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A. LES DYNASTIES DIVINES

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Les dieux cosmiques

Les premiers rois furent, au dire de la légende, les grands dieux d’Egypte, suivant le cycle qui avait été établi dans le sanctuaire d’Héliopolis, une des plus anciennes métropoles religieuses du pays. Ce cycle se composait d’une ennéade, c’est-à-dire d’un groupe de neuf dieux et déesses, et fut adopté dès l’Ancien Empire par tous les autres centres religieux de la vallée du Nil, qui se contentèrent de mettre à sa tête leur dieu local. La liste que nous donne Manéthon, et qui doit être d’origine memphite, place donc au premier rang des rois-dieux Héphaistos, Ptah, le grand dieu de Memphis, le démiurge, celui qui forma l’homme du limon de la terre, qui le modela à la main, de même qu’à l’autre bout de l’Egypte, c’était Khnoum d’Eléphantine qui l’avait façonné sur le tour du potier. Cette mention du dieu créateur comme premier roi d’Egypte est une indication très précise du fait que les habitants de la vallée du Nil se considéraient comme autochtones et croyaient que le premier homme avait été créé dans le pays même. Au papyrus de Turin, le premier nom royal a disparu.

Fig. 7. Ptah (d’après Budge, Pap. of Ani, pl. XXVII).

Nous ne savons rien de ce règne de Ptah, qui probablement, sitôt son œuvre créatrice terminée, céda la place à son successeur Rà, le Soleil, le grand dieu d’Héliopolis et de la plupart des villes d’Egypte, chargé d’assurer l’existence et le développement de cette humanité primitive. Celui-ci, pendant son long règne, parcourait journellement ses domaines pour les constituer, les organiser et répandre sur ses sujets ses dons et ses bienfaits, mais tous ses efforts ne réussirent pas à lui attirer la reconnaissance de ces êtres primitifs, encore plus qu’à demi sauvages, ni même celle de ses descendants directs, les dieux, qui commençaient à se multiplier autour de lui. Ce roi-dieu était en une certaine mesure un homme, son grand âge l’avait considérablement affaibli, et, suivant les expressions pittoresques d’un texte égyptien, ses os étaient maintenant en argent, ses chairs en or, ses cheveux en lapis-lazuli; sa bouche tremblait, sa bave ruisselait vers la terre, sa salive dégouttait sur le sol. Profitant de cette décrépitude sénile, Isis, déesse de rang inférieur, employa les moyens les plus déloyaux pour lui arracher le talisman le plus précieux qui lui restât, le secret de son nom magique, grâce auquel elle comptait acquérir une puissance supérieure à celle des autres dieux. Les hommes eux-mêmes s’étant mis à conspirer contre leur débonnaire souverain, Rà se décida à faire un exemple, et après avoir consulté le conseil de famille, l’assemblée des dieux, il dépêcha Sekhet, la déesse à tête de lionne, avec ordre de les massacrer sans pitié, ce dont elle s’acquitta consciencieusement. La nuit seule l’arrêta dans sa course meurtrière, et Rà, contemplant le résultat obtenu, fut pris de pitié et résolut d’épargner le reste des humains; pour apaiser la déesse ivre de carnage, il fit mélanger de la bière et du suc de mandragores au sang des hommes et répandre à terre autour d’elle une quantité considérable de ce liquide. A son réveil, Sekhet aperçut ce breuvage, le but, s’adoucit, s’enivra et oublia ses victimes. Rà avait pardonné aux hommes qui se repentaient, mais, fatigué de régner, il abdiqua et choisit une retraite inaccessible sur le corps de la vache Nouït, déesse du ciel, sa fille; depuis lors, chaque jour, la barque qui le porte navigue sur les flancs de l’animal céleste pour se perdre à la nuit dans son corps même et reparaître le lendemain: le roi-dieu est devenu définitivement le dieu-soleil.

Fig. 8. Sekhet (d’ap. Daressy. Statues et statuettes de divinités, pl. LIII).

On discerne sans peine dans cette légende le souvenir d’un des cataclysmes qui bouleversèrent toute une partie du monde, comme ce déluge dont parlent les textes chaldéens aussi bien que la Bible, qui dévasta la Mésopotamie et les contrées avoisinantes tout au moins. Il était fort naturel que des désastres de cette nature fussent considérés comme le châtiment d’une humanité mauvaise et que, les dieux une fois apaisés, ils pardonnassent aux survivants et fissent avec eux un nouveau pacte, permettant à ces derniers de racheter leurs fautes par des sacrifices au lieu d’avoir à les expier par la mort des coupables. De même que Jahveh avait exigé de Noé un holocauste, Rà de même avant de monter au ciel, avait institué la coutume du sacrifice, première base du culte que les hommes devaient rendre aux dieux.

