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COMME DE NOTRE TEMPS.—UN FRISE-TOUPET HEUREUX. L’HISTOIRE D’UN HOTEL CÉLÈBRE.

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Table des matières

LE XVIIIe siècle ressemble étrangement, par ses filous, au siècle que nous avons le malheur d’entamer. C’est pourquoi le XVIIIe siècle nous est si cher! A vrai dire, je crois même que de notre temps les voleurs pullulent et purulent plus excessivement; mais enfin, rendons grâce à un siècle qui va nous permettre de présenter un gaillard, alerte et résolu, qui sut «travailler» de façon à encore nous égayer, malgré tant et tant de bons «ouvriers» survenus depuis;—mémorable gloire de notre époque aussi peu sacrée que recommandable!

En Languedoc ou en Saintonge, l’annaliste Barbier (Journal de l’Avocat) ne précise pas plus expressément, vivait donc (nous sommes vers la fin du XVIIe siècle) un barbier-perruquier qui s’appelait tout court Perrin. On en fit Peirenc ou Peyrenc; et lui, pendant ce temps, il fit trois fils.

Ce n’était pas si mal opérer. Ou, du moins, le barbier-perruquier eût pu s’en tenir au premier de ses rejetons; car ce fut cet aîné qui, comme nous l’allons voir, assura le sort de toute la famille.

Quel prénom lui fut donné? Choix indifférent: Abraham,—aux environs de 1683, l’année de sa joyeuse naissance.

Le futur détrousseur poussa bien. Il se développa physiquement et moralement de manière à éblouir. C’était vraiment un lièvre de race. Aussi les compliments qu’on ne manquait point de lui offrir chaque jour l’étourdirent bientôt; alors, abandonnant sa petite ville nourricière, Abraham piqua droit sur Paris.

Arrivé, il prit le vent et il se mit à pratiquer le métier paternel. Il devint garçon-frater; et il courut par les rues pour poudrer l’un, pour coiffer l’autre.

Mais ce métier ne satisfit point ses goûts. Il se mit alors à chercher un plus louable emploi, comptant bien que sa mine accorte, son esprit et le reste lui procureraient, un prochain jour, une fort convenable situation.

A courir après la Fortune, on attrape, quelquefois, cette gueuse aveugle. Abraham tomba un jour, comme marée en carême, dans l’hôtel particulier d’un illustre tire-laine, qui cherchait justement un valet de chambre-barbier, bien fait, aimable et de propos spirituels.

Les deux hommes s’entendirent sur-le-champ. Il y a de ces touchants accords qui déroutent le plus précis pessimisme des plus amers misanthropes.

Le tire-laine s’appelait François-Marie Fargès. Il comptait parmi les plus riches et les plus honorables bourgeois de Paris. Sa vie offrait un exemple.

Ex-soldat, il était devenu, coup sur coup, munitionnaire des vivres, puis «conseiller-secrétaire du roi, maison et couronne de France et de ses finances!»—enfin «chevalier de l’ordre de Saint-Michel»!

«Il avait, dit, en l’enviant, un contemporain, le secret de ne pas payer un seul de ses créanciers.»

Noble figure!

Abraham l’admirait; et, d’autre part, il aimait.

Car Fargès avait une fille, alors âgée de seize ans; et l’oiselle, de son côté, se secouait aux œillades du valet de chambre. A son tour, elle aima.

Abraham, lui, ne perdit point de temps; il engrossa la donzelle, et si nettement que le mariage fut imposé, forcé; Fargès témoignant, en toutes occasions, on s’en doute, d’une tenace horreur du scandale.

C’était comme débuts pour Abraham un coup de maître; car il avait à peine vingt-deux ans, l’avisé frise-toupet.

Law opérait en ce moment à Paris. Tentante aubaine! Lesté de l’argent fourni par la fille Fargès, Abraham, nous raconte-t-on avec un plaisir manifeste, «se mit à brocanter et à négocier sur la place. Il avait plus de mauvaises affaires que de bonnes, mais, comme il n’avait rien à risquer, il hasarda tout dans le Système»; et la Fortune lui ouvrant les bras à son tour, il la viola et la détroussa.

Dès 1719, il se gonfla millionnaire, à peine âgé de vingt-six ans.

