Читать книгу Tous les Contes et Nouvelles de Maupassant (plus de 320 Contes) - Guy de Maupassant - Страница 7
ОглавлениеIII - A quoi le docteur Héraclius employait les douze heures du jour
A peine le docteur était-il levé, savonné, rasé et lesté d’un petit pain au beurre trempé dans une tasse de chocolat à la vanille, qu’il descendait à son jardin. Jardin peu vaste comme tous ceux des villes, mais agréable, ombragé, fleuri, silencieux, je dirais réfléchi, si j’osais. Enfin qu’on se figure ce que doit être le jardin idéal d’un philosophe à la recherche de la vérité, et on ne sera pas loin de connaître celui dont le docteur Héraclius Gloss faisait trois ou quatre fois le tour au pas accéléré, avant de s’abandonner aux quotidiennes brochettes de cailles du second déjeuner. Ce petit exercice, disait-il, était excellent au saut du lit; il ranimait la circulation du sang, engourdie par le sommeil, chassait les humeurs du cerveau et préparait les voies digestives.
Après cela le docteur déjeunait. Puis, aussitôt son café pris, et il le buvait d’un trait, ne s’abandonnant jamais aux somnolences des digestions commencées à table, il endossait sa grande redingote et s’en allait. Et chaque jour, après avoir passé devant la faculté, et comparé l’heure de son oignon Louis XV à celle du hautain cadran de l’horloge universitaire, il disparaissait dans la ruelle des Vieux Pigeons dont il ne sortait que pour rentrer dîner.
Que faisait donc le docteur Héraclius Gloss dans la ruelle des Vieux Pigeons? Ce qu’il y faisait, bon Dieu!… il y cherchait la vérité philosophique – et voici comment.
Dans cette petite ruelle, obscure et sale, tous les bouquinistes de Balançon s’étaient donné rendez-vous. Il eût fallu des années pour lire seulement les titres de tous les ouvrages inattendus, entassés de la cave au grenier dans les cinquante baraques qui formaient la ruelle des Vieux Pigeons.
Le docteur Héraclius Gloss regardait ruelle, maisons, bouquinistes et bouquins comme sa propriété particulière.
Il était arrivé souvent que certain marchand de bric-à-brac, au moment de se mettre au lit, avait entendu quelque bruit dans son grenier, et montant à pas de loup, armé d’une gigantesque flamberge des temps passés, il avait trouvé… le docteur Héraclius Gloss – enseveli jusqu’à mi-corps dans des piles de bouquins, tenant d’une main un reste de chandelle qui lui fondait entre les doigts, et de l’autre feuilletant un antique manuscrit d’où il espérait peut-être faire jaillir la vérité. Et le pauvre docteur était bien surpris, en apprenant que la cloche du beffroi avait sonné neuf heures depuis longtemps et qu’il mangerait un détestable dîner.
C’est qu’il cherchait sérieusement, le docteur Héraclius! Il connaissait à fond toutes les philosophies anciennes et modernes; il avait étudié les sectes de l’Inde et les religions des nègres d’Afrique; il n’était si mince peuplade parmi les barbares du Nord ou les sauvages du sud dont il n’eût sondé les croyances! Hélas! Hélas! Plus il étudiait, cherchait, furetait, méditait, plus il était indécis: «Mon ami, disait-il un soir à M. Le recteur, combien sont plus heureux que nous les Colomb qui se lancent à travers les mers à la recherche d’un nouveau monde; ils n’ont qu’à aller devant eux. Les difficultés qui les arrêtent ne viennent que d’obstacles matériels qu’un homme hardi franchit toujours; tandis que nous, ballottés sans cesse sur l’océan des incertitudes, entraînés brusquement par une hypothèse comme un navire par l’aquilon, nous rencontrons tout à coup, ainsi qu’un vent contraire, une doctrine opposée, qui nous ramène, sans espoir, au port dont nous étions sortis.» Une nuit qu’il philosophait avec M. Le doyen, il lui dit: «Comme on a raison, mon ami, de prétendre que la vérité habite dans un puits… Les seaux descendent tour à tour pour la pêcher et ne rapportent jamais que de l’eau claire… Je vous laisse deviner, ajouta-t-il finement, comment j’écris le mot sots.»
C’est le seul calembour qu’on l’ait jamais entendu faire.