Fig. 9. Nouït portant la barque solaire; Shou et Queb; Thot (d’après Chassinat. La deuxième trouvaille de Deir el Bahari, I, p. 29).

Nous ne savons que bien peu de chose du règne des deux successeurs immédiats de Rà; il y a d’abord son fils Shou, l’atmosphère, le soutien du ciel, qui finit sa carrière de roi en remontant au séjour des dieux pendant une tempête terrible, puis son petit-fils Qeb, le dieu-terre, sur lequel nous n’avons que des mythes obscurs et d’un intérêt des plus médiocres. Ces deux rois-dieux, dont le rôle est très effacé, semblent représenter une période de transition pendant laquelle l’humanité se reconstitue après un bouleversement comme celui par lequel elle avait passé. C’était au troisième successeur de Rà, monté sur le trône après que Qeb fut rentré dans son palais pour devenir dieu à son tour, c’était à Osiris que devait appartenir la tâche glorieuse de faire passer le genre humain de l’état barbare et sauvage à un état de stabilité relative, de faire franchir, non seulement à l’Egypte, mais même au monde entier, la première grande étape de la civilisation.

Osiris et son cycle

Fils aîné de Queb, le dieu-terre, et de Nouït la déesse-ciel Osiris personnifie en même temps la végétation, la nature fertile de l’Egypte et l’eau vivificatrice du Nil. De même que le fleuve répand continuellement la richesse sur l’Egypte, Osiris, à peine sur le trône, met tous ses efforts à améliorer la condition des hommes; ces sauvages qui vivaient isolés, en lutte perpétuelle les uns avec les autres, il les groupe, forme des tribus, des états, fonde des villes; à ces hommes qui trouvaient péniblement une maigre subsistance dans la chasse et les produits naturels du sol, il enseigne l’agriculture, il leur donne les instruments de labour, il leur montre la manière de cultiver les céréales et la vigne, bref il les fixe au sol et leur fournit les moyens, non seulement d’y vivre, mais de s’y développer. A côté de lui, sa sœur Isis, qui est en même temps sa femme, le seconde admirablement dans son œuvre, et mérite que son nom soit resté inséparable de celui de son mari: pendant que celui-ci établit l’état et la cité, elle constitue la famille, en instituant les liens du mariage; elle déshabitue les hommes de l’anthropophagie et leur apprend à moudre le grain entre deux pierres et à en faire du pain; elle leur donne, avec le métier à tisser, les moyens de se vêtir, et emploie pour soulager leurs maux la médecine et la magie. Osiris institua encore le culte des dieux, régla les cérémonies et les liturgies, puis voyant le résultat obtenu par toutes ses innovations, il résolut de répandre ailleurs qu’en Egypte les bienfaits de la civilisation; il remit la régence à Isis et partit à la conquête du monde, conquête toute pacifique où il se soumettait les hommes par la persuasion et la douceur, voyage triomphal semblable à celui du Dionysos grec, à la suite duquel l’ordre et la richesse s’établissaient dans tous les pays.

Fig. 10. Osiris et Isis (d’après Budge. Pap. of Ani, pl. XXX).

Le dieu Set, auquel les Grecs ont donné le nom de Typhon, le propre frère d’Osiris, forme avec lui le contraste le plus absolu; on peut même dire qu’il en est l’exacte contre-partie: il représente non plus la terre fertile, mais le désert aride et brûlant, l’esprit barbare et sauvage à côté du génie bienfaisant, la réaction brutale cherchant à renverser les progrès de la civilisation. Tôt ou tard la guerre devait éclater entre deux êtres aussi dissemblables; en effet Set le rouge, jaloux de la gloire bien méritée que s’était acquise son frère jumeau, sans se révolter ouvertement contre lui, combina avec grand soin un piège perfide dans lequel Osiris tomba sans défiance: il l’enferma dans un coffre de bois et le jeta à la mer où il fut dévoré par les poissons, morceau par morceau, puis le meurtrier s’assit sur le trône de son frère, sans que personne songeât, au premier moment, à lui faire opposition.