Mais il y avait, sur-le-champ, encore mieux à faire: s’anoblir!

Voilà donc Abraham Peyrenc en quête d’un titre à acheter, cherchant une terre, un nom sur le point de s’éteindre.

La duchesse de Brancas, veuve de Louis-Antoine de Brancas, duc de Villars, pair de France, chevalier des ordres du Roi, se présenta et vendit à Peyrenc la terre de Moras, près de la Ferté-sous-Jouarre. Désormais, Paris n’allait plus connaître l’ex-barbier que sous le nom de Peyrenc de Moras.

Heureux, matériellement, Peyrenc songea alors à s’instruire. «Il nourrissait toutes les ambitions, a écrit un contemporain; et il avait de l’esprit pour connaître les chemins par lesquels on se pousse dans ce pays.»

Il convenait de commencer par «prendre ses degrés». Peyrenc se mit à apprendre pour cela ce qu’il fallait de latin. Puis il se fit recevoir avocat, devint conseiller au Parlement de Metz, acheta une charge de maître des requêtes, en laquelle il fut reçu en 1722, et réussit enfin à se faire nommer chef du conseil de Mme la duchesse douairière Louise-Françoise, légitimée de France, mère du duc de Bourbon et duchesse de Bourbon, morte à soixante-dix ans, en 1743.

Entre temps, Peyrenc ne négligeait point sa famille. De ses deux frères, l’un, le cadet, nommé Louis, devint, grâce à sa protection, seigneur de Saint-Cyr et épousa Marie-Jeanne Barberie de Courteille, qui mourut le 24 juin 1723, à vingt-quatre ans, laissant une fille, Marie-Dominique Peyrenc de Saint-Cyr, laquelle épousait en 1735, le 14 septembre, François-Jean-Baptiste de Barral de Clermont, conseiller au Parlement du Dauphiné, puis président à mortier.

L’autre frère d’Abraham devint simplement—il n’avait point, celui-là, d’ambition—l’abbé de Moras, membre de la congrégation de Saint-Antoine, à Metz.

En 1727, Peyrenc de Moras demeurait encore place Louis-le-Grand, ainsi qu’en témoigne l’Almanach royal; mais il considérait son hôtel comme indigne de sa situation; ce logis était peu spacieux, peu aéré, et manquait tout à fait de somptuosité.

Ce fut ce qui décida Abraham à s’installer presque à la campagne, loin du tapage, dans un endroit où il «pourrait goûter tout le fruit» de sa miraculeuse fortune.

De vastes terrains étaient alors en vente dans un quartier quasi désert, près de l’hôtel des Invalides, là-bas, au faubourg Saint-Germain, tout au bout de la rue de Varenne.

Peyrenc de Moras les acquit, puis il s’adressa pour dessiner son nouvel hôtel à Jacques Gabriel, inspecteur général des Bâtiments du roi. Quant au soin de la construction, il fut confié à Jean Aubert, architecte des Bâtiments du roi et auteur des grandes écuries de Chantilly.

L’hôtel fut commencé en 1728. Dans son traité de l’Architecture française (Paris, 1752), Jacques-François Blondel a décrit les plans, coupe et élévation, ainsi que les plans des jardins.


HOTEL BIRON.

DÉTAIL DE LA

FAÇADE SUR LA

COUR D’HONNEUR

Cl. Lémery


Comme bien des modifications successives ont changé les dimensions précédemment établies, il convient de noter ici que le principal corps de logis, ou pavillon central, mesurait 42 m. 65 de long sur 20 mètres de large et couvrait, par conséquent, une surface de 853 mètres carrés de superficie. La cour d’honneur mesurait 32 mètres de largeur sur 48 mètres de profondeur ou environ 1.536 mètres carrés. Les écuries pouvaient recevoir 33 chevaux.

La construction totale fut terminée en 1730; et, en 1731, Peyrenc de Moras s’y installa.

Tout en situant l’hôtel de Moras parmi les principaux hôtels de Paris, Blondel n’hésite cependant pas à en critiquer quelques parties.

Toutefois, il dit, au sujet du plan du rez-de-chaussée: «La distribution de ce plan est très régulière, et quoique ce bâtiment n’ait que 21 toises 2 pieds de face sur 10 toises 4 pieds de profondeur, non compris les avant-corps, les appartements qui le composent sont susceptibles de toute l’élégance et de la commodité qu’on exige ordinairement dans un grand hôtel.»

