment déjà, Rodin n’avait pas besoin de cette publicité: il appartenait au monde entier. A partir du jour où il nous montra la Porte de l’Enfer, il est resté le Maître sans rival. Profitons donc de ses vigoureuses années, et faisons-lui connaître notre projet.

«S’il nous approuve, une grande chose sera réalisée. Car il nous sera alors permis de revoir, aux heures enchantées de notre vie, les merveilleuses œuvres qui s’échelonnent de l’Age d’airain, au Penseur. Nous retrouverons ensemble la Faunesse, le Printemps, la Pensée, l’Emprise, les Bourgeois de Calais, si graves de douleur contenue; l’Homme au nez cassé, le Buste de Dalou; ses Mains d’expression, si tourmentées, si éloquentes; Eve, les Études pour le Balzac, le Balzac lui-même, formidable comme un colosse Memnon; le Saint-Jean, l’Appel aux armes, la Chute d’Icare, Adam et Eve; le Monument à Victor-Hugo, etc., etc., marbres, bronzes et plâtres.

«Ce qui est certain, en tout cas (terminions-nous), c’est que l’on ne peut garder indéfiniment l’hôtel Biron dans l’état actuel. Ses pierres verdissent, se disjoignent, et des ravenelles y tremblent au moindre souffle du vent; et, bientôt, si l’on n’y prend garde, ce sera une pauvre chose abandonnée, presque une «vieillerie». C’est tout juste même si l’on ne continue pas à y voler, comme on l’a fait déjà, des rampes d’escaliers, des grilles, des sculptures ou des boiseries. Du dehors, les gamins jettent des pierres dans le jardin, et ils ont la tentation d’y entrer, comme ils pénètrent dans les terrains vagues. Profitons donc, je le répète, de ce que Rodin a pris asile en ces murs et installons-le commodément. Quoi! nous avons un génie bienveillant et prêt à nous charmer pour maintenant et pour plus tard! Qu’attendons-nous donc pour l’accaparer? Et c’est peut-être, du reste, aisé à entreprendre. Essayons. Des amis de Rodin sauraient, au besoin, l’amener même à préparer, à organiser son musée. Et alors la dolente et grave «maison», où frémissaient les oraisons, redeviendrait enfin auguste, comme il sied à une demeure ancienne parée d’un majestueux escalier de pierre et de spacieuses salles.»

Notre appel fut tout de suite entendu. Au mois de novembre de cette même année 1911, Mlle Judith Cladel, qui a hérité du noble et beau talent de son admirable père, que Hüysmans appelait: le François Millet de la littérature, Mlle Judith Cladel, reprenait mon article en faveur du musée Rodin.

«Le vœu de l’artiste (Rodin), disait notamment Judith Cladel, le vœu de l’artiste s’est rencontré avec celui de ses admirateurs. Son plus ardent désir, au seuil de la vieillesse, est qu’on le mette à même d’achever sa vie de labeur et de pensée dans la noble maison qui l’abrite actuellement, et qu’on l’autorise à y fonder un musée.

«En échange de quoi, il est prêt à léguer à l’État:

1º Toute son œuvre en sculpture;

2º Tous ses dessins;

3º L’importante collection d’antiques qu’il a rassemblée en ces quinze dernières années.»

Et, plus loin, il était ajouté:


HOTEL BIRON.

LA GRANDE

SALLE DU

REZ-DE-CHAUSSÉE

Cl. Lémery


«Il est nécessaire de stipuler que Rodin souhaite obtenir uniquement la jouissance du pavillon.

«L’État disposerait à son gré du jardin. Bien entendu, l’artiste ne toucherait en rien aux proportions harmonieuses des salles de l’hôtel, auxquelles attenterait forcément toute autre installation. Le pavillon n’est pas très vaste et il serait, certes, complètement occupé par les œuvres et les collections mentionnées ci-dessus.»

D’accord avec Rodin, avec qui je restais en contact, il était encore dit:

«Les salles du musée Rodin seraient ouvertes au public du vivant de l’artiste, à mesure de leur aménagement. Le sculpteur en assumerait la charge ainsi que les frais de la mise en état des locaux.»

Enfin, après avoir constaté que les pays étrangers ont réservé, eux, de vastes salles à Rodin,—notamment le Musée Métropolitain de New-York,—il était conclu:

«Il faut créer un musée Rodin à l’hôtel Biron. Il faut offrir ce cadeau au Paris du travail et de la pensée. Il faut ajouter toujours au patrimoine d’art qui fait la France si grande et si aimée.»

Une sorte de «pétition» s’ensuivit. Elle fut présentée aux hommes de lettres, aux artistes et aux hommes politiques. Les adhésions vinrent, nombreuses.

En voici quelques-unes.

Claude Monet écrivit:

J’adresse mon adhésion complète à votre projet d’un musée Rodin, heureux de témoigner mon admiration au grand artiste.

Octave Mirbeau:

Rodin à l'hotel de Biron et à Meudon

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