Accompagnée de quelques dieux qui lui étaient restés fidèles, Thot et Anubis en particulier, Isis s’enfuit et se réfugia dans les îles marécageuses situées à l’extrême nord du Delta, puis elle entreprit de longues et patientes recherches pour retrouver les restes de son mari qu’elle espérait, en magicienne experte, faire revenir à la vie. Peu à peu elle finit par en rassembler tous les morceaux, sauf un, qui avait été dévoré par le poisson oxyrhinque, et réussit à reconstituer son corps; malgré tous ses efforts, elle ne put le rappeler à la vie, mais elle obtint au moins une compensation, celle d’être fécondée par lui et de mettre au monde un fils, qui devait devenir le vengeur de son père et le continuateur de l’œuvre interrompue par le crime de Set. Le petit Horus grandit, soigneusement caché par Isis dans ses marais impénétrables, et son premier soin, dès qu’il eut dépassé l’âge de l’enfance, fut de rendre à son père les derniers devoirs; aidé d’Anubis, il embauma le corps dont il fit la première momie, et institua les rites funéraires qui devaient assurer au mort la vie d’outre-tombe.

Osiris était le premier roi qui eût été atteint par la mort, tandis que ses prédécesseurs étaient devenus dieux, de rois qu’ils étaient, sans cette brutale transition; grâce à la momification et surtout aux cérémonies qu’Horus lui consacra, il put enfin être déifié à son tour et jouir d’une vie nouvelle dans le séjour des morts où il était descendu; comme il avait été roi sur la terre il devint roi dans les enfers qu’il réussit à transformer, de même qu’il avait transformé le monde des vivants; son domaine particulier, les champs d’Ialou et les champs d’Hotpou, devint par ses soins un pays fertile et bien arrosé, au lieu d’être une sombre caverne, où le soleil de nuit vient à peine jeter pendant de fugitifs instants quelques rayons de lumière; c’est dans ce quartier privilégié de l’autre monde qu’Osiris reçoit ses féaux, les morts, qui viennent se présenter devant son tribunal, prémunis contre la damnation éternelle par les rites institués par Horus, et qui peuvent dès lors jouir d’une vie nouvelle, à peu près semblable à celle de la terre.

Fig. 11. Anubis embaumeur (d’après Budge. Pap. of Ani, pl. XXXIV).

Tandis qu’il grandissait dans sa retraite, Horus se préparait à la lutte à outrance contre l’usurpateur: dès qu’il se sentit en force, il fondit sur lui avec impétuosité, escorté de ses fidèles, et fut tout de suite favorisé par le succès. Set, battu à plusieurs reprises, eut beau chercher à se sauver en se transformant, ainsi que ses compagnons, en monstres de toute sorte, tels qu’hippopotames ou crocodiles, il allait être anéanti définitivement, quand l’attitude équivoque d’Isis vint lui apporter un secours inespéré. La déesse, prise de pitié au dernier moment pour son ennemi et se souvenant qu’il était son frère, s’opposa à son écrasement, si bien qu’Horus, furieux contre sa mère, lui trancha la tête, ce à quoi, du reste, Thot remédia immédiatement en la remplaçant par une tête de vache. Tout eût été à recommencer entre les deux rivaux si Thot, s’instituant arbitre de la question, n’eût partagé le royaume en deux moitiés, dont il donna l’une à Horus, l’autre à Set.

Fig. 12. Set et Horus réunissant les deux parties du pays sous l’autorité du roi (d’ap. Gautier-Jéquier. Fouilles de Licht, p. 37).