Plus loin, il est vrai, il ajoute:

«Toute la construction de ce bâtiment a été, d’ailleurs, fort négligée, ainsi que son appareil qui est exécuté avec assez peu de soin, comme le sont la plupart des édifices de nos jours qui sont érigés trop rapidement, et où l’on préfère une possession prompte et instantanée à l’avantage de bâtir pour la postérité.»

Peyrenc de Moras n’avait eu cure, lui, de tant ergoter sur l’œuvre de Gabriel; aussi, son hôtel à peine terminé, était-il venu l’occuper avec sa femme, la fille de Fargès, et trois enfants: deux fils et une fille; mais il ne put y jouir longtemps de son opulence.

Le 20 novembre 1732, en effet, il trépassa, âgé de quarante-neuf ans, en laissant cette fiche: «Abraham Peyrenc de Moras, riche de 12 à 15 millions, tant en fonds de terre qu’en meubles, pierreries et actions de la Compagnie des Indes. Il avait plus de 600.000 livres de rente avec 2 ou 3 millions d’effets mobiliers.»

Quatre ans plus tard, le 1er août 1736, sa veuve vendit l’hôtel à vie à la duchesse du Maine, Anne-Louise-Bénédicte de Bourbon, veuve de Louis-Auguste de Bourbon, duc du Maine, qui était mort le 14 mai de la même année.

C’était une «grande dame», peut-être, mais qu’elle était peu désirable «avec son teint noiraud, sa taille exiguë, sa mine turbulente et ses dents perdues!» C’est ce pendard de Saint-Simon qui parle ainsi, après avoir gratté de sa plume brutale et véridique le fard des portraits historiques de la galerie de l’hôtel de Rambouillet.

Pourtant, nulle personne n’eut plus de charme que ce laideron de duchesse, dont la mine contrastait si bien avec les physionomies toutes pareilles et trop apprêtées, que nous offrent tant d’officiels portraits. Beaux teints, jolies bouches, dents superbes, épaules, bras et gorges admirables!

Les détails, pour le surplus, n’abondent point sur le séjour de la duchesse du Maine dans l’hôtel de Moras. Il est bon de préciser seulement les points suivants: lors de l’achat de l’hôtel, la duchesse avait une soixantaine d’années; et l’hôtel lui était cédé moyennant 100.000 livres payables comptant en espèces, plus 50.000 livres affectées à la construction d’un bâtiment pour les officiers. La duchesse habita l’hôtel du 15 janvier 1737 au 23 janvier 1753, date de sa mort.

L’hôtel redevint alors la propriété de la famille de Moras, limitée, la veuve Peyrenc de Moras étant morte, aux deux fils et à la fille. L’un devait devenir chevalier, conseiller du Roi, ministre de la Marine; l’autre, commissaire aux requêtes du Palais; tandis que la fille allait épouser le comte de Merle de Beauchamp.

Mais, dès le 7 mai 1753, l’hôtel de Moras était définitivement vendu cette fois au duc et à la duchesse de Biron pour la somme de 500.000 livres, qui furent intégralement payées à la date du 14 décembre 1754.

Le duc de Croy, dans ses Mémoires sur les cours de Louis XV et de Louis XVI, édités par le vicomte de Grouchy (Paris, 1897), nous dépeint avec une verve pittoresque ce que devint l’ancien hôtel de Moras entre les mains du maréchal duc de Biron.

«Ce fut, du jour au lendemain, dit-il, le rendez-vous de toutes les élégances; et les réceptions en étaient fort goûtées.»

«Le 1er juin 1783 (ajoute, entre autres choses, de Croy), je dînais chez le maréchal de Biron qui, à quatre-vingts ans faits, était encore la ressource et l’honneur de Paris pour les étrangers que nous négligeons trop. Il tenait table ouverte de trente couverts, où se trouvaient les belles Russes, Allemandes, Anglaises, etc.; c’était une vraie arche de Noé. Le jardin contenait pour plus de 200.000 francs de tulipes.»

