Читать книгу Rodin à l'hotel de Biron et à Meudon - Gustave Coquiot - Страница 12

NOTES D’ALBUM

Оглавление

Table des matières

Au jour le jour, Rodin, avons-nous dit, se complaît à noter des impressions; il les note d’après nature, d’après toute la Nature; et, chapitre par chapitre, le tout compose l’œuvre d’un poète.

Nous avons choisi quelques-unes des fleurs de cette rare corbeille, mais nous n’avons pas voulu les séparer à la façon d’un botaniste; nous les avons, au contraire, mêlées, pour mieux rappeler qu’elles furent ainsi cueillies, tantôt d’une manière, tantôt d’une autre, et toutes, à la fin de la journée, réunies en gerbe.

C’est ainsi que l’on trouvera des «Pensées» sur la statuaire, sur des paysages, sur les femmes, sur la vie.

Voici ces «Pensées» que Rodin qualifie lui-même de notes d’album.

*

* *

Ce réveil:

Le matin vierge se retire, sa pudeur s’évanouit: le soleil avance. Ces grands arbres ont comme feuillage des petits nuages. Un coq chante pour saluer. Une femme passe: elle porte dans ses bras un tout petit enfant; elle me l’offre comme salutation amicale. Elle donne le bonheur par ses yeux. Il est consolant de voir de l’enthousiasme.

*

* *

Intimité:

«J’aime la grâce du XVIIIe siècle. J’aime la sécurité des modestes artistes. Comment ne l’aimerais-je pas, c’est elle qui m’a fait vivre! J’y trouve une aide à mon talent; j’y trouve déjà des souvenirs heureux. Rappelons avec reconnaissance ce que nous savons du charme de la vie aux siècles précédents. Ne laissons pas que des critiques de nous; faisons quelque chose qui ne se vende pas, qui ne soit pas pour l’éloge, qui reste!...»

*

* *

Parterre:

«La beauté des fleurs; leurs mouvements comme nos mouvements expriment leurs pensées.»

*

* *

«Les mouvements marquent la folie de la fleur, sa vieillesse.»

*

* *

Cette petite statue dans le jardin:

«Ce petit antique qui serait Louis XIV...»

*

* *

Simple note:

«Un bouleversement de beauté dans ces nuages éclatants.»

*

* *

Dans le jardin de l’hôtel Biron:

«Le ciel est comme un lac bleu semé de nénuphars, les nuages. Il y a une telle abondance de beauté, un tel bouleversement des forces qui s’épanouissent, nuages, arbres; l’hiver était il y a quinze jours mêlé à cela.

«Assis au pied des marches de l’hôtel, mes yeux ne rencontrent que la grâce Régence, la sphère Louis XIV des Invalides.

«Assis et entouré de lumière, je supporte la beauté dans tous ses rayons.

«...N’être pas venu à la vie et être resté dans le néant, ne jamais avoir vécu... quelle morne misère!

«Ici, le carré s’ouvre; ce mur massif de verdure, arbres chandeliers à sept branches portant des fleurs au lieu de bougies; la haie haute et amie est dessous. Tous ces dessins confondus m’entrent et me pénètrent au fond. Ce n’est plus un dessin linéaire, c’est l’action,—l’action de tout sur moi.»

*

* *

Ce cri:

«Comme on doit être ménagé de la vie, de cette œuvre, de ce chef-d’œuvre! Mais on le détruit, c’est la mode. Comme les nègres qui courent après l’eau de feu. Le poison est notre désir, celui de l’envie, quand il y a un ciel et des arbres pour tous.»

*

* *

Lumière:

«Le soleil, l’époux radieux, a maintenant l’avantage de ce délicieux printemps qui sera moins parcimonieux...

«J’ai été obligé de fermer les yeux de trop de lumière; et chaque fois que je les rouvre, je suis assailli par cet amour immense de la Nature qui se montre à demi. Mais quand vous l’aimez, elle pénètre le poète.»

*

* *

Ces cris:

«La Foi moderne protège et conserve l’âme antique.»

*

* *

«Comme mon cœur a senti le respect pour ce monde dont je fais partie!»

Fleurs:

«Elles marquent, par des bras et des mains, des profils parlants et désignants.

