Читать книгу Tous les Contes et Nouvelles de Maupassant (plus de 320 Contes) - Guy de Maupassant - Страница 13
ОглавлениеIX - Médailles et revers
Le docteur Héraclius fut bien heureux pendant les quelques jours qui suivirent sa surprenante découverte. Il vivait dans une jubilation profonde – il était plein du rayonnement des difficultés vaincues, des mystères dévoilés, des grandes espérances réalisées. La métempsycose l’environnait comme un ciel. Il lui semblait qu’un voile se fût déchiré tout à coup et que ses yeux se fussent ouverts aux choses inconnues.
Il faisait asseoir son chien à table à ses côtés, il avait avec lui de graves tête-à-tête au coin du feu cherchant à surprendre dans l’oeil de l’innocente bête, le mystère des existences précédentes.
Il voyait pourtant deux points noirs dans sa félicité: c’étaient M. Le doyen et M. Le recteur.
Le doyen haussait les épaules avec fureur toutes les fois qu’Héraclius essayait de le convertir à la doctrine métempsycosiste, et le recteur le harcelait des plaisanteries les plus déplacées. Cela surtout était intolérable. Sitôt que le docteur développait sa croyance, le satanique recteur abondait dans son sens; il contrefaisait l’adepte qui écoute la parole d’un grand apôtre, et il imaginait pour toutes les personnes de leur entourage les généalogies animales les plus invraisemblables: «Ainsi, disait-il, le père Labonde, sonneur de la cathédrale, dès sa première transmigration, n’avait pas dû être autre chose qu’un melon», – et depuis il avait du reste fort peu changé, se contentant de faire tinter matin et soir la cloche sous laquelle il avait grandi. Il prétendait que l’abbé Rosencroix, le premier vicaire de Sainte-Eulalie, avait été indubitablement une corneille qui abat des noix, car il en avait conservé la robe et les attributions. Puis, intervertissant les rôles de la façon la plus déplorable, il affirmait que maître Bocaille, le pharmacien, n’était qu’un ibis dégénéré, puisqu’il était contraint de se servir d’un instrument pour infiltrer ce remède si simple que, suivant Hérodote, l’oiseau sacré s’administrait lui-même avec l’unique secours de son bec allongé.