De son côté, un doux bavard, le chevalier de Coudray, dans des volumes peu connus, qui ont respectivement pour titres: Nouveaux essais historiques sur Paris, pour servir de suite et de supplément à ceux de M. de Saint-Foix (Paris, 1786);—et Le comte et la comtesse du Nord (Paris, 1782), le chevalier du Coudray nous donne de l’hôtel et du maréchal duc de Biron les croquis divertissants qui suivent:

«L’hôtel de Biron, dit-il, est situé faubourg Saint-Germain, rue de Varenne, proche la barrière. Là repose un héros, colonel du régiment des gardes françaises, il en est aussi le père. C’est au maréchal duc de Biron que Paris doit l’ordre et l’harmonie qui règnent maintenant parmi cette phalange nombreuse et formidable; c’est maintenant que l’on peut dire à juste titre que le soldat, loin d’être tapageur, ferrailleur, etc., est presque aussi tranquille que le bourgeois: rarement entendons-nous des plaintes sur le compte des gardes-françaises. L’année dernière, 1782, M. le comte et Mme la comtesse du Nord[A] se rendirent dans cet hôtel où une superbe collation les attendait avec les officiers-majors et la musique du régiment. Leurs Altesses Impériales examinèrent le jardin qui, j’ose le dire, est une des merveilles de Paris; ils admirèrent la beauté des fleurs, la variété des plates-bandes, etc., se promenèrent dans les parterres et les bosquets, s’étonnèrent de la hardiesse et de l’élégance des treillages formant des portiques, des arcades, des grottes, des dômes, des pavillons à la chinoise, etc.»

Puis ici se place un petit couplet à chanter sur la flûte:

«M. le maréchal duc de Biron, ce zélé citoyen, ce vrai patriote, non moins que brave général à l’ombre de ses lauriers, se repose de ses fatigues guerrières: dans ses nobles plaisirs, il oublie les périls qu’il a courus aux batailles de Rocoux, Laufeld, Fontenoy et au siège de Pragues.»

Puis le bavard s’exalte:

«Qu’il est doux à mon cœur (s’écrie-t-il) de conserver à la postérité les belles actions de mes concitoyens. Ce seigneur (le duc de Biron) a la passion des jardins. L’histoire nous fait voir plusieurs grands hommes aimant et cultivant eux-mêmes les fleurs. Cicéron, dans son Livre de la vieillesse, rapporte nombre d’exemples de princes et de grands personnages qui ont chéri le jardinage; entre autres nous citerons Cyrus, roi de Perse, qui, montrant son jardin à Lisandre, ambassadeur des Lacédémoniens, lui avoua qu’il en était le jardinier: Ego, inquit, ita sum dimensus, mei sunt ordinis, mea descriptio; multæ etiam istarum arborum mea manu sunt satæ

Ce latin l’a perdu, et le chevalier du Coudray termine, en disant des bêtises, ce premier récit:

«Si nous abandonnons (poursuit-il) les fastes de l’histoire ancienne et étrangère pour consulter celle moderne et nationale, nous y verrons des rois de la première race vaquer aux soins de leurs jardins potagers, en faire vendre les légumes et les fruits. Le grand Condé arrosait lui-même les fleurs de son jardin de Chantilly.


HOTEL BIRON.—COUR

D’HONNEUR. (Avant la

démolition des Annexes.)

Cl. Lémery


«Qu’il me soit permis de rapporter à ce sujet le seul et beau quatrain (qui n’est pas un quatrain, mais une poésie fort commune que le chevalier dénature!) de Mlle Scudéry:

Quand je vois un illustre guerrier

Dont le bras a gagné mille et mille batailles;

. . . . . . . . . .

Qu’Apollon, autrefois, bâtissait des murailles

Et que Mars était jardinier.»

Ailleurs, le chevalier nous dit enfin:

«Le 9 juin 1782, le comte et la comtesse du Nord furent au Champ-de-Mars voir manœuvrer le régiment des gardes françaises, si bien discipliné par les soins et l’activité de M. le maréchal de Biron. Les soldats firent différentes évolutions de guerre, et l’exercice à feu, qui fut parfaitement exécuté, de l’aveu même de tous les officiers généraux. Après ces exercices, le comte et la comtesse du Nord se sont transportés à l’hôpital des gardes et n’ont pas dédaigné d’entrer dans tous les détails qui concernent l’administration de cet hospice guerrier, qui doit son établissement aux soins et à la munificence de M. le maréchal duc de Biron, qui ne cesse d’y veiller et de procurer toutes les aisances aux soldats malades de son régiment.»