«Aujourd’hui, elles sont relevées comme des candélabres.

«Elles s’offrent à tenir des lumières. Une seule est tombée droite, tête en bas, comme un serpent.»

*

* *

Paysage:

«Les tilleuls d’hiver coupés sur la place de l’Église. Tout près, la multiplicité de ces vies abandonnées, feuilles mortes comme les morts des batailles.»

*

* *

Ces paysages encore:

«Barbarie de ne savoir se servir de ses yeux. La route gracieuse qui plus loin se détourne; l’étang et son joli geste circulaire à travers les arbres.»

*

* *

«Ces frottis rugueux, épineux, sont des arbres à l’horizon; sur une bande de ciel, la misère des arbres.»

*

* *

«Roulent des nuages lourds...»

*

* *

«Arbres d’une douceur de convalescence...»

*

* *

«La jeunesse du ciel sur ces arbres encore endormis.»

*

* *

«C’est une fresque de l’Angelico, le contour se dissout dans le bleu céleste...»


DESSIN AQUARELLÉ

Cl. Lémery


«Quand la feuille morte est bien sèche elle s’épuise à voler comme un oiseau; folle, elle tournoie.»

*

* *

«Ce val charmant commence à se cacher par les feuilles qui poussent.»

*

* *

«Le bourdonnement du beau temps.»

*

* *

«Ces arbres tournent, ce bonheur m’entraîne loin.»

*

* *

«Tous ces arbres d’hiver sont des paysages de légende.»

*

* *

«L’étang n’est pas gai aujourd’hui... Un corbeau a longtemps regardé et s’est envolé... plus rien!...»

*

* *

Architecture:

«La cathédrale est la fête des yeux et des ombres.»

*

* *

«Palais des dieux partis avec la beauté condamnée pour crime de noblesse...»

*

* *

Intimité:

«Mes dernières années sont couronnées de roses; les femmes, ces dispensatrices, m’entourent; et rien n’est si doux!»

*

* *

Paysage:

«C’est vide de soleil, ce matin; il y a des jours inanimés. Est-ce de ma faute?»

*

* *

Intimité:

«Je n’ai plus de longues heures d’amour, elles me sont mesurées maintenant.»

*

* *

Paysage:

«Auprès des murs noirs de la vieille église voltigeaient les premières feuilles des tilleuls.»

*

* *

Ce cri:

«Avec quelle ardeur je me jette dans les musées! combat où je perds mes armes.»

*

* *

Danses:

«La danse est de l’architecture animée.»

*

* *

«Je vois les couples danser, le jouet naturel s’essayer à la cadence, suprême éloquence de la jeunesse.»

*

* *

Paysage:

«Ces rouges carmins attirent les yeux sur la maison et la rendent amicale.»

*

* *

Sculptures:

«Les belles lignes sont éternelles, pourquoi si peu les employer?»

*

* *

«Cette tête renversée, bras levé et interrompu, léger dans le sommeil. Cette épaule haussée, ce bras derrière le dos. Une marque dans les sourciliers, comme un peu de souffrance satyrique. C’est un petit bronze italien. La charmante, elle était Louis XVI, il y a deux mois, dans une autre esquisse.

«Ces doigts touchent et rejoignent les talons, sans les étreindre; elle est aussi comme un arc tendu. La tête, rieuse, lance le trait.»

*

* *

Danse:

«Quand la femme danse, l’atmosphère est ravie et lui sert de draperie.»

*

* *

Modèle:

«Elle vint à nous dans une grâce infinie parce que la petite est belle. C’est son attitude qui parle loin de nous, c’est le plan gracieux.»

*

* *

Pensée détachée:

«...La mort est un reposoir pour un plus céleste destin...»

*

* *

Corbeille de fleurs:

«Les fleurs ont inspiré les toilettes, ont inventé les soies, les couleurs, les rubans, les ruchés, les nœuds, les volants, les étendards, les chapeaux et l’ensemble des pensées de la femme. Celle-ci leur rend des soins et ne les laisse pas loin d’elle. Elles ont tant de choses à se dire, des choses voluptueuses. Toutes les deux savent la valeur du temps; elles fleurissent avec ardeur longtemps dans les festins; leur grâce adoucit notre brutalité.»

