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L’HOTEL BIRON DÉCHU.—UNE TRIBU DE LOCATAIRES. ART ET ESPIONNAGE.

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Avec l’entrée d’un liquidateur, du coup l’hôtel Biron chut dans un exceptionnel bran. A grand tapage, une horde accourut pour installer ses poux dans tous les coins et recoins de l’hôtel. Il s’était agrandi. Les sœurs avaient bâti de nombreuses annexes. C’était d’un déplorable ensemble; mais il ne convenait pas de s’en prendre à elles, seulement aux maçonniers du règne de Louis-Philippe.

Pendant des jours et des jours, des ivrognes velus coltinèrent jusqu’à l’hôtel Biron le douteux amas des mobiliers sordides. Par la grande porte de la rue de Varenne, on vit passer des sommiers défoncés, des chaises cassées, des matelas qui perdaient leurs tripes, des pots égueulés, des cages d’oiseaux, des vases infâmes. C’était le peuple qui emménageait dans la première cour, dans l’annexe à locatis sise alors sur la gauche de la façade principale.

Le liquidateur avait fait le vide; il le remplissait avec des fonds de composts.

C’était, indubitablement, un sérieux appoint pour le fameux milliard!

Nous nous souvenons, nous, de ces aimables emménagements opérés à coups de gueule, avec des vociférations, avec des tombereaux d’insultes. Une marmaille geignait, des chiens hurlaient; à celle-là et à ceux-ci, pour se distraire, on leur caressait les reins.


HOTEL BIRON.

FAÇADE SUR

LE JARDIN


C’est cela qui est pour nous gravé, quand nous nous reportons à ce bien louable moment. Jamais l’époque ne retrouvera un plus complet épanouissement! Ce fut, vraiment, une apothéose du «peuple souverain», un unique gala d’ivrognes! Les beaux temps de la Révolution revivaient par ces mégères qui s’invectivaient, par ces galope-chopines qui hoquetaient en poussant des charrettes. Pendant ces heures-là, le liquidateur, égayé, souriait.

Il ne loua que plus tard l’hôtel même, que protégeait alors une grille. C’était le «morceau» royal.

A ce moment, une autre horde se précipita. Tout ce que Paris recelait d’Autrichiens, de Turcs et d’Allemands s’abattit en trombe dans les chambres, heureusement dépouillées de tous ornements, de l’hôtel Biron.

Tout fut pris d’assaut, excepté la rotonde du rez-de-chaussée et la chapelle.

La douce France vécut alors d’enviables heures. Ces nouveaux hôtes, déclarés peintres ou sculpteurs, en réalité espions, travaillèrent avec un soin extrême pour le roi de Prusse. Ils s’efforcèrent bien de donner le change; ils exposèrent certes leurs basses-œuvres; et ils offrirent des «thés artistiques» à des Parlementaires et à des Français de cercles; mais, le plus clair de leur temps, ils le passaient dans leurs ambassades respectives; et, au sortir de ces profitables entretiens, ils pétaradaient, les bons sires; ils multipliaient les questions et les enquêtes; ils devenaient féroces dès qu’ils avaient avalé le mot d’ordre de leur empereur!

On les laissait si libres, il est vrai! Le soir, quand, leur belle journée accomplie, ils se délassaient de leurs travaux divers, quels ricanements explosaient sur le balcon, d’où l’on domine le jardin! Ce qu’elle était vilipendée, la benoîte France, si accueillante aux étrangers, à toute la clique des ostrogoths et des visigoths! Ce qu’on la bafouait, la terre hospitalière aux welches et aux détrousseurs de grandes routes! Le liquidateur, cette bonne âme, n’avait, du reste, de tendresse que pour ces espions, retenant de leurs doigts crochus et de leurs dents pourries la délicate proie; peintres et sculpteurs devisaient là-haut dans la majesté du dôme des Invalides; peintres et sculpteurs bassement médiocres, et tellement que, maintenant qu’ils sont balayés, l’hôtel Biron, parfois, sue encore leur ordure putride.

Et les jours s’écoulaient; et personne ne protestait contre cette affectation de l’hôtel Biron. Aussi bien, l’État ne savait que faire de cet hôtel, qu’on lui avait garanti intéressant, et qu’il n’avait acheté que parce que M. Aristide Briand l’avait voulu.

Car il faut que l’on sache (tant d’erreurs courent encore à ce sujet), que c’est à l’actuel président du Conseil que l’on doit l’achat de l’hôtel Biron, de ses dépendances et de son parc. Les affiches de vente étaient déjà apposées quand M. Briand survint, et, avec sa vigilante clairvoyance, fit acquérir par l’État, pour une somme singulièrement minime, un beau spécimen de l’architecture civile du XVIIIe siècle, un vaste parc, et une annexe si importante, au fond de ce parc, que, depuis, le lycée de jeunes filles Victor Duruy a pu s’y installer.

Les seuls devis relatifs à une telle installation faite ailleurs (achat de terrains et construction des bâtiments), eussent nécessité toute la somme consacrée à l’achat global de l’hôtel Biron (hôtel proprement dit, parc et annexe Victor-Duruy). On voit par là que tout véritable homme de gouvernement n’a pas forcément la tête à l’envers, comme tel turbulent rhéteur promu à la fonction de premier Ministre!

Mais, l’hôtel acheté, la comédie commença.

Qu’allait-on faire de cette acquisition?

Serait-elle dieu, table ou cuvette? Mystérieux et angoissant problème!

Pendant de longs mois, on le tourna et on le retourna dans tous les sens. Puis le problème chut de lui-même dans les cartons les plus hermétiques de l’Administration.

Tous les ans, un rapporteur du budget dit des Beaux-Arts l’en tirait, toutefois, pour ânonner d’insuffisantes rengaines; et, tour à tour, le bavard proposait d’installer dans l’hôtel Biron le ministère de la Justice, un music-hall ou... le palais des souverains (en oubliant, naturellement, que les rois catholiques ne mettraient jamais les pieds dans ce bien pris à l’Église).

Et les jours passaient; et l’on ne trouvait décidément rien, touchant cette encombrante acquisition.

La horde des locataires ne se plaignait naturellement pas de cet état de choses; et les espions, eux, se croyaient revenus au beau temps de Blücher.

C’est alors qu’un sculpteur se présenta et loua la rotonde du rez-de-chaussée.

Ce sculpteur, c’était Rodin.

Rodin à l'hotel de Biron et à Meudon

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