Laissons ce bavard pittoresque, et venons maintenant à Mme de Genlis, dont les Mémoires, publiés à Paris, en 1825 (six volumes!) contiennent un portrait très caractéristique du maréchal, qui donna, en fin de compte, son nom à l’hôtel de la rue de Varenne, et pour les deux bonnes raisons qu’il y fit d’abord un long séjour (du 15 juillet 1753 au 29 octobre 1788), et qu’ensuite il y étala un faste incontesté.

La précieuse et vaniteuse Félicité-Stéphanie, comtesse de Genlis, ridicule organisatrice de débats littéraires (quel poids elle porte de tous les salons qu’elle fit ouvrir depuis!) délaissant pour un moment ses vains ouvrages historiques et pédagogiques, ne pouvait pas manquer, de son côté, de faire partie du concert de louanges offert au maréchal. Elle y tint, d’ailleurs, fort complètement et avec une ruse dévote, tous les instruments chers aux prêtres, aux nobles et aux princes.

Voici son principal couplet:

«Le maréchal de Balincour et le maréchal de Biron furent les témoins de toutes nos folies et s’en amusèrent beaucoup. Le maréchal de Biron avait dix-sept ou dix-huit ans de moins que le maréchal de Balincour; il avait soixante-neuf ou soixante-dix ans, on ne lui en aurait pas donné plus de cinquante-cinq. Il avait une taille majestueuse, une très belle figure, et l’air le plus noble et le plus imposant que j’aie vu. On dit de Brutus qu’il fut le dernier des Romains; on peut dire du maréchal de Biron qu’il fut en France le dernier fanatique de la royauté; il n’avait de sa vie réfléchi sur les diverses sortes de gouvernements et sur la politique. Mais il est certain qu’il était né pour représenter dans une cour, pour être décoré d’un grand cordon bleu, pour parler avec grâce, noblesse à un roi, pour connaître et pour sentir les nuances les plus délicates du respect dû au souverain et aux princes du sang; toutes celles des égards dus à un gentilhomme et de la dignité que doit avoir un grand seigneur. Le système établi de l’égalité eût anéanti toute sa science, tout son bon goût, toute sa bonne grâce. Il adorait le roi parce qu’il était le roi; il aurait pu dire ce que Montaigne disait de son ami La Boëtie: je l’aime parce que je l’aime, parce que c’est lui et que c’est moi. Le maréchal, dans d’autres termes, faisait exactement la même définition de son attachement passionné pour le roi. C’était une chose plaisante, même alors, de l’entendre parler des républicains; il regardait les républicains comme des espèces de barbares. Il avait, d’ailleurs, beaucoup de bon sens, une droiture et une loyauté de caractère qui se peignaient sur sa belle physionomie; il avait montré à la guerre la plus brillante valeur.

«Un jour que l’on faisait devant lui l’énumération des maréchaux de France de son nom: «Vous en nommez un de trop, dit-il; on ne doit pas compter celui qui fut infidèle à son roi.» Enfin, il aimait les jeunes personnes, il avait avec elles une galanterie chevaleresque qui donnait une idée de celle de la cour de Louis XIV dont il avait vu, dans sa première jeunesse, les derniers moments. Il respectait le maréchal de Balincour, qui pouvait en conserver un plus long souvenir; il enviait sa vieillesse et, en parlant de lui, il disait avec admiration: Il avait trente ans à la mort du feu roi! C’était dans sa bouche un éloge.»

Et, reconnaissante, la bonne «espèce» termine:

«J’aimais le maréchal de Biron non seulement parce qu’il m’envoyait sans cesse des figues, des abricots-pêches (les premiers qu’on ait eus à Paris) et des fleurs de son magnifique jardin, mais parce que je m’instruisais en l’écoutant.»

Le maréchal trépassa saintement dans son hôtel; et sa veuve, qui était revenue habiter dans son ancien hôtel de la rue Saint-Dominique, le quitta bientôt pour monter sur l’échafaud, avec sa nièce, la veuve de Lauzun, le 9 thermidor, an II.