*

* *

Paysages:

«...Je note ces belles choses pêle-mêle avec des éclats de soleil, avec des feuilles ensoleillées, gloire de l’heure déclinante...

«Tout à l’heure tout sera inondé, et le parc sera pareil aux femmes qui ne laissent que des éclairs dans l’esprit des hommes et qui les attirent par le mystère.

«L’allée est un tapis de velours vert, l’armature du jardin ne se voit plus. Ah! profondes après-midi passées ainsi!... Le vent s’élève, et près de moi des branches s’agitent, saluent, soupirent...

«Ma chienne plonge dans l’herbe comme dans l’eau, y fait un trou et s’y couche comme une œuvre sculptée...»

*

* *

«La mélancolie naturelle des herbes qui les prend après les premiers jours et les courbe les unes sur les autres...»

*

* *

«C’est une erreur de croire que les arbres peuvent croître et envoyer des branches au point de détruire les beautés du jardin; ils s’ordonnent eux-mêmes et malgré le jardinier. Ils couronnent la beauté sans y contredire.»

*

* *

«N’avez-vous jamais vu comme un jardin sans jardinier est joli de lui-même?»

*

* *

Pensée détachée:

«Dans l’univers, il y a des lois urgentes, fatales, immuables. Il faut! Il y a aussi mille grâces qui entourent cette fatalité.»

*

* *

Pensée:

«Aujourd’hui, c’est le printemps avec ses lointains, ses coteaux d’un gris heureux, les fleurs des arbres fruitiers; l’atmosphère est en fleurs.

«Mon cœur est une chapelle ardente; je suis plein de reconnaissance et, par un retour délicieux, mes souvenirs m’escortent ce matin. Je reprends mon passé, ces études charmantes qui devaient me faire aimer la vie terrestre, qui m’ont donné le goût et le secret de la vie.


DESSIN AQUARELLÉ Cl. Lémery


«A quoi dois-je cette faveur? Evidemment à mes longues promenades qui m’ont d’abord fait découvrir le ciel.

«Au modèle terrestre, ensuite, qui, sans parler, pour ainsi dire, a fait naître mon enthousiasme et ma patience, et ma recherche et ma joie de comprendre la fleur humaine. Mon admiration s’est toujours élargie depuis et peut-être perfectionnée par de rares et chères affections, et aussi par de tels printemps où la terre envoie son âme fleurie à la surface, pour nous montrer sa bonté.

«Quel bonheur que j’aie eu un métier qui me permette d’aimer et de le dire!»

*

* *

Femmes:

«La femme, ce modèle, ce temple de vie où les plus tendres modelés peuvent se répéter, où les lignes, belles et difficiles, enflamment davantage, et où le fragment, le buste, est un chef-d’œuvre entier!»

*

* *

«Voilà le miel que j’ai amassé sans réserve dans mon cœur. Il me fait vivre dans la gratitude que je dois à Dieu et à ses créatures, ses éloquentes envoyées.»

*

* *

Architecture:

«Ce noir profond et éloquent, ce n’est plus noir, mais nourriture de haut goût.

«C’est la profondeur, ce principe actif qui a été la beauté du moyen âge et de tous les temps.»

*

* *

Pensée détachée:

«Le passant ne veut pas que cette fille soit belle; il a des modes, des instructions; mais elle, la nature, lui donne des gestes modestes triomphants.»

*

* *

Ce croquis:

«Une voiture chargée de légumes, chargée d’enfants; un petit âne traîne le tout.»

*

* *

Cathédrales:

«Voir ces œuvres à travers des larmes de joie.»

*

* *

Pensées détachées:

«Instinct qui retrouve l’instinct quand il y a eu des intervalles, et comme la race retourne à sa source!

«Comme je sens en moi la joie des artistes d’autrefois et leur naïveté féconde: cœurs sensibles où l’art était la vie, non le luxe.»

*

* *

«J’ai trop de richesses en admiration, aussi les barbares m’attaquent.»

*

* *

«Je propose que tout ce qui n’a pas été restauré: églises, châteaux, fontaines, etc., soit l’objet d’un pèlerinage.»