J’ai cru devoir ne donner qu’un rapide résumé de cette partie de la légende qui en réalité, est beaucoup plus compliquée, étant le résultat d’une combinaison plus ou moins heureuse de deux mythes très différents l’un de l’autre et qui sont sans doute originaires, l’un de la Haute Egypte, l’autre du Delta. Le fils d’Isis et d’Osiris n’est en effet pas le seul à porter le nom d’Horus, et on trouve dans le panthéon égyptien une vingtaine d’Horus, sinon plus, d’origines très diverses. Il s’était formé autour d’un des plus importants d’entre eux, l’Horus d’Edfou, Hor Behoudit, divinité solaire, un mythe spécial qui raconte les péripéties d’une lutte analogue engagée avec un dieu du nord, nommé également Set. Nous avons donc, à côté du récit presque mythologique de la lutte perpétuelle du fleuve fécondant l’Egypte contre les empiètements de l’élément désertique qui peut être vaincu, mais non désarmé, une tradition toute différente qui a pour base les combats entre le sud et le nord, entre la population indigène et une tribu d’origine étrangère, mais de même race, qui cherchait à se fixer dans le pays, ces combats qui durèrent jusqu’au moment où Ménès réunit sous son sceptre toute la vallée du Nil. La conclusion même de l’histoire montre bien cette divergence d’origine, car si selon la légende osirienne, Thot donna à Horus le royaume du nord et à Set celui du sud, c’est justement le contraire que dit celle d’Edfou, où Horus devient roi de la Haute-Egypte, et Set roi du Delta. Cela explique aussi que le dieu Set, résultat d’une combinaison très ancienne de deux divinités absolument différentes d’origine, ait été, aux temps historiques, soit considéré comme un des grands dieux, placé à côté d’Horus et vénéré en conséquence, soit exécré comme un génie du mal, suivant qu’on le rattachait à l’un ou à l’autre des deux mythes.

Horus, le dieu à tête de faucon ou d’épervier, est devenu aux époques historiques le protecteur tout spécial de la royauté égyptienne; le Pharaon se considère comme son descendant direct, comme son remplaçant sur la terre, et pour mieux affirmer cette relation intime avec le dieu, le roi fait toujours précéder le premier de ses noms, dans son protocole officiel, par le nom même du dieu, devenu un titre. Pour s’expliquer cette conception du roi comme nouvel Horus, il faut se reporter à l’organisation primitive de l’Egypte à l’époque préhistorique, à sa division en tribus, qui sera étudiée plus loin; pour le moment, il suffira de rappeler que le plus important de ces groupes ethniques, celui qui assura peu à peu sa prépondérance sur les autres, celui d’où sortirent les premiers rois d’Egypte, était précisément celui qui avait pour emblème le faucon, emblème qui finit par se transformer en dieu Horus. Nous aurions alors simplement dans le mythe de l’Horus d’Edfou le récit légendaire de l’expansion progressive du clan du faucon, mythe qui plus tard se serait greffé, par suite de la similitude des noms, sur l’épilogue de la légende osirienne.

Les compagnons de l’Horus d’Edfou, ses principaux auxiliaires dans ses luttes contre Set, sont nommés les Masniti, — d’un mot qui signifie modeleur, ouvrier en métaux, aussi bien que piquier — qui sont artisans autant que guerriers; le dieu lui-même est armé d’une lance invincible, d’un épieu supérieur aux armes de ses adversaires, et qui lui assure la victoire. Ces données me paraissent être un souvenir de la découverte des métaux ou tout au moins de leur introduction en Egypte; c’est la tribu horienne qui les aurait connus la première et qui, par leur possession, se serait assuré la suprématie sur tout le pays. Dans le mythe parallèle d’Horus fils d’Isis, on ne trouve aucune donnée sur ce sujet.

La liste que donne Manéthon des rois-dieux, s’arrête à Horus fils d’Isis; il se borne à ajouter que la dynastie continua jusqu’à Bidis, personnage qui nous est entièrement inconnu, pendant une somme totale de 13.900 ans. Le papyrus de Turin était plus explicite, il indiquait pour chaque roi les années de son règne, et nous pouvons encore reconnaître, sur les fragments conservés, que Set occupa le trône pendant 200 ans, et Horus pendant 300 ans; puis venait Thot, qui régna 3.126 ans, et auquel succédait la déesse Maït, puis un nouvel Horus, dont la fin du nom est perdue. Avec Thot, le dieu des sciences et des lettres, on ne sort pas du mythe osirien, puisque nous le connaissons comme un des plus fermes soutiens d’Osiris lui-même pendant son règne, comme son assesseur au tribunal des enfers et comme l’arbitre entre Horus et Set, à la fin de la lutte. Ce règne de Thot n’a laissé aucune trace, mais il est à présumer, étant donné le caractère même de ce dieu, qu’il eut à continuer l’œuvre de civilisation et surtout d’organisation et d’administration commencée par Osiris, interrompue par Set et rétablie par Horus. Le nom seul de Maït, déesse de la justice, parèdre de Thot, qui lui succède en qualité de roi d’Egypte, montre clairement qu’il s’agissait toujours de cette œuvre de perfectionnement, moral autant que matériel, de l’humanité.

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