Si nous nous en rapportons à M. F. d’Andigné, un historien très documenté, «l’hôtel de Biron serait alors resté, après la mort de la maréchale, sa tante, la propriété du duc de Charost, et, sur sa renonciation, il serait revenu à sa veuve. Ce que nous croyons pouvoir affirmer (ajoute M. F. d’Andigné), c’est que jamais il ne fut confisqué pendant la Révolution, son nom ne figurant pas sur les listes des biens saisis que nous avons consultées».

En 1797, l’hôtel fut loué à des entrepreneurs de fêtes publiques; et le jardin fut saccagé pour y installer des jeux, un bal, des concerts et des «promenades délicieuses» à l’usage des étonnants fantoches du Directoire.

Victor Fournel, dans son Vieux Paris (Tours, 1887), nous raconte, de son côté, que ce fut dans le jardin Biron que les deux frères Garnerin s’associèrent pour la première expérience de la descente en parachute, le 24 août 1797. «Elle ne réussit pas, ajoute-t-il. Le ballon, prêt à partir, se rompit de part en part, et le public, furieux, renouvela la scène honteuse du jardin du Luxembourg (infructueux essai d’ascension en montgolfière de l’abbé Miolan, de Janinet, du marquis d’Arlandes et du mécanicien Bredin); le public escalada les barrières, mit en pièces les débris de l’aérostat, et les deux frères durent se soustraire en toute hâte à son courroux par la fuite. Un des spectateurs poussa même le ressentiment jusqu’à les traduire devant les tribunaux en les accusant d’escroquerie.»

En 1800, le 27 octobre, un des héritiers du maréchal, le duc de Béthune-Charost, vint mourir dans l’hôtel de la rue de Varenne, à l’âge de soixante-douze ans.

La situation de l’hôtel restait tentante, même aux âmes ecclésiastiques; aussi, sans se soucier des larves de désordres laissées là par les foules du Directoire, le cardinal Caprara, légat a latere du pape, vint s’installer dans l’hôtel Biron, en l’année 1806.

Il avait quitté avec un plaisir extrême son hôtel Montmorin, sis rue Plumet, aujourd’hui rue Oudinot; et, pendant deux années complètes, le légat sut, dans ses nouveaux salons et dans le jardin ravivé des plus jolies fleurs, y bercer ses nonchalantes prières.

En l’année 1811, un autre arrivant loua l’hôtel pour la somme de 25.000 francs par an. C’était le prince Kourakin, ambassadeur de Russie en France, qui, en l’année 1812, au moment de la campagne de Russie, reprit la route du Nord.

Huit années s’écoulèrent; puis l’hôtel fut enfin vendu, le 5 septembre 1820, à la communauté du Sacré-Cœur.

Marie Alacoque (1647-1690) est la véritable créatrice du Sacré-Cœur; mais Madeleine-Louise-Sophie Barat est, elle, la fondatrice de l’institution du Sacré-Cœur, de la rue de Varenne.


HOTEL BIRON.

DÉTAIL PARTIE

CENTRALE SUR

LE JARDIN


Le Sacré-Cœur fut réellement fondé, le 29 septembre 1804, à l’Oratoire, à Paris; et le 18 janvier 1806, Mme Barat fut élue supérieure.

L’hôtel de Biron, que la duchesse de Charost, la propriétaire, offrait pour le prix infiniment modeste de 365.000 francs, fut acquis grâce aux dons généreux du roi et de diverses personnalités.

«A peine installées, nous dit M. F. d’Andigné, les dames du Sacré-Cœur reçurent des visites royales. Les duchesses de Berry et d’Angoulême se rendirent rue de Varenne, le 19 novembre, et le Conseil d’administration de 1820, qui avait duré deux mois, se dispersa en laissant à Mme Barat, seule, la direction de la maison de l’hôtel Biron.»

Ah! mes douces sœurs! la bienheureuse Marie Alacoque, votre Mère, n’avait certainement point rêvé pour vous un hôtel aussi somptueux et un parc aussi vaste! Elle pensait plutôt à une demeure très grise, perdue dans le fond d’une campagne triste. Mais grâce aux libéralités qui accablèrent votre supérieure, vous entrâtes tout naturellement dans cet hôtel de Biron, abandonné, et dont le parc, depuis bien des années, ne s’émaillait plus de ses fastueuses tulipes.