*

* *

«...Je m’étendrai dans la nature et ne regretterai rien...»

*

* *

«Je ne m’appelle pas une église, je m’appelle le Passé!»

*

* *

«Le vieillard s’écarte du bruit; il fait l’apprentissage du silence et de l’oubli.»

*

* *

Paysages:

«Ici, c’est la simplicité du Giotto; un bout de route blanche, le talus, un arbre roussi; la hauteur cache toute perspective; le vent seul passe sur la route...»

*

* *

«Comme nous imitons ou plutôt comme nous sommes la nature!

«Ces nuages n’ont pas plus de caprices que nous; nos âmes et nos pensées sont fuyantes aussi...»

*

* *

«La reconnaissance des matins où le monde sent la bénédiction de la lumière.»

*

* *

«Ce qui est beau dans le paysage, c’est ce qui est beau en architecture, c’est l’air; c’est ce que personne ne juge: la profondeur.»

*

* *

Pensées détachées:

«Quand j’étais jeune, je ne trouvais pas les enfants beaux; je regardais le nez, la lèvre, l’expression.

«J’étais un ignorant, il faut voir l’ensemble.»

*

* *

«La grâce est un aperçu de la force.»

*

* *

Tanagras:

«Ce qui est dans les Tanagras, c’est la nuance féminine; c’est la discrète grâce des membres drapés qui exprime le retrait de l’âme.»

*

* *

Pensée détachée:

«Un escargot est passé sur la route, a fait une trace humide. J’ai regardé; cet insecte avait fait un tracé d’une moulure superbe, sa trajectoire; ce qui fait penser que ce que nous appelons hasard est une loi comme celle qui fait vivre nos organes sans nous consulter.»

*

* *

Sculptures:

«Cette main sur la tête, cette statue qui ressent le choc de sa douleur.»

*

* *

«La douce vie qui serpente, coule le long de la robe ouverte, s’arrête à la gorge.»

*

* *

Femmes:

«Je ne savais pas que, méprisées à vingt ans, elles me charmeraient à soixante-dix ans.

«Je méprisais parce que j’étais timide.»

*

* *

Hôtel Biron:

«Appellation nouvelle: Les Charmettes de Paris.»

*

* *

Femmes et statues:

«Les yeux fermés, c’est la douceur des temps écoulés.»

*

* *

«Le tranquille beau temps de ces yeux.»

*

* *

«Cet œil d’enfant sous la paupière d’une femme.»

*

* *

«Tu as été moins barbare, femme grecque; plus simple dans ta politesse exquise!»


DESSIN AQUARELLÉ Cl. Lémery


«Ces yeux dessinés purement comme un émail précieux.»

*

* *

«L’éblouissement d’une femme qui se déshabille fait l’effet du soleil perçant les nuages.»

*

* *

«Quel est ce chef-d’œuvre que je ne connais pas, du pur grec d’Olympie, la plus divine figure que j’aie jamais vue? Il faut que ce soit elle ou moi qui fussions barbares autrefois.»

*

* *

«Vénus, Eve, termes faibles pour exprimer la beauté de la femme.»

*

* *

Parterre:

«Toutes ces fleurs attendent le poète qui les marquera d’une qualité nouvelle, d’un nom nouveau.»

*

* *

Danse:

«La prodigieuse petite amie qui la danse est conquérante comme la flamme; Minerve archaïque, elle s’avance,—la gentille pose!»

*

* *

Architectures:

«Doucine est le nom de la moulure française.»

*

* *

«Les gracieuses maisons de Bruxelles, on les démolit. Il faut se distraire.»

*

* *

«Dire qu’il y a un pays qui a trois cathédrales qui peuvent s’apercevoir de loin, dont le «retentissement» de l’une n’est pas fini, que l’artiste aperçoit l’autre!»

*

* *

Sculpture:

«Le beau est comme un Dieu! Un morceau de beau est le beau entier.»

*

* *

Pensée détachée:

«Quel dommage que les fils osent défaire des œuvres des pères, mais c’est la vie des vivants! Quel abus de la force de vivre!...»

*

* *

Cathédrale de Beauvais:

«Où est la foule qui devrait être à genoux ici, les pèlerins du beau? Personne!

«Ce monument est seul, isolé, sans admiration, quelle époque traverse-t-il? Il parle, pour qui?... Le vent ne l’a pas quitté, lui, depuis des centaines d’années!...»

*

* *

Sculpture:

«J’ai cherché toute ma vie la souplesse et la grâce. La souplesse c’est l’âme des choses.»

*

* *

Pensée détachée:

«A l’Institut, ils ont empaillé l’Antique!»

*

* *

Architecture:

«Je n’affectionne plus les villes noyées dans leurs nouveaux quartiers insignifiants.»


DESSIN AQUARELLÉ Cl. Lémery


«Bien des choses ont faibli, se sont désanimées par le formidable gothique. Je crois bien que l’on ne comprend pas tout, mais les sensibles reprennent où la science est trop courte.»

*

* *

Sculpture:

«Phidias, le plus sévère des sculpteurs.»

*

* *

Cathédrales:

«...Et notre pauvre société, qui paraît se briser en tout, reprendra peut-être son harmonie si la main des marchands du temple ne déchire plus ces voiles de pierre.»

*

* *

Architecture:

«Ces maisons de Gand sont des guipures, des dentelles sur le bord noir du fleuve.»

*

* *

Pensées détachées:

*

* *

«Dire que l’on changera tout cela, c’est l’aspect du bonheur, cette vie antique.»

«Comment voulez-vous qu’on déserte l’église qui a des siècles de beauté accumulés?»

*

* *

Architecture:

«Ce n’est pas une église, c’est un parfum; le ravissement, c’est son action. Ces chefs-d’œuvre de grâce française attendent la bonne volonté des Commissions historiques comme les chiens à la fourrière.»

*

* *

Pensée:

«Mon enthousiasme, ma patience, ma joie de comprendre la fleur humaine!»

Sculpture:

«Une chose est quelquefois moins à sa place au milieu que sur le côté. Figure dans un fronton...»

*

* *

Architecture:

«Ainsi, ce sont des valeurs de syntaxe. La tête, le bras, la jambe, le corps s’emploient comme des ornements, des refends, des guirlandes, des mascarons... Calculez ceux-ci et ceux-là pour la distance, pour la moulure; c’est un dosage d’architecture...»

«Michel-Ange, c’est la respiration de la vie. L’esprit humain touche ici le sublime, sans toujours le voir. Ces grandes maturités de la pensée.

«L’architecture de Michel-Ange est au point sans effort, ainsi que la beauté d’une femme. Cette beauté juxtaposée sans contraction enguirlande la courbe, s’avance, retombe, rejoint son point d’arrivée sans heurt. Tout se transmet, tout se réunit sans contact désagréable.

«Tout cela s’harmonise par mesure de beauté, les entournures des entablements sont à l’aise; toute la Renaissance, du reste, est de cette marque. Cet art ayant été longtemps tenu en ogive, s’est détendu en arc; on ne savait pas combien le gothique qui mène à la grâce en recélait... La Renaissance, son fruit, en est sorti tout naturellement...

«Michel-Ange respire la beauté.

«Le gothique est toujours un farouche architecte; mais c’est un arc sévère et brisé qui devient arc-en-ciel...»

*

* *

Sculptures:

«Je veille la beauté étendue comme une chère morte; elle est enfouie dans l’ombre; et, comme de l’eau, émerge quelque îlot de douces chairs.


DESSIN AQUARELLÉ Cl. Lémery


«C’est la mélancolie des plus noirs tombeaux cette volupté couchée, tandis que les autres points du corps retournent au nocturne des fonds.

«Ah! Eurydice, je te retrouve et je repousse les ombres. Ah! est-elle parfaite cette forme que soutient la nuit, on dirait éternelle!

«Ah! ces reflets de bronze! Cette forme réjouit mon cœur et mes yeux. Ah! ce corps échoué, enlisé dans l’ombre, dans ce bain d’ombre!»

*

* *

«En somme, ce sont des vertus de profondeur, d’opposition, de légèreté, de puissance qui valent; mais non de ces détails qui ne sont bons que pour eux-mêmes, véritables fioritures inutiles s’ils ne sont rien par relation pour le mouvement.»

*

* *

Antique:

«La divinité du corps humain a été obtenue à cette époque, non parce qu’on était plus près de l’origine, car nos formes sont demeurées toutes pareilles, mais la servitude de maintenant a cru s’émanciper en tout, et nous sommes désorbités. Le goût manque.»

*

* *

Sculpture:

«Il y a une science profonde et qui ne se révèle ni en paroles ni en actions. Il y a quelquefois une forme qui nous est peu familière, mais qui, cependant, correspond à tout par le principe du modelé.»

*

* *

«Cette bouche gonflée, saillante, abondante dans ses expressions sensuelles.»

«Les bronzes de Pompéi dans leurs découpés les plus élégants, les profils de statues grecques du bon siècle, l’entente de l’effort le plus discret, la draperie la plus collée, la finesse gothique et égyptienne, autrement dire que ce n’est pas un art isolé; il apparente à l’antique de différentes nations cette arrivée presque en même temps de la perfection antique à la même mesure la plus rigoureuse. C’était l’originalité d’alors.»

*

* *

«Ce juste principe qui enveloppe le corps par une rigoureuse unité, une grâce des mouvements.»

*

* *

Pensée:

«Cette beauté fondamentale qui demande que l’intelligence de l’homme sauve les monuments et l’ornement, alors que, anonyme, il est un premier traducteur de l’homme.»

*

* *

Sculpture:

«La souplesse, c’est la loi actuelle vraie, c’est la vie; c’est la possibilité de plusieurs vies, de plusieurs mouvements de la vie. Mouvements se succédant et commandant.

«Musique délicieuse des membres.»

*

* *

«Ces soupçons de modelé! Le brouillard du corps. Comme dans une chose divinement réglée, il n’y a pas dans ces corps d’indice de révolte; l’on sent tout à sa place. On comprend la rotation du bras même au repos par l’examen de l’omoplate, par sa saillie, la cage, l’admirable attache des côtes reprise par les dentelés pour tenir fixés l’omoplate et son service. Et le flanc qui continue ce torse étranglé ici, serré là, puis se développant pour articuler deux cuisses, deux bielles, deux leviers, angles parfaits, jambes délicates qui jouent sur le sol...»

*

* *

«Il est inouï de penser ce que l’on peut faire en employant les règles inutiles des dessins, alors que la règle des plans est la seule règle utile qui ordonne tous les dessins. Le purisme est inutile, alors que le principe n’y est pas; et souvent ce n’était qu’une ornementation qu’on demandait.»

*

* *

«Ces quelques grands plans qui enferment la forme et le sujet; cette syntaxe, c’est la grandeur même comme sujet avant le sujet.»

*

* *

«Cette ombre va de proche en proche, travaille le chef-d’œuvre, lui donne ce qui charme, la morbidesse profonde venant de l’obscur,—cet endroit où elle reste si longtemps.»

*

* *

Sculpture d’Extrême-Orient:

«La tendresse de la bouche et de l’œil ont besoin d’être d’accord.»

*

* *

«Ces lèvres sont comme un lac de plaisir que bordent les narines palpitantes si nobles.»

*

* *

«La bouche dans des humides délices ondule sinueuse, en serpent; les yeux, fermés, gonflés, fermés d’une couture de cils.»

*

* *

«Les ailes du nez sur un plan rempli se dessinent tendrement.»

*

* *

«Les lèvres qui font les paroles, qui se meuvent lorsqu’elles s’échappent. Un si délicieux serpent en mouvement.»

*

* *

«Les yeux qui n’ont qu’un coin pour se cacher sont dans des puretés de lignes et dans des tranquillités d’astres blottis.»

*

* *

«Le tranquille beau temps de ces yeux, le tranquille dessin, la tranquille joie de ce calme.»

*

* *

«Cet œil reste à la même place avec son compagnon; il est dans un abri propice, il est voluptueux et lumineux.»

*

* *

«Ces jambes aux muscles allongés ne contiennent rien que la vitesse.»

*

* *

«Ces ondulations figées sont la statue. Les styles ont le plus ou moins de longueur dans les ondulations.»

*

* *

«Bouche, antre aux plus douces paroles, mais volcan pour les fureurs.»

Rodin à l'hotel de Biron et à Meudon

Подняться наверх