Et, après tout, vous n’y fûtes point, mes sœurs, si heureuses, que l’on doive vous faire grief de ce logis!

Combien de fois, en me retrouvant dans ce décor, j’ai songé à vous, chères sœurs de Miséricorde! Je vous revoyais éparses parmi les verdures, allant vers votre chapelle ou éduquant les filles de la noblesse de France, sombrées aujourd’hui dans la bauge des affaires ou dans le purin des vols!

Vous, si vous les avez cru heureuses, ces sœurs du Sacré-Cœur, lisez ce récit de M. F. d’Andigné:

«Le 28 juillet 1830, le canon se fit entendre et aussitôt les parents accoururent chercher leurs enfants; mais il restait encore quelques pensionnaires.

«Mme Barat, alors âgée de cinquante et un ans, et malade, prévenue de ce qui se passait dans Paris, laissa la direction des élèves à des surveillantes choisies et, sur les instances de ses collaboratrices, quitta Paris momentanément. Elle se laissa conduire à Conflans, maison de campagne des archevêques de Paris, où Mgr de Quélen mit à sa disposition une maison inoccupée depuis plus de vingt ans, située dans sa propriété, entre le parc du petit séminaire et son château.

«Le 29 juillet, trois cents jeunes gens, élèves de l’école d’Alfort, vinrent faire une manifestation devant le séminaire, menaçant d’y mettre le feu.

«Effrayées, Mme Barat, Mme de Gramont d’Aster, Mme de Constantin et sœur Rosalie, professe coadjutrice, adjointe à Mme Barat, durent quitter leur asile et chercher un refuge ailleurs.

«Après avoir vainement frappé à plusieurs portes à Charenton et subi des refus, quelquefois accompagnés de paroles désagréables, elles finirent par trouver une brave femme, qui voulut bien les accueillir et mettre le premier étage de sa maison à leur disposition. Elles étaient sauvées.

«Le 31 juillet, un jardinier, envoyé de l’hôtel Biron, venait leur apporter des nouvelles de Paris. On s’était battu dans le voisinage des jardins du couvent, dont les murs avaient été un instant escaladés par une vingtaine d’insurgés. La caserne des Suisses de la rue de Babylone avait dû livrer un combat suprême, mais tout était terminé; la route était libre.

«Mme Barat parvint à se procurer une mauvaise voiture de louage à Charenton, et, accompagnée de ses compagnes, elle se mit en route pour revenir rue de Varenne.

«Arrivées à la barrière, un ivrogne familier sauta sans façon sur le siège de la voiture, où il s’installa près du cocher et de la sœur Rosalie en criant à tue-tête: «Vive la charte!» Ce fut ce qui les sauva. On atteignit ainsi le boulevard des Invalides et on put pénétrer dans le couvent, où rien n’était changé, et reprendre la vie régulière de chaque jour, un instant suspendue par les événements politiques.

«Après la triste journée de 1831 (13 février), quand l’église et le presbytère de Saint-Germain-l’Auxerrois furent saccagés, le lendemain, 14 février, le peuple, surexcité, démolissait l’archevêché. L’archevêque se trouva quelque temps sans demeure et, pendant l’année 1832, il trouvait un asile au couvent du Sacré-Cœur. Mgr de Quélen habita le petit hôtel Biron, autrement dit l’annexe construite par la duchesse du Maine, en attendant un nouveau logis.

«En 1848 (continue M. F. d’Andigné), pendant la révolution de février, la tranquillité de la maison fut encore un moment troublée par l’arrivée soudaine d’une patrouille de quinze à vingt hommes qui pénétraient dans la cour en demandant du pain. C’était l’heure du goûter: on distribua à chaque homme deux pains et une bouteille de vin, et la patrouille s’éloigna.

«Le 25 mai 1865, Mme Barat mourait, âgée de quatre-vingt-cinq ans.»

Trente-neuf ans plus tard, la congrégation du Sacré-Cœur était dissoute, par arrêté ministériel du 10 juillet 1904, inséré au Journal officiel du 11 juillet.

Le 1er octobre 1904, l’établissement était fermé.

Enfin, en avril 1907, un procès intenté au liquidateur judiciaire par les héritiers naturels de Mme la duchesse de Charost, était perdu par eux.

Rodin à l'hotel de Biron et à